Oaï-Star, le side-project de Gary du Massilia Sound System est à un tournant de son existence: avec l’arrivée de Dubmood, héros suédois de la Chip Music, embarqué sur le navire marseillais qu’a malheureusement quitté le regretté Lux B il y a deux ans, Oaï-Star est à la fois l’incarnation des envies Rock d’un des MCs de Massilia, mais aussi une vraie entité originale mêlant humour et chroniques du quotidien dans les textes, dégageant une énergie live ravageuse sur scène. C’est donc dans une ambiance proche de celle du Vélodrome un soir de match que nous avons pu rencontrer Gary, commandant en chef de l’escadrille provençale Oaï-Star…
OAI-STAR est présenté comme la branche agitée du Massilia Sound System, ça signifie que les autres sont des pépères?
Nan les autres ce sont des vieux ! (rires) On est arrivés avec Lux B juste après le premier album de Massilia en 1992, au début on n’avait même pas de micro, on était juste là pour foutre le bordel sur scène, pour créer une interaction avec le public et du coup on nous a appelé les « Oaï-Star », le qualificatif vient de cette époque là. Donc c’était la branche agitée car le autres étaient chargés des lyrics et nous du souk! De fil en aiguille, on a commencé à prendre le micro, écrire des textes, devenir des vrais MCs, des maîtres de cérémonie, et il y a 8-10 ans quand on a tous créé des structures parrallèles à Massilia, on s’est dit avec Lux, on va appeler ça Oaï-Star, et on va revenir à ce qu’on faisait avant de rencontrer les copains de Massilia, c’est-à-dire du Rock. Oaï-Star ça vient d’un truc historique, qu’on avait toujours en nous, à savoir qu’avec Lux on est un peu de la génération des enfants des Clash, cette période où les scènes reggae et punk à Londres se sont croisées. Oaï-Star, ça vient de ce crossover entre le rock et le reggae, on se sert du rock’n roll pour faire passer auprès des gens nos chroniques du quotidien.
Oaï-Star ne se met donc pas limites en termes d’influences?
On a un panel rythmique assez large, on est capable de faire des chansons qui font pogoter les gens aussi bien que de les faire danser… c’est ce qu’ont a essayé de faire sur le dernier disque d’ailleurs, on ne se refuse pas grand-chose en tout cas ! C’est un projet qui va au-delà de faire des disques et des tournées, ça nous sert à assouvir des envies artistiques… Notre fonction première, c’est que le samedi soir, quand les gens ont bossé toute la semaine, on a une heure ou deux pour faire un spectacle où ils s’oublient, où ils lâchent prise… on a vraiment cette fonction à remplir, le « lâcher-prise »… le « Oaï » c’est le bordel positif, c’est essayer de réveiller les consciences, c’est aussi bien faire du Punk-Rock que militer… mettre le Oaï c’est être actif, ne pas rester dans son canapé, être en éveil, éteindre sa télé et descendre au bistrot, militer dans les assoces… c’est ça le Oaï !
Ce quatrième album est, selon vos propres dires, un grand tournant artistique. A quel niveau s’est-il opéré?
C’est le décès de Lux qui a tout chamboulé… Oaï-Star c’est un groupe qu’on a monté avec Lux, qui était basé sur notre dualité, sur les joutes verbales, lui l’auguste, moi le clown blanc… la musique rock était un support derrière, mais ce qui faisait l’originalité du groupe, c’était cette dualité là. A partir du moment où Lux s’est envolé… le projet Oaï-Star ne voulait plus dire grand-chose pour moi. Mais à ce moment là je rencontre le petit suédois de 22 ans, Dubmood, qui fait de la musique avec des Game-Boys, qui fait une musique électronique évidemment, mais très punchy, qui va au-delà de la musique électronique tout court. La Chip-Music, la musique des processeurs, c’est un truc électronique bien-sûr, mais dedans tu as des types qui font du rockabilly, du reggae, … J’ai été charmé la première fois que je l’ai vu sur scène, le micro tournait et je l’ai pris. En fait, j’ai chanté avec lui avant de lui parler! J’ai eu la chance de tomber sur un type qui avait 20 ans de moins que moi mais qui avait été élevé en Suède et pas en France, donc qui avait une ouverture d’esprit, une maturité… quand tu parles avec lui tu te dis « Putain il a pas été à l’école de la République, lui ! ». Donc on a bien accroché et on s’est dit qu’il y avait moyen de donner un futur à Oai-Star, d’arriver à créer ce fantasme qu’on avait avec Lux depuis longtemps, une espèce de machine à danser, ce croisement entre les Bérus et Soulwax, mais sur la Canebière!
