Alors, je vais essayer de faire court. Pour raconter un peu où j’en suis aujourd’hui, il faut remonter à mes années d’étudiant. J’ai habité toute mon enfance et adolescence du côté de Lorient et je suis venu faire mes études à Rennes, comme un certain nombre de Lorientais. J’ai fait une fac d’histoire, ça devait être prédestiné puisque ce sont les histoires qui m’ont ensuite intéressé. Pour la petite histoire, j’ai un papa qui s’appelle Alain Le Goff et qui est conteur, qui donc racontait des histoires, c’était son métier, et quand j’ai eu une vingtaine d’années, je me suis dit que les contes et les conteurs, c’était un univers qui m’intéressait. J’ai rencontré un certain nombre d’artistes qui m’ont touché par leur modernité, par le côté non pas image d’Epinal du conteur au coin du feu avec la barbe blanche mais plutôt la modernité de leurs paroles, des histoires qu’ils avaient envie de raconter, à la fois en prise avec une culture traditionnelle et totalement le nez au vent de la modernité. Donc ça a été le point de départ de cette histoire, qui au départ ne devait pas aller bien loin, puisqu’on était un groupe d’étudiants, qu’on a eu envie de faire une petite manifestation au Théâtre du Vieux St Etienne, qui est une ancienne église, et c’est là qu’on a fait la première édition de ce qui n’avait de festival que le nom, puisque c’était en fait quatre soirées avec des conteurs, exclusivement, et on s’est attaché à faire entrer dans cette salle tous les étudiants possibles, on les a décollé des bancs des universités en leur disant qu’il fallait absolument venir voir ces artistes. Et puis il y a eu un véritable coup de foudre entre ces jeunes gens qui n’avaient pas vraiment d’a-priori et puis les artistes qui eux avaient plutôt l’habitude de fréquenter des lieux de spectacle avec des publics entre 50 et 70 ans, ou alors vraiment des enfants. Ils ont eu l’occasion de rencontrer un public d’étudiants qui les a vraiment touché, et on s’est appuyé là dessus par la suite, on a rapidement ouvert à la chanson, en se disant qu’un festival c’était aussi un moment festif, et puis, ça tombait en plus en plein dans le renouveau de la chanson française, avec un certain nombre d’auteurs-interprètes qui se mettaient à raconter des histoires dans leurs chansons. C’est comme ça que le déclic s’est fait, et on a aussi découvert ces lieux que sont les Magic Mirrors, et on a fait le paris de faire venir cet espèce de cabaret, de parquet de bal, pour y installer des conteurs et des chanteurs, et de prendre un petit peu au piège le public en lui disant que s’il veut venir voir des têtes d’affiche en chanson, il sera obligé de se coller un conteur derrière l’oreille, donc évidemment il y avait un petit piège. Et petit à petit, ça a fait son chemin, et aujourd’hui, les spectateurs fréquentent toutes les scènes et vont voir des propositions assez éclectiques, et c’est une des fiertés de ce projet, d’avoir su mélanger les publics, et je crois qu’à Mythos il y a autant de gens qui fréquentent les salles de musique actuelle que de gens qui fréquentent les salles de théâtre. Alors que d’habitude, il y a une certaine imperméabilité entre les différents publics. Voilà, donc 17 ans plus tard, le projet a grandi, des 5-600 spectateurs du début, ils sont 30.000 maintenant, on est installé toujours dans ces Magic Mirrors, qui font un peu l’esprit du festival. On est installé dans les jardins du Thabor alors qu’on avait démarré sur la place Hoche, et au théâtre du vieux St Etienne, et puis maintenant, dans une quinzaine de lieux partenaires sur la métropole. Et puis même au-delà, jusqu’à Liffré et même en foret de Brocéliande on a une antenne. Donc voilà un petit peu rapidement mon parcours, et puis parallèlement à ça j’ai créé une structure de production et d’accompagnement de spectacle qui s’appelle Ici-Même Production. Et puis plus récemment, depuis le mois de janvier dernier, j’ai repris la direction du théâtre L’aire Libre à St Jacques de la Lande, voilà, pour faire court. Ah et je vais avoir 40 ans cette année…
Tu veux peut-être pas que je le marque sur internet ça ?
