Arco : Je ne me souviens pas qu'il y ait eu une idée directrice précise. Ou peut-être celle de "se faire plaisir" et d'aller dans tous les sens.
Vx : Clairement, c’était pas un concept album quand on a attaqué… Le « cadre » s’est construit petit à petit, en faisant des listes de titres, d’expressions, en notant toutes les idées qui fusaient…
Arco : Au tout départ, on a échangé beaucoup de mails et de liens pour se créer une sorte de décor conceptuel. On voulait éviter de piocher dans la fiction.
Vx : Oui, ça c’était la seule contrainte que je tenais à imposer : je ne voulais pas que ce soit un Cult Movie n°2 genre « soundtrack virtuelle », donc pas de samples de films.
Arco : On avait la volonté commune de s'amuser diaboliquement avec des références au réel (documentaire, interview, journal télévisé, blog…). C'est sans doute ce qui a développé le côté grinçant du disque. Mais je crois que nos premières conversations parlaient de sociétés secrètes et d'alchimie. Et puis on a dérivé sur les complots militaires en passant par la société du spectacle, l'ésotérisme, Obama, Nixon, Elvis, Kurt Cobain et la magie noire.
Vx : Pour vous dire, j’ai été jusqu’à lire Debord, pour la Société du Spectacle… C’est chiant en fait ce bouquin, je préfère Deleuze. Voilà, c’est dit.
Comment s’est opéré votre travail pour cet album ? Avez-vous composé chacun de votre côté pour ensuite mixer vos idées, ou les morceaux ont-ils été écrits en commun ?
Arco : À la base, c'est Vx qui m'a laissé piocher dans les chutes de studio de Punish Yourself. J'ai commencé à organiser quelques trucs de façon anarchique et je l'ai proposé au groupe.
Vx : On avait beaucoup de brouillons inachevés, la plupart datant des sessions de Cult Movie, mais il y avait du beaucoup plus ancien. On est très productifs pour lancer des idées de morceaux, mais beaucoup moins pour les terminer. Arco a une puissance de concentration largement supérieure à la nôtre, donc on l’a un peu laissé faire tout le boulot sur ce coup-là… (rires)
Arco : Ensuite Vx est venu quelquefois chez moi afin d'améliorer quelques points (enregistrer les voix, peaufiner les titres et les thématiques, rajouts et suppressions de quelques sons…). Mais l'essentiel de notre collaboration "ping-pong" a été possible par internet. Pour être honnête, il a fallu beaucoup de patience. Car Punish Yourself est un groupe très sollicité et malgré un réel enthousiasme des deux côtés, le projet a été plutôt compliqué à mettre en place.
Vx : C’est vrai que quelquefois, pour m’attraper entre deux trains, une date et les moments où je disparais carrément de la circulation, ça peut s’avérer tendu… merci le haut-débit !
Arco : Mais on y est arrivé et j'en suis extrêmement satisfait. Et le rendu me semble fidèle à ce qu'on imaginait dès les premiers échanges.
Phenomedia semble se tourner sur une vision peu flatteuse des médias actuels et de ce qu’ils véhiculent, autant dans le divertissement que dans l’information. On ressent à la fois une sorte de chaos et de lassitude…
Vx : Chaos, lassitude, colère. Pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs.
Arco : Absolument ! Afin d'éviter de tomber dans les clichés du genre et dans le moralisme stérile et caricatural, on a plutôt tenté de provoquer (ou pas) la responsabilité ou l'engagement de l'auditeur et d'exposer les contradictions de discours en évitant, je l'espère, le cynisme soupirant. On s'est amusé avec la confusion des genres et des images. Ce peut-il que les faits ne soient pas assez sexy pour être crédibles ? Ne reste-t-il que la consommation de fictions pour soulager nos tourments ? Phenomedia n'a pas vocation à être expliqué mais à provoquer librement des chocs et des associations de pensées et d'émotion. Pourtant la sélection des divers samples reste subjective, et le montage peut soutenir une comparaison d'idées, afin par exemple d'en souligner l'absurdité, la violence et peut-être d'en mesurer leur pertinence et leur objectivité. Et pourquoi pas réveiller une certaine citoyenneté ? Dans le monde des medias de masse, une information en chasse toujours une autre jusqu'a ce qu'il y en ait une qui s'impose par elle-même comme un virus ou une révélation. Entre les enjeux politiques, idéologiques et commerciaux, il est assez difficile d'en anticiper la finalité et d'avaler les yeux fermés. Si ça peut véhiculer l'idée qu'il faut se méfier de ce qu'on nous raconte tout en gardant les yeux ouverts et la motivation d'en arpenter les limites, ça sera déjà bien.