Mais il y a un truc que les gens ne savent pas, c’est comment Dubmood a déboulé en France ? Il était déjà là avant?
Ca c’est une bonne question. En fait Dubmood corrobore un concept que l’on avait depuis longtemps avec Massilia, c’est celui de l’identité choisie. Je suis marseillais parce que j’ai envie d’être marseillais, pas parce que mon grand-père est né là. Moi demain si je viens à Caen, je fonde le Caen Sound System, je me marie avec une caennaise, je deviens caennais même si je garde mon accent marseillais! Quand je rencontre Dubmood, ça fait un an qu’il est là, il est suédois, il cherchait un endroit exotique, c’était Macao ou Marseille, il a choisi Marseille. Donc il était là depuis un an, devenu marseillais par choix, car Dubmood va au stade, a l’accent marseillais, donc voilà. C’était une rencontre qui étaye ce que l’on défend ardemment. Marseille c’est complexe, c’est à la fois une ville cosmopolite, pleine de couleurs, mais c’est aussi une ville ou le FN réalise des scores énormes, où il y a le truc des supporters de foot « Fiers d’être Marseillais » qui était rigolo au début, mais qui maintenant opère un repli sur soi qui est un peu chiant. Moi je préfère entendre des gens dire « Moi je suis fier de ma planète » que des gens qui disent « Moi je suis fier d’être marseillais ». Moi j’aimerais bien qu’on soit fier de la planète et des trucs qu’on fait dessus. Là non, c’est « on est fier d’être marseillais », « les parisiens c’est des cons », etc. L’air de rien avec Massilia, depuis des années on fait un travail à ce niveau là, pour ouvrir un peu les esprits. OK c’est sympa de dire « Paris on t’encule » pendant 90 minutes, c’est folklorique, mais le prolo parisien qui supporte le PSG, il supporte encore plus le centralisme et les biberonneries gouvernementales que nous à Marseille, donc finalement il est peut-être plus à plaindre que nous. J’aimerais bien à un moment donné que tous les supporters de France arrivent à se mettre ensemble pour lutter contre le foot-business, contre le tout pour la tune, etc. Moi j’essaie toujours de leur passer ce message là. Dans les concerts de Massilia, y a toujours des types qui viennent affirmer leur identité, tout ça, donc quand ça reste rigolo, ça va, mais quand ça prend plus d’ampleur c’est toujours un peu délicat.
Sur cet album, Manifesta, il y a pas mal de collaborations, beaucoup de gens qui vous ont rejoint, comme Candice de Eths, qui vient du métal, comment sont arrivées ces rencontres?
De façon très naturelle en fait. Avec Candice on se connaît depuis quelques temps, on partage la même équipe technique, le même management mais on est aussi amis et on fait de la musique de Marseille vers le monde entier. On fait deux genres de musique éloignés, mais notre objectif c’était de rapprocher ces deux mondes distincts car on a aussi un héritage musical commun. Eths c’est un groupe intéressant car ils font du métal, mais ils se nourrissent de beaucoup de choses, ils ont une culture musicale assez large, et quand on est ensemble, on est assez proche, donc c’était une expérience intéressante, ça casse les chapelles un peu.