Mon âge ? Oh c’est pas très grave (rire).
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton festival, l’édition de cette année, la programmation, etc. ?
Oui, alors la programmation, elle est vaste, il n’y a pas de ligne, pas de couleur, on a pas un festival thématique, on se dit pas chaque année qu’on va prendre je sais pas, par exemple, le Brésil, ou les contes africains, ou New York ou Madrid, comme nos homologues et néanmoins amis de Travelling. Nous, il n’y a pas de thématique prédéfinie, c’est en construisant la programmation que petit à petit il y a des lignes de forces qui se dessinent. Cette année, la couleur est plutôt engagée. Notamment sur un certain nombre de spectacles de récits, qu’on accueille cette année, qui sont pour beaucoup des paroles militantes, des paroles subversives. C’est-à-dire qu’on sent qu’il y a un vent de révolte qui souffle, c’est un signe des temps, les artistes, dans les moments de récession, de crise, de doute dans les sociétés sont toujours aussi ceux qui continuent à mettre le pied dans la porte et qui continuent à dire tout haut ce que les autres pensent tout bas. Donc si il devait y avoir une singularité cette année, ça serait peut-être celle là, avec un certain nombre de spectacles comme Discours à la Nation de Celestini, qui jouera ici (au théâtre de la Parcheminerie, ndlr). C’est un auteur italien très engagé, et Discours à la nation, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Mais c’est aussi le spectacle Ali 74, Le combat du sciècle de Nicolas Bonneau qui est un travail autour du combat de Mohammed Ali contre Georges Foreman, et qui est en fait une allégorie d’une société bipolaire, où l’occident est mis à mal dans ce combat des titans. Donc c’est intéressant de voir comment, à un moment, ces questions sociétales et politiques peuvent être traitées au travers d’un fait divers.
S’il y avait une autre thématique, peut-être, à faire ressortir, c’est celle de la francophonie. Depuis quelques années déjà, maintenant, on s’intéresse aux cultures francophones qui sont localisées ailleurs que dans notre beau pays de France (Québec, Belgique, Suisse, Réunion, etc.). C’est aussi peut-être une des couleurs de cette année, puisque l’on aura un certain nombre d’artistes Québécois, et francophone de plusieurs endroits du monde.
Sur le volet chanson, on a un certain nombre de têtes d’affiche. Comme chaque année on essaie d’être sur une programmation équilibrée, avec d’un côté des choses assez repérables par le public tout en n’étant pas trop, je l’espère, «variétoche». Mais quand on parle de Dominique A, de Jacques Higelin, même de Lou Doillon (malgré son succès récent, qui peut-être peut faire penser à de la variété), en tout cas on essaie d’être sur une ligne artistique exigeante, après on s’autorise aussi des échappées un peu plus populaire comme Coeur de Pirate dont moi, personnellement, je n’ai pas trop d’affinités avec le fond de ce qu’ils racontent, mais je trouve que c’est bien fait et puis ça jouera le dimanche après-midi, c’est une façon de rassembler aussi les générations. Donc un spectacle, de notre point de vue, assez familial, assez consensuel. Et puis des choses plus engagées, ou en tout cas plus compliquées à défendre, je pense à Gidré par exemple, qui fait un peu le buzz sur le net, ou des choses comme Lescop, qui travaille un peu dans la lignée de Dao et puis on aura une soirée un peu particulière, qu’on a décidé de thématiser, cette année, au Cabaret Botanique, autour d’une soirée construite en plusieurs étapes, avec Lescop à 18.00, ensuite une proposition récit autour de la Françafrique, un spectacle de one-man show à la fois drôle et décalé, et en même temps qui dit les abérations de ce processus politique qu’on a qualifié de Françafrique. Ensuite, on passera sur des choses plus musicales avec Fauve, qui est l’attraction du moment, encore un peu confidentiel mais qui est en train de largement buzzer, et j’ai l’impression qu’on va être dans le bon timing donc c’est une bonne nouvelle. C’est aussi les paris qu’on a fait sur des découvertes, un peu moins découvertes à l’heure actuelle d’ailleurs. Et on finira sur une soirée qui sera pour les plus noctambules puisque ça finira vers 3-4h du matin, dans un esprit un peu différent de ce qu’on fait habituellement sur les samedis soirs de Mythos, avec Le Cabaret Freaks qui est un cabaret électro-déjanté, un numéro striptease et autres tours de magie en live, et Christine un groupe électro un peu « électro qui tache », on va dire. Là aussi c’est un peu différent de ce qu’on fait d’habitude dans les espaces de programmation, mais on travaille avec l’ancien programmateur des Francofolies de la Rochelle, qui est venu rejoindre notre équipe pour nous accompagner dans une démarche d’ouverture de la programmation qui était un peu chanson «sage» on va dire. Donc on essaie de faire exploser un peu les cadres, et c’est ça que veut signifier l’affiche, aussi. On finira le dimanche sur un projet concept qui s’appelle Ultra Balle, qui sera mené de main de maitre par Alexis HK, ou certains invités viendront faire danser le public sur des airs de bals revisités et modernisés. Ça sera l’occasion de venir terminer cette semaine de Mythos en venant se trémousser sur une piste de bal.
