Tout d’abord, qu’est ce que tu ressens à l’approche de la dernière date de ce projet si particulier?
C’est un étrange mélange de sensations… je crois qu’on est tous profondément épuisés, à cause de la tension, du travail, du stress en amont… physiquement on est vraiment meurtris, mais émotionellement c’est super fort et ça fout un peu les boules à tout le monde que ce soit la dernière!
Qu’est ce qui t’a poussé à t’embarquer dans un tel projet? Est-ce plus par amour de la musique classique ou par une volonté de donner plus d’envergure au projet Wax Tailor?
Non, c’est une volonté d’offrir des nuances à la musique et de se mettre au service du propos musical. C’est aussi donner des moyens à la hauteur de certaines ambitions. En terme de musique classique, je suis quelqu’un qui a une culture très lambda, je ne suis pas très pointu sur la question… c’est quelque chose qui va te toucher de manière très concrète, c’est ce rapport physique au son en se retrouvant entouré de quarante musiciens… C’est un vrai challenge car en dehors du fait que ca peut paraître ambitieux, tu te demandes aussi si tu vas être capable de donner de la matière à tout ça… c’est assez magique en fait.
Qu’est ce qui a été le plus compliqué à réaliser dans ce projet?
Je dirais que le questionnement le plus complexe a été le son. L’idée c’est que quand tu as quarante musiciens qui jouent autour de toi, quand il faut greffer les machines dessus, c’est quand même quelque chose. Les gens disent que des expériences de relectures symphoniques, ça existe déjà, certes, mais c’est quand même très souvent en acoustique. Là on est sur un concept avec des machines amplifiées au milieu, et il faut que le son physique vienne se greffer dessus et vice versa, et si nécessaire qu’on amplifie l’orchestre pour retrouver le niveau naturel d’équilibre… donc c’est un vrai enjeu au niveau du son, d’autant que sur chaque date il y a six ingés son qui s’expriment! C’est une vraie guerre, un paquebot à gérer… c’est super complexe. Et l’autre point important c’est la configuration de salle, la scénographie… ça n’a l’air de rien mais tu peux dire beaucoup de choses avec une scénographie. Et on aurait pu se tromper! Je faisais même partie des gens qui défendaient plus une autre vision au début et au fur et à mesure on est arrivé à ça et ça me paraît tellement évident aujourd’hui que je me demande comment on a pu se questionner, mais c’était aussi très complexe.
D’un point de vue technique, sans rentrer forcément dans les détails, comment s’est passé l’instrumentation et la mise en place des morceaux? Les musiciens se sont greffés sur ta musique avec leurs idées ou tu leur as donné des pistes déjà établies?
Non ils n’ont pas donné leurs idées car pour un projet aussi gros, avec autant de musiciens c’est tout bonnement impossible! La question au départ, c’était de savoir si on prend des personnes de l’orchestre qui vont être un peu moteurs du truc, mais j’avais un peu peur que ce soit sujet à dire «pourquoi eux et pas nous?», donc je me suis rapidement dit que ce qu’il fallait que je boarde absolument c’était l’orchestrateur et le chef d’orchestre, c’est à dire des gens avec qui j’ai un dialogue et qui comprennent que c’était mon projet avec mes arrangements… donc là je me suis mis en quête de la perle rare, et j’ai rencontré Rémy Galichet, l’orchestrateur avec qui j’ai travaillé et j’ai accroché car il a un pied dans les deux univers. Donc je lui envoyais les arrangements, par exemple une ligne de violons, et après je lui disais débrouilles-toi avec les altos, etc, car moi je ne sais pas faire. Et il me renvoyait des pistes midi pour que je puisse rejouer en studio, adapter mes pistes… donc ça a été un énorme boulot en amont, et après c’était un peu comme un puzzle, il fallait imbriquer toutes le pièces ensemble, avec la scénographie, notamment.
J’imagine que tu dois quand même ressentir une certaine fierté à l’idée d’avoir pu donner cette dimension à la musique électronique?
Je n’arrive pas encore à me rendre vraiment compte de la dimension du truc pour le monde de la musique électronique. Je suis surtout vraiment fier de tout le monde, du travail d’équipe et que ça fonctionne! Je ne pensais pas que ça allait me toucher à ce point là de faire ce truc… je suis un peu spectateur moi-même! Hier je me suis un peu planté sur un morceau car j’écoutais ce qui se passait autour de moi!
