Quelques mois à peine après la sortie du très bien accueilli Compter Les Corps, Vulgaires Machins se lancent dans un formidable roadtrip à la française. Retour sur le fabuleux album et la démarche politico-artistique exemplaire de ces quatre québécois lors d'une rencontre à Paris.
Cap'tain Planet : On commence par une question très simple. Hier vous jouiez à Nantes, pouvez-vous nous faire un compte-rendu du concert « vu de l’intérieur » ?
Guillaume : C’était hyper sympathique. La technique n’était pas facile mais c’était rempli de monde avec une très belle ambiance. On a pris beaucoup de plaisir. Les bretons ont tout aimé, les nouveaux et les titres plus anciens. C’était l’un des publics les plus fantasmagoriques qu’on ait eu. Les québécois étaient presque plus sympathiques que les nantais !
Votre album est sorti au Québec, il y a environ un an. Il est sorti plus récemment en France. Pouvez-vous dresser un premier bilan ?
Guillaume : Ca a marché très fort au Québec : les critiques ont été dithyrambiques, on a eu un accueil incroyable, les fans ont apprécié et des gens qui ne nous connaissaient pas se sont mis à écouter l’album. On a été surpris mais, en même temps, nous sommes fiers du travail accompli. On a mis plus de temps à le préparer et on a dépensé beaucoup d’énergie. On surfe sur une belle vague car l’album nous a ouvert un paquet de portes. On joue beaucoup de concerts depuis la sortie de l’album et les salles se remplissent. C’est une belle période pour nous. {multithumb thumb_width=450 thumb_height=320}
Votre maison de disque a plutôt bien suivi puisque 4 clips ont été réalisé …
Guillaume : Chez nous, les clips sont un outil indispensable si tu veux joindre le public en région quand les radios ne sont pas toujours dans le coup. C’est le seul moyen de faire entendre notre musique le plus loin possible. On a toujours misé sur les vidéoclips, on n’a pas envie d’être un groupe qui marche bien à Montréal mais qui reste inconnu en région. Je crois qu’on a réalisé 11 ou 12 clips depuis les débuts du groupe.
Les télés sont plus réactives aussi …
Maxime : Les télés font un effort pour promouvoir les groupes québécois. Musique Plus diffuse même des clips assez moyens.
Guillaume : Les quotas francophones nous aident. Les chaînes comme Musique Plus, sont obligés de diffuser un certain nombre de vidéoclips francophones. Or, comme la majorité des groupes sont anglophones, ça nous aide.
Votre clip pour la chanson « Anéantir le dogme » a été censuré. Vous pouvez revenir sur cette histoire ?
Guillaume : Oui, il a même été banni. Je pense qu’on a visé dans le mil. Le message était clair, direct et cru. On s’est attaqué au dogme capitaliste et plus précisément à l’hypersexualisation. Les médias au Québec ont très bien réagi parce qu’un débat a été lancé. La chaîne Musique Plus a pourtant refusé de diffusé le clip car la critique était trop évidente par rapport au fait que, sur cette même chaîne, la majorité des clips que tu peux voir sont machistes et utilisent le sexe pour vendre la musique. De plus, ils ont eu peur d’être blâmé par le CFTC qui est l’organisme de contrôle des programmes. Je pense que, comme disent les français, cela reflète un « manque de couilles ».
Au final, malgré le fait que le clip n’ai pas été diffusé, ça vous a fait une très bonne pub ?
Marie-Eve : Exactement. On a beaucoup parlé du clip dans les médias. Ca a soulevé un véritable débat. On a reçu beaucoup de réactions sur Internet tels que des professeurs qui voulaient en parler avec leurs étudiants, des pères qui se sentaient touchés et qui avaient peur de voir leur fille s’identifier à ce phénomène d’hypersexualisation. La non-diffusion du clip nous a mené plus loin dans le débat, on a créé la réflexion.
Guillaume : Un deuxième débat est venu ensuite, celui de la censure. Les gens se sont posés des questions. Pourquoi ce vidéoclip a été censuré ? C’est une bonne question à poser. On a pu établir des liens entre l’hypersexualisation et le fait que lorsqu’on la critique, on se fait interdire le droit de parole.