Est-ce que Mythos est toujours un festival des arts de la parole ? Comment vous mettez en place des djs qui vont venir faire de l’électro, est-ce que vous les considérez comme des ovnis dans votre programmation ?
Arts de la parole, plus que jamais ! Ce ne sont pas des ovnis. C’est vrai qu’après parfois on nous fait la remarque «mais Mythos, c’est quoi comme festival, il y a un peu de tout». Je revendique le droit à l’éclectisme et à l’hétérogénéité du projet car c’est aussi comme ça que l’on fait ressortir les lignes de forces. Pour faire entendre les conteurs par des publics différents ou que les fans d’électro n’aillent pas toujours dans les mêmes endroits, il faut pouvoir faire exploser les cadres. On est un festival qui a la prétention d’être ouvert, et je crois que ces croisements sont intéressants. Et puis il y a un temps pour tout, on peut écouter des contes le matin, une émission de radio le midi, un spectacle familial l’après midi, un apéro-concert à 18.00, un one-man show après manger et finir en chanson. Et la nuit aidant, se laisser entrainer sur le dancefloor. Donc c’est aussi une progression d’un rythme qu’on voudrait démarrer tranquillement et finir en beauté, en fiesta, c’est un peu ça l’idée. Je ne suis pas dans le jusqu’au-boutisme absolu à dire «c’est un festival de la parole, il y aura que de la parole». Jusqu’ici, même pour les artistes, c’est un carrefour. Eux qui ont l’habitude de tourner dans un réseau précis, ont l’occasion de rencontrer des gens qu’ils n’ont jamais rencontré et pourquoi pas inventent et imaginent des projets. Qui sait, demain, et c’est déjà le cas avec des projets comme Kok Batay, on inventera de nouvelles formes d’art visuel et sonore, on croisera du théâtre classique et de l’électro. C’est finit les chapelles, je pense, enfin j’espère.
Vous avez beaucoup de lieux différents, avec plusieurs publics, est-ce que c’est facile à gérer, est-ce qu’on vous ouvre les portes facilement ? Comment vous les choisissez ?
Pour le moment, on a pas trop gratté aux portes on va dire. Évidemment, quand on était moins expérimentés, que le festival était moins connu, c’était moins facile, après c’est toujours comme ça. Mais depuis quelques années, on a plutôt tendance à essayer de fabriquer du sens dans les partenariats plutôt que de les multiplier pour les multiplier. On pourrait travailler avec toute la région, toute la france pourquoi pas, pour un festival qui dépasse le cadre. Mais ce n’est pas l’objectif, le projet Mythos est un projet urbain, installé avec pour épicentre Rennes, il y a eu des partenariats grâce à des affinités artistiques avec certains lieux, comme l’Antipode depuis des années, où on essaie de trouver des résonances particulières entre la parole et la programmation habituelle du lieu. Je crois que cela se fait en bonne intelligence. Il n’y a pas d’obligation de partenariat, chacun est requestionné chaque année. Il n’y a pas du tout de course à l’échalote, on est pas du tout dans cet optique là. Après, peut-être que demain ça le deviendra, mais aujourd’hui, on cherche des partenariats qui ont du sens et qui se raccroche à quelque chose. Par exemple, la directrice de La Criée, un nouveau centre d’art contemporain, qui est arrivée en octobre dernier, qui est venu nous voir pour construire un partenariat dès 2013, mais c’était trop court et on s’est donné rendez-vous l’année prochaine car ça nous intéresse beaucoup d’aller questionner l’art contemporain, le rencontrer. Il y a des croisements qui ne cessent de s’opérer.