On va parler un peu du reste de ton actualité. Tu es allé jouer à Bercy la semaine dernière, pas dans une configuration normale pour un concert, mais pour l’ouverture de l’open de tennis! Ca t’éclatait plus finalement d’ouvrir pour le tournoi de tennis que de jouer tout seul à Bercy?
Non, non, faut pas exagérer! L’année dernière, après les dates au Bataclan, on m’a proposé de faire un zénith seul, j’ai refusé et j’ai préféré faire deux Olympias car c’est plus mon univers. J’ai déjà fait deux zéniths en ouvrant pour Archive, mais bon… Donc à plus forte raison, j’avais dit que Bercy je n’y mettrais jamais les pieds! Mais là je l’ai fait car j’avais moins la pression car les gens ne venaient pas pour moi et c’était une porte d’entrée pour ceux qui ne connaissent pas. J’ai toujours été assez friand de ces trucs là, du côté challenge et d’y aller en se disant que ce n’est pas gagné d’avance… Mais ça s’est super bien passé, c’est un peu perturbant d’avoir un court de tennis devant soi plutôt qu’une fosse, mais je suis content de l’avoir fait.
Tu donnes souvent l’impression d’aller là où on t’attend le moins… que ce soit avec l’exemple précédent ou avec cette série de concerts symphoniques… est-ce par nature ou par volonté?
Un peu des deux en fait. C’est une chance incroyable d’avoir toutes ces choses à disposition, et je m’étonne surtout qu’il n’y ait pas plus de gens qui prennent des risques, mais bon après chacun voit midi à sa porte. Il y a deux écoles: moi je fais des spectacles très pensés et scénarisés, alors que d’autres sont plus dans l’improvisation et qui peuvent être aussi bons. J’aime vraiment approfondir les choses avec le même spectacle tous les soirs même s’il y a des nuances, et l’améliorer au fur et à mesure du temps. Et une fois que tu maîtrises bien le truc c’est là où ca devient jouissif. Mais en même temps quand ça devient jouissif c’est là où tu as besoin de retrouver l’autre sensation, la fébrilité et la fragilité d’un nouveau truc. Donc j’ai besoin de me faire peur pour avancer, de me mettre en danger… Et là les retours sont excellents donc c’est le moteur de tout le reste. Les gens me disent que je n’arrête jamais, mais c’est aussi un accord tacite car on m’accorde de la confiance mais on attend aussi que ne me foute pas de la gueule du monde. J’ai vu tellement d’autres le faire que je n’ai pas envie que ça m’arrive, tout simplement.
Il y a quelqu’un qui te suit depuis le début de l’aventure Wax Tailor, c’est Charlotte Savary. Comment vivez-vous tous les deux cette collaboration à long terme?
Pour moi c’est super simple, car c’est une nana super simple à vivre. Elle a un peu plein de qualités, en fait. Elle est ultra pro et talentueuse, simple et naturelle au point que ça me rend envieux d’ailleurs d’être comme ça… Moi je suis plutôt tempétueux, elle a toujours le sourire jusqu’aux oreilles… et objectivement dans notre façon de travailler, les choses ont évolué, et c’est vraiment plaisant de travailler avec elle car une connivence s’est installée et on peut se permettre de travailler beaucoup en amont avec des démos vraiment brutes et basiques, ce que je n’aurais pas fait avant à cause de la pudeur du musicien… C’est agréable et en plus on a évolué ensemble avec le temps. Elle a aussi cette capacité à s’intégrer à des projets très différents, toujours avec le rôle parfait, ce qui tombe bien quand tu cherches tout le temps de nouveaux personnages pour des projets…
On connait aussi ton fort attachement au monde cinématographique, dans lequel tu as déjà pu un peu t’exprimer par le passé… est-ce quelque chose que tu vas plus développer dans un avenir proche?
2011 va vraiment être pour moi une année de studio. Je vais avoir quelques dates à l’étranger mais pas grand chose. Au niveau du cinéma, j’ai plusieurs propositions, trois ou quatre scénarii en fait qui m’attendent, donc là je peux pas faire le neuneu qui n’a pas compris! Après c’est comme pour tout le reste, je ne veux pas tomber dans la fumisterie. Si c’est pour faire un «Taxi 7» et prendre un chèque, non merci, je n’y vais pas! Donc il faut avoir le temps de le faire, que le scénario te plaise et avoir l’impression de proposer quelque chose de pertinent. Donc on verra!