Vx : Je suis certainement un peu plus nihiliste qu’Arco, mais en tout cas, entièrement d’accord sur le fait qu’il n’y ait rien à expliquer ou justifier. À chacun de projeter le sens qu’il a en lui…
En dehors des styles déjà explorés par Punish Yourself (punk industriel) et Sonic Area (ambient), un côté nettement plus électronique et moins évident est parsemé sur pratiquement l’ensemble du disque. Aviez-vous envie de regarder un peu ailleurs ou cela s’est-il fait naturellement pendant l’enregistrement des pistes ?
Vx : C’est sûr qu’on n’a pas fait dans la facilité… Mais ça s’est vraiment fait naturellement. Musicalement, j’ai toujours eu l’habitude d’aller voir « ailleurs », que ce soit avec mes side-projects ou avec les trucs plus tordus de Punish… On ne s’est jamais dit « on va faire un truc trop bizarre pour épater le bourgeois ».
Arco : Dès le départ, on ne souhaitait pas être prévisibles. Et nous étions d'une humeur aventureuse. Alors, on a joué à un numéro de funambule assez risqué avec des références assez tordues et les coups de cœur communs pour les classiques. Ce qui donne un côté psychédélique et fébrile qui ne me déplait pas du tout.
Vx : « Psychédélique », ça ne peut pas me déplaire non plus !
Arco : J'avoue que je n'aurais pas osé monter ce genre de freaks sonores si je n'avais pas eu le soutien dévoué de Vx. La difficulté était de ne pas rendre le truc trop pompeux, trop abstrait ou trop hermétique. Si le disque n'est pas assez prenant, la mèche du pétard est mouillée. Et puis pour rester dans la thématique des médias racoleurs, il fallait jouer le jeu du rythme soutenu et se zapper avant d'être zappé.
Vx : Phenomedia, c’est l’expression de ceux qui essaient de pourrir le système de l’intérieur, mais aussi de ceux qui finissent par s’y plaire. On en revient à l’ambivalence du projet. Pour ou contre, mais certainement pas « entre les deux ». C’est pas un disque tiède.
Comment avez-vous créé les visuels, et à quoi correspondent-ils par rapport à la musique ?
Vx : Je laisse la parole à Arco !
Arco : C'est moi qui ai intégralement conçu les visuels. Ils ont entièrement été dessinés à la main et coloriés sur ordinateur. Ce sont des visions que j'ai eues durant la création du disque. Infaisable en photographie, il a fallu que je sorte mes crayons. Ils permettent de faire le lien entre toutes les idées abordées. Le parc d'attraction est une métaphore parfaite pour évoquer le monde fantasmagorique et dégoulinant de miel et de verre pilé que l'on superpose à nos yeux pour nous empêcher de penser trop. Pour moi, c'est le point de collision entre la réalité et la fiction. Pour tenter de rester entre les deux, je suis parti dans des traits tremblotants, naïfs, enfantins, cauchemardesques, impressionnistes, psychiatriques et surtout impulsifs. Chaque plan décrit une partie d'un ensemble. Le phénomène médiatique serait une sorte de monstre scintillant qui dévore tout sur son passage. Je ne saurais pas particulièrement expliquer les associations de symboles que j'ai dissimulées sur chaque image. Mais elles me semblent justes et évocatrices. Disons qu'elles apportent, à mon sens, quelque chose qui va au-delà de la musique elle-même. J'aime l'idée qu'il y ait plusieurs degrés de lecture du projet, comme les contes pour enfants.
Vx : En termes de « construction du sens », c’est un peu ma méthode quand j’écris des paroles, en général, juxtaposer des éléments qui n’ont pas forcément à faire sens ensemble, et assister à leur « collision ». Très Punishien comme démarche, donc. Le fait aussi d’avoir réalisé différentes vidéos autour du truc, et de continuer à créer des images après la sortie du disque (voir sur internet), c’est aussi très Punishien. J’adorerais que d’autres artistes s’engouffrent dans le concept Phenomedia.
Pensez-vous incorporer certains titres de Phenomedia dans vos prochaines prestations scéniques, ou considérez-vous le projet un peu à part de vos deux « groupes » ?