Est-ce que tu peux nous parler un peu des projets hors festival ?
La structure Paroles Traverses, qui porte le festival, a aussi une activité toute l’année, qui va être renforcée dans les temps à venir car aujourd’hui elle produit et accompagne des artistes. Avant c’était une tierce structure qui le faisait, qui s’appelait Ici Même Production, l’association récupère ce projet, donc il y a toute l’activité à reprendre, accompagnement d’artistes tout autant que le montage de spectacles et la diffusion de ces projets. Aujourd’hui, c’est presque 600 spectacles qu’on vend par an, pas encore par l’association mais à partir de maintenant l’association la reprend. C’est aussi de l’action culturelle, c’est-à-dire de l’action de médiation auprès de nouveaux publics, parce que rassembler 30.000 spectateurs chaque année ce n’est pas si simple. C’est un travail de médiation toute l’année. Bon en prison c’est pas évident de faire venir les prisonniers, encore que ça se travaille, mais surtout auprès des établissements scolaires, du public qui a moins accès à la culture. Toute une démarche de faire connaître, rencontrer, mettre en contact. Une politique tarifaire qu’on essaie d’adapter, même si aujourd’hui on est un festival, et je le regrette, un peu cher, notamment sur les concerts un peu prisés. Mais ça c’est l’état des choix politiques actuels. Les subventions étant en berne, il n’y a pas d’autres solutions que d’imputer les coûts aux spectateurs, c’est toujours eux qui trinquent. Mais pour que malgré tout le public s’élargisse, le projet s’étoffe, il faut toujours constituer de nouveaux publics et aller à leur rencontre. Un travail qu’on fait sur tout le département. Demain, c’est aussi une connexion avec l’Aire Libre, qui devra faire coïncider un projet d’événementiel sur tout le territoire avec un projet de lieu, avec ce que ça a de passionnant et de compliqué.
Pour finir, est-ce que tu as un coup de coeur particulier sur le festival ?
Un coup de coeur particulier ? C’est une question un peu piège, j’en ai plein. Je suis très content d’accueillir Jacques Higelin parce que ça fait des années que j’attendais de l’accueillir. Mais ce n’est pas vraiment un coup de coeur, pas quelque chose que j’ai envie de faire découvrir, les gens viendront et se précipitent déjà d’ailleurs. Un artiste que je veux faire découvrir, en particulier, il nous vient d’outre atlantique, du Québec, qui s’appelle Mani Soleymanlou, qui présente un spectacle au théâtre de la Paillette, qui s’appelle Un. C’est le parcours d’un jeune mec qui a moins de 30 ans et qui est iranien de naissance, qui est passé par la France, une fois en France on le traitait de petit iranien, quand il est arrivé au Québec on le traitait de petit français. C’est l’histoire d’une identité, d’une quête, c’est très drôle et ça dit un monde qui rejette l’autre, et à la fois qui ne sait pas trop pourquoi il le fait. Il y a beaucoup de singularité politique et poétique. C’est un premier boulot, une première en France, qui sera repris les semaines suivantes dans d’autres lieux de spectacle. Donc on est très contents de l’accueillir en avant première pour trois représentations, c’est un truc que j’ai envie de faire découvrir, que le public se laisse tenter par ça. Après il y en a plein d’autres, mais il fallait n’en choisir qu’un.
Merci à Mael pour son temps, ainsi qu’à Morgane pour avoir organisé cette rencontre.
.: Mythos :.
Infos pratiques :
Date : du 16 au 21 Avril
Lieu : Rennes métropole
Programmation : Jacques Higelin, Calico, Christine, Coeur de pirate, Fauve, et bien d’autres.
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