Vous faite un peu une musique de proximité, vous aimez chanter « ce qui se passe devant votre paillasson ». D’où vous vient cette envie de chanter le quotidien et d’être proches des gens?
C’est Bob Marley. La base de Massilia, c’est Bob Marley. Il chante ce qu’il se passe à Trenchtown, dans son quartier, et il est universel. Donc quand les gars ont fondé Massilia, ils se sont dit on va chanter ce qui se passe dans la ruelle, dans le quartier pour pouvoir dialoguer avec l’autre. Du Vieux-Port, on regarde vers le monde entier quand on écrit nos chansons. D’une autre manière, quand on écoute les chansons de Bob Marley, on se dit qu’il ne chante pas en anglais, mais en patois jamaïcain. Donc on va faire pareil, on va chanter en patois marseillais. Et le patois marseillais, c’est quoi ? C’est le provençal, l’occitan. L’Occitanie c’est tout ce qui se situe au sud de Lyon, Grenoble et Bordeaux, et l’occitan c’est une langue dialectale, formée de plusieurs dialectes, le béarnais, le provençal, le languedocien…donc on se dit on va s’emparer de l’occitan. Au début laborieusement, avec le dictionnaire, on traduit les textes, tout ça, et puis après on branche un prof d’occitan, on crée un cours d’Occitan à Marseille, nous-mêmes on apprend un peu la langue, la grammaire, la littérature… et on devient porte-drapeau de ce truc là ! Sauf que nous on dit qu’on ne parle pas Occitan, on ne chante pas ça parce que mon grand-père le parlait ou autre chose, on le chante parce qu’on veut faire comme Bob Marley ! Du coup maintenant c’est moi qui apprend des mots à ma mère… qui n’a pas eu la chance d’apprendre cette langue, car à son époque c’était dévalorisant socialement de parler le provençal. Donc notre rapport à la langue est intéressant, et fondamental pour comprendre notre démarche. Il est différent car en général les Corses, les Bretons défendent leur chapelle, leur identité, nous on n’est pas du tout dans ce truc là, et ça nous a sauvé de plein de conneries. Quand le FN gagne Vitrolles aux élections, la première chose qu’ils font, c’est ériger le drapeau provençal, car le régionalisme, ce n’est qu’un zoom du nationalisme. Nous on n’est pas dans cette optique là, on ne cherche pas à occuper ce terrain là.
Photo: Stéphane Dufresne
Comment tu arrives à différencier le travail que tu fais avec Massilia de celui avec Oai-Star ? En quoi l’approche est-elle différente?
Moi Gary, en tant que MC, tu me fais prendre le micro avec Massilia, avec Oaï-Star ou avec Sepultura, c’est la même chose, je suis le même, j’ai le même ressenti et la même manière de faire mon truc. Sur Oaï-Star, je suis sur un genre musical qui est un peu plus resserré que Massilia. Le reggae intègre tout. Si tu as un badge de Bob Marley, c’est une sorte de laissez-passer dans le monde entier pour dialoguer, en Afrique, en Inde, en Amérique du Sud. C’est une musique extraordinaire pour ça. Sur Oaï-Star, on fait du Rock’n Roll, c’est un peu Dubmood qui a les clés de la production musicale, donc la différence elle se fait dans la musique en elle-même. Moi-même je ne fais pas trop de différence, même si le son de Oaï-Star est devenu très particulier, surtout sur le dernier album, ça ressemble pas à grand-chose d’autre. On a réussit à créer une vraie identité musicale. On va rapidement travailler sur un nouvel album d’ailleurs. Parce que quand tu fais une rencontre forte comme celle avec Dubmood, le premier album repose beaucoup dessus. Je pense que dans le futur de Oaï-Star, on va radicaliser le son. Moi je vais vraisemblablement faire un album solo où je vais mettre toutes les chansons que je fais, les « Chérie, faut faire la vaisselle », tous ces morceaux là, ces côtés de mon personnage que j’aime beaucoup cultiver, mais sur Oaï-Star on va essayer de dissocier un peu ces deux facettes, le côté un peu plus chanson et l’autre où on fout le bordel.