Parlons un peu de «I Own You», ce duo avec Charlie Winston que vous avez réalisé en 2009… est-ce que tu penses qu’il t’a ouvert de nouvelles portes, notamment grâce aux nombreuses diffusions radio de ce titre?
Je ne suis pas si sûr en fait… petite anecdote: lorsque l’album est sorti, j’ai refusé catégoriquement que l’on sorte «I Own You» en single car je voulais pas de ce raccourci; le mec venait de sortir l’album de l’année, je me suis dit que je n’avais pas besoin de ça. Je trouvais que légitimement ça pouvait sentir le calcul vu de l’extérieur donc, j’ai tout de suite refusé. Après je suis très content de ce titre, Charlie est un mec génial que je connais depuis un moment, mais en terme de radio, à part Virgin qui l’a poussé gentillement, les autres radios ne m’ont pas suivi sur ce titre là et ne l’ont pas joué beaucoup. Sur cet album je ne pensais pas qu’un titre comme «Say Yes» deviendrait un truc si énorme pour les gens, par exemple! Parfois des choses t’échappent… après là où tu as raison c’est qu’effectivement, une fois qu’on a sorti l’album, le fait qu’il y ai un duo avec Charlie Winston a dû titiller la curiosité des gens car il sortait de 500 000 albums vendus… j’arrive jamais trop à jauger ces trucs là en fait, j’ai tellement le sentiment que la réussite reste un processus lent et sain, du bouche à oreille qui vient, qui continue et qui s’élargit, mais sur des bases saines.
Le concert de ce soir correspond aussi à la célébration de l’ouverture de la nouvelle salle rouennaise, le 106… toi qui es haut-normand d’origine mais qui a maintenant parcouru les salles françaises en long en large et en travers, comment accueilles-tu cette inauguration?
Comme un soulagement! Ça faisait très très longtemps que j’attendais ça! L’équipe de Jean-Christophe Aplincourt qui s’occupe du projet du 106, est une équipe que je connais depuis très longtemps et qui a fait ses preuves à l’Abordage d’Evreux et pour Le Rock Dans Tous Ses Etats, je sais comment ils travaillent, donc je pense que c’est une vraie chance, comme au niveau de l’équipement et de l’accompagnement d’ailleurs qui sont des aussi des données très importantes. Je suis super fier et heureux d’être le premier nom pour la saison de programmation du 106 et au final, ouvrir à l’Opéra pour une nouvelle salle, c’est un beau symbole aussi, c’est un indicateur positif de la façon dont les lignes bougent.
Pour terminer, que peut-on te souhaiter artistiquement et personnellement pour 2011?
Artistiquement je suis gâté! Je vais avoir un peu besoin de digérer tout ce qui s’est passé, revenir un peu sur terre, car c’est surréaliste, c’est grisant, j’ai la boulimie de ce truc là, donc au final ça me fait avancer mais ça fait du bien aussi de se poser aussi et de revenir au quotidien.
Le studio est un bon moyen justement pour revenir sur terre?
Ah bah oui carrément! Tu reviens à Vernon, tu fais tes courses à ED, tu sors tes poubelles… (rires) Ouais c’est important et ça va me faire du bien… je n’ai pas l’angoisse de la page blanche, mais c’est toujours un questionnement. Le premier album tu le fais sans te poser de questions, le deuxième je l’ai enchainé de la même manière, mais le troisième je me suis vraiment questionné car tu te dis que tu ne fais plus de la musique que pour toi, mais aussi pour les gens qui t’écoutent… ça ne veut absolument par dire qu’il faut leur servir la soupe, mais plutôt, comment toi tu arrives à te surprendre et à les surprendre… le questionnement est un moteur pour moi, et l’année 2011 va être une année de studio, de labeur… j’aime la rigueur en fait, et j’ai l’impression qu’il n’y a que ça qui fait avancer les choses…
Un grand merci à Jean-Christophe pour nous avoir accordé cette longue interview quelques dizaines de minutes seulement avant le magistral concert à l’Opéra de Rouen…
Un grand merci aussi à Perrine (A Gauche De La Lune) et à Marie (Disc Over) qui nous ont permis de réaliser cette interview dans d’excellentes conditions.
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.net