Pour en revenir à votre album, peut-on dire que c’est un album doux-amer à l’optimisme sombre ?
Guillaume : Tout est en nuance. Il y a un cri du cœur dans l’album par rapport aux choses qui se passent et à quel point les gens se sentent désengagés et anesthésiés. Il n’y a pas de combat qui se fait sans qu’il n’y ait d’espoir. Vulgaires Machins est un groupe qui croit au changement par la musique. On pousse un cri d’alarme depuis 12 ans pour dire que ça va mal, de plus en plus mal et on se pose la question de quand est-ce que les gens vont se réveiller.
Si vous deviez imaginer un monde dont la musique de Vulgaires Machins serait la B.O, à quoi cela ressemblerait-il ?
Guillaume : D’abord, on se débarrasserait de Sarkozy, de Bush, de Jean Charest. On essayerait d’éliminer la droite, le centre deviendrait la gauche et on vivrait dans un monde où les gens seraient un peu plus lucides probablement. Un peu plus responsables et conscient de leur potentiel de leur bénéfice pour la planète. On vit dans une heure où on oublie qu’on était des animaux dépendants de la nature et responsable des générations futures. Pour moi, ça a une référence directe avec notre lucidité. Les gens sont d’un cynisme extrême et on essaye de le combattre. Les médias filent un coup de main géant à cette apathie générale. On matraque le fait que le capitalisme est une fatalité, ce n’est pas le seul système valable, c’est une gangrène. On remet en cause la mondialisation et le néo-libéralisme en disant que ce régime là est une erreur.
On peut vous considérer comme des leaders d’opinion au Canada ?
Maxime : C’est un grand mot… On est juste des citoyens qui utilisent son droit de parole afin de faire évoluer les choses.
Guillaume : Je pense que si on réussit au travers de notre musique, de nos paroles, de notre engagement et notre démarche à influencer les gens qui apprécient notre musique à s’informer et à leur donner envie de se sentir plus responsables. C’est une grande victoire de conforter des gens qui partagent notre vision du monde. On ne saura jamais à quelle échelle notre musique a une influence. Ce sont les petits combats qui font les grandes guerres.
Pour vous, prendre une guitare, c’est un acte citoyen ?
Guillaume : « This machine kills fascists ». Prendre une guitare, c’est un acte citoyen. On nous demande souvent « Mais vous, Vulgaires Machins, vous faites quoi pour changer les choses ? ». Justement, je pense que se questionner sur le monde, d’en parler et d’échanger avec les gens c’est déjà beaucoup. On est loin d’être parfaits, on n’en fera jamais assez non plus, on passe beaucoup d’heures dans un camion alors qu’on pourrait être dans une manifestation je ne sais où… On brûle beaucoup de pétrole, on est venu tourner en France en avion. On est loin d’être parfaits mais on se remet toujours en question. Je pense que l’objectif c’est d’arrêter de prendre les choses pour acquis et de se remettre constamment en perspective. J’ai complètement oublié ta question ….
Maxime : C’était « qu’est ce que t’as mangé hier ? » (fou rire général)
A quel moment vous vous êtes dit que prendre une guitare, c’était justement un acte citoyen ?
Maxime : On a réalisé un jour qu’il y avait du monde à nos concerts et qu’on ne pouvait plus simplement raconter des conneries. Les gens chantaient nos paroles. A l’époque, les thèmes étaient moins sérieux, on était plus jeunes. On s’est aperçu qu’on pouvait avoir un impact grâce à notre musique donc on a commencé à dire des choses plus intelligentes.
Guillaume : Je pense que malgré le fait que notre opinion était mal construite, on réalisait qu’on pouvait avoir un impact. La musique est un moteur de changement. Je pense que la musique punk qu’on écoutait quand on était enfant a eu un impact sur nos vies et notre musique. Ecouter Bad Religion à 15 ans, ça m’a donné envie d’ouvrir des livres, de regarder le monde qui m’entoure.