Il y aura d’autres rencontres sur les projets à venir, un peu comme sur Manifesta?
Oui, plein d’autres, j’ai déjà des idées sur ce plan là, avec d’autres chanteurs. Dans Oaï-Star, surtout depuis que je suis tout seul, j’aime faire des duos, aller plus jouer à l’étranger, donc pourquoi pas faire des duos là-bas… Sur le dernier disque, je me suis beaucoup aidé de mon collègue Claude Sicre des Fabulous Troubadours, qui pourrait être mon père et qui me guide depuis longtemps, et qui fait partie de mes maîtres à penser avec mes deux autres collègues de Massilia. Quand je suis rentré dans Massilia, j’avais 18 ans, je connaissais rien au monde, je suis devenu un homme avec mes deux grand frères, donc j’ai un rapport particulier à tout ça. Moi la vie sans Massilia, sans Oaï-Star, sans les tournées, je connais pas, donc j’ai besoin de ces grand frères à qui je montre mon travail, qui me donnent des conseils… pour eux, qui ont entre 50 et 60 ans, le développement de Oaï-Star est important, pour leur vision de la musique, de la province, c’est donc important qu’ils m’épaulent. J’ai 40 ans mais je suis seul sur scène depuis deux ans seulement, je n’avais jamais pensé être chanteur, ça m’est tombé dessus et ça m’a beaucoup transformé aussi, j’ai pris beaucoup plus confiance en moi. Donc Oaï-Star qui était un truc pour déconner à la base avec Lux, est devenu une aventure qui a presque dix ans maintenant, et le fait qu’un petit jeune de 23 ans soit dans le bus avec nous maintenant, c’est un gage de pérennité.
Impossible de s’entretenir avec toi sans te demander ce qu’il advient de Massilia…
Ca continue, quand on est dans une année où on ne sort pas d’album ou qu’il n’y a pas de tournée, on fait quand même une dizaine de dates l’été… on a fait des concert hallucinants… on en a fait huit dernièrement, à chaque fois c’est un plaisir énorme,le public est en fusion… d’autant plus que depuis que Lux n’est plus là, ça a encore plus cimenté le truc. Ca ne nous appartient plus Massilia depuis deux ans. Depuis deux ans, Massilia, ça appartient aux gens. Quand on a créé ces projets solo, comme Oaï-Star, c’était pour gérer la rareté de Massilia, des sorties du groupe et ne pas refaire cent fois les mêmes choses. On fait un disque quand on en a envie, quand ça veut dire quelque chose. Je pense qu’au printemps prochain on se mettra au travail sur un prochain album de Massilia, après les sorties des divers projets solos. On gère mieux notre truc maintenant, on a un peu plus la main sur notre destin, on a racheté tous nos disques à nos anciens producteurs, on s’est restructuré…
Les Chinese Man jouent demain ici (à l’occasion de l’Artsonic de Briouze, NDLR), vous venez là encore du même coin qu’eux, vous vous connaissez un petit peu?
Ouais je les aime beaucoup. Quand on est dans un festival à l’autre bout de la France, on va les voir, ils viennent nous voir… la dizaine de groupes marseillais qui tournent, même dans des styles éloignés, se connaissent plus ou moins, et eux en plus ils font un projet de qualité, ce sont des jeunes qu’on aime beaucoup et qui marchent bien en plus… Quand est-ce que vous faites une chanson en Occitan les Chinese Man, hein? Allez, Aïoli à tous !
Merci à Gary pour sa disponibilité et sa bonne humeur!
Merci à Julien (Math Promo) et à l’association Artsonic de nous avoir permis de réaliser cette interview.
Merci à Radio 666 d’avoir partagé ce moment avec nous.