Arco : De mon côté, j'ai déjà intégré des morceaux du disque dans mes live depuis quelques années. Mais juste quelques parties. La plupart des morceaux n'ont pas été conçus pour être joués en live de toute façon. L'album reste très organique. Il faudrait une équipe de percussionnistes gigantesque pour donner vie à des morceaux comme « Wacko ». J'espère qu'un jour ce sera faisable. On y avait pas pensé au départ. Mais l'idée de faire un concert unique nous trotte dans la tête. À suivre…
Vx : À suivre, ouaip. L’idée est là, faut juste qu’on trouve le temps d’y travailler, et une date et un lieu… Peut-être au prochain Noxious Art Fest ? Qui sait. Ce serait parfait.
L’album n’est disponible à la vente que sur Internet. Souhaitiez-vous privilégier une distribution totalement indépendante ?
Arco : Non pas particulièrement ! Mais nous sommes conscients de nous écarter volontairement des sentiers battus. Et nous n'espérons pour le moment pas plus qu'une distribution indépendante et relativement accessible.
Vx : Disons que ça fait du bien au mental de ne pas être systématiquement tributaire du réseau « corporate »… On n’a même pas proposé à notre label de sortir ce disque, ils n’auraient pas su quoi en faire. Là au moins ceux qui l’achètent font vraiment une démarche active, c’est pas juste « ah, le nouveau Punish, j’ai vu ça sur Violent Solutions, je vais le prendre par habitude ».
« Heart of darkness / Ici-bas », issu du Cult Movie de Punish incluant également la participation de Sonic Area a fait l’objet d’une vidéo réalisée par Alexandre Cardinali il y a plus d’un an. Quel souvenir garderez-vous de cette collaboration et du tournage de la vidéo ?
Vx : Le tournage, je pourrais écrire un livre dessus, c’était Lost In La Mancha !!!! Une partie a été tournée en Espagne sous l’orage, une autre (les plus beaux plans à mon goût) dans une tannerie abandonnée où on s’était replié… Alex a fait un sacré boulot pour tout raccorder. En tout cas c’est bien la dernière fois que je fais l’acteur, je suis vraiment pas fait pour ça.
Arco : Pour moi, le film était déjà fini. Je n'ai pas participé au tournage. Je n'ai fait que quelques retouches à partir de démos qui ont curieusement collé immédiatement à l'ambiance du film. Le son a été posé en 48h. J'aurais sans doute pu améliorer quelques enchaînements avec plus de temps mais les choses se sont faites comme ça. On voulait à la base le mettre sur le disque, mais ça n'a pas été possible par manque d'espace.
Vx : Peut-être sur un futur DVD, en bonus…
Thierry Ehrmann vous a-t-il fait part de ses impressions ? Que pensez-vous de sa démarche artistique et de la Demeure du Chaos ?
Vx : Pour ce que j’en sais il a beaucoup aimé, mais je n’ai pas vraiment de contacts directs, je l’ai juste rencontré quand on a tourné là-bas.
Arco : Je ne l’ai jamais rencontré et je ne suis jamais allé à la Demeure du Chaos. Mais je me sens assez proche de sa démarche. Morceler la réalité pour la recomposer dans son reflet le plus noir.
Vx : Perso, je suis un peu plus dubitatif. Le concept est bon, mais quand on est sur place, l’accumulation de bazars conceptuels finit par lasser l’œil. L’ambiance « Art contemporain », c’est pas vraiment mon truc.
Arco : À vrai dire j'aimerais bien y jouer un live.
Vx : Ça, l’endroit s’y prête carrément. Une grande fête néo-païenne… Je rêverais de voir Michael Moorcock réciter des textes là-bas, ha ha… Il pourrait en profiter pour rappeler que le symbole du chaos est de son invention. Old-school british chaos power !
Vos projets respectifs ?
Arco : Je bosse actuellement sur le nouveau Chrysalide qui devrait sortir assez vite. Et maintenant que je viens de m'aménager un tout nouveau studio, je compte être le plus productif possible pour cette belle année 2010 qui s'annonce savoureuse !
Vx : On commence tout doucement à réfléchir à un nouveau Punish, qui sera sans doute plus dance, voire eurodance, je dois aussi mixer le son d’un futur dvd, filmé au Bikini en novembre dernier… On aimerait bien sortir quelque chose chez D-Trash, aussi, peut-être un live. En parallèle on a attaqué la compo du deuxième album de 1969 Was Fine, et j’ai plusieurs sorties de Cheerleader 69 sur le feu… Plus mon bouquin, « Violaine Violence Ramène Sa Vilaine Science »… Beaucoup de taf, donc. Et puis tourner, tourner, tourner. La routine !
Interview réalisée par mail en avril 2010.
Myspace Sonic Area
Myspace Punish Yourself