Quelles sont vos influences parmi les autres arts ?
Maxime : Chomsky sans hésiter.
Guillaume : Je mentionnerais Albert Jacquard. Dès 12 ou 13 ans, je me suis mis à lire Albert …
Maxime : ton pote Albert…
Guillaume : …mon grand ami Albert, qui a différencié ma vision du monde. Il m’a conforté dans l’idée qu’il fallait aller à contre-courant. Il y a aussi Hubert Reeves.
Marie-Eve : Et Propagandhi ! On a joué avec eux au sommet des Amériques à Québec. Pour cette soirée là, tout le monde apportait des livres. On avait accès à des sources d’informations diverses sur la politique, la nourriture ou l’argent. C’est une autre source d’inspiration.
Guillaume : C’est un échange d’idées. Il y a David Suzuki qui est un canadien qui lutte pour l’environnement. Il apporte une parole nouvelle. Au final, nos influences sont très diverses. Elles ne s’arrêtent pas à la musique et à la littérature. Parfois, c’est simplement une personne qu’on a rencontré dans la rue et qui nous a donné envie de passer un message.
Vous avez beaucoup voyagé. En quoi vos voyages vous inspirent ?
Guillaume : C’est la rencontre avec l’autre. Tout ce que tu as développé durant la création, tu l’envoies à la face des gens et tu as une réponse très directe. C’est bien de recevoir des e-mails mais en tournée, il y a un échange qui se fait. C’est là que tu te rends compte à quel point ta musique a pu influencer quelqu’un, à quel point ta musique peut aller à l’encontre de ce quelqu’un pense.
Marie-Eve : Ca me déstabilise. Ca m’oblige à réagir face à des situations que je ne rencontre pas au quotidien.
Guillaume : Ca permet d’avoir une meilleure perspective sur la vie en général. Tu réalises comment les autres groupes vivent et comment ils évoluent dans leur création. Ca fait du bien de sortir du Québec et de la banalité.
Un bon live, c’est un échange avant tout ?
Guillaume : Un bon live, c’est un échange spontané. Plus c’est calculé, moins c’est bien.
Et une chanson en studio ?
Guillaume : Moins c’est calculé, moins c’est bien ! (rires) Tu vois, le dernier album, on s’est permis d’explorer beaucoup de choses. On s’est senti libre d’écrire ce qu’on voulait.
Maxime : On n’a jamais ressenti de barrières. On écrit ce qui nous plait, on se moque de savoir si les gens seront satisfaits ou non. Certains critiqueront la perte de dynamisme sur certaines chansons, on a évolué naturellement sans s’en soucier. Au début du groupe, on ne faisait pas que du punk-rock, on aimait les chansons plus relax. On a toujours gardé une marge de manœuvre.
Guillaume : Pour nous, c’est bien d’entrer en mode créatif sans savoir où l’on va. On essaye que chacun trouve sa place au travers d’un apport d’influence général dans la chanson. La seule façon d’être sincère avec notre public, c’est d’être sincère nous quatre ensemble. Il faut qu’on soit en confiance.
Vous parliez de rencontres, précédemment, quel fut le ressenti lors de votre première rencontre entre membres de Vulgaires Machins ?
Maxime : C’est simple, notre première rencontre. J’avais 3 ans, Guillaume en avait zéro ! (rires). C’est notre premier contact !
Guillaume : On ne peut pas parler d’une démarche. C’était avant tout pour briser l’ennui. Allons fumer de la beuh et passer le temps plutôt que de jouer aux machines à boules.
Machines à boules ?
Guillaume : au flipper !
Marie-Eve : Quand j’ai rencontré Guillaume, je n’avais même pas de guitare. On avait monté un groupe avant Vulgaires Machins pour passer le temps. Je me suis acheté une guitare et un ampli un peu plus tard.
Guillaume : Au départ, c’était vraiment de la bouse !
Le mot de la fin ?
Maxime : A chaque fois qu’on vient à Paris, il y a une grève ou un truc qui ne marche pas.
Marie-Eve : La dernière fois, c’était les élections !
Maxime : On aime les défis !