Les Norvégiens de Shining reviennent régulièrement dans nos colonnes, notamment grâce aux actualités de Nathalie. Avec leur 8ème sortie Animal, le groupe a, une nouvelle fois, pris ses fans de court. Comme si faire du metal avant-gardiste, du rock progressif et du jazz fusion ne suffisaient pas, Shining opère un nouveau virage musical surprenant, avec un album très nettement influencé par le hard-rock des 80’s. Catherine vous a déjà fait revivre en photo leur dernier passage dans la capitale au Backstage By The Mill. Mais nous en avons également profité pour les rencontrer dans le bus de tournée, juste avant leur concert.
Entretien avec Jørgen Munkeby, leader chanteur multi-instrumentiste et tête pensante de ce groupe à géométrie très variable. On vous laisse profiter de l’album pendant votre lecture.
Salut Jørgen, ça va ? comment te sens-tu avant ce concert ?
Ça va, je suis excité. Hier, c’était un très bon concert même si j’ai l’impression d’avoir poussé ma voix un peu trop fort. Alors je reste concentré aujourd’hui.
Sur cette tournée, vous jouez presque tous les jours. Ça doit être épuisant ?
Oui, c’est un peu dur, mais c’est toujours comme ça en tournée…
Comment s’est passée la première partie de la tournée ? Vous êtes déjà allés en Norvège, en Angleterre et en Belgique.
C’était bien, c’est généralement mieux en Europe qu’en Norvège pour diverses raisons. Alors hier soir, à Nantes, pour le premier concert français, c’était vraiment très fun, donc je pense que ça va être une très bonne tournée.
Comment le public a-t-il réagi par rapport au nouvel album, qui est vraiment très différent des précédents ?
Étonnamment, il y a eu beaucoup de retours à ce sujet, mais je ne pense pas qu’il soit si différent que ça, lorsque tu le compares à nos autres albums. Et quand il s’agit de le reproduire en live, ça donne au concert une ambiance plus variée. Avant Animal, nous avions l’impression d’avoir un seul type de chanson, un seul “niveau de puissance”, avec un seul tempo ou presque. Et maintenant, nous sommes capables de délivrer des ambiances différentes, des tempos différents, des vibrations différentes, donc c’est vraiment bien. Récemment, j’ai interrogé le public pour savoir qui nous avait déjà vu, et qui découvrait le groupe. Apparemment, la moitié du public ne nous avait jamais vu. Et même si les nouveaux venus préféraient les chansons les plus récentes, ils ont eu l’air d’apprécier les anciennes. Il y a encore beaucoup à faire, le disque vient de sortir. Et je pense que nous verrons bientôt ces deux types de public fusionner. Le “nouveau” public s’intéressera à nos anciens morceaux, tandis que l’”ancien” public commencera à écouter le dernier album.
Donc, sur scène, vous ne jouez pas que les nouveaux titres ?
Non, non, très peu de groupes font ça quand ils ont un nouveau disque. Tu vas toujours jouer tes meilleures chansons, celles qui marchent le mieux. Mais certains pensent que nous n’allons jouer que des nouveaux titres. C’est quelque chose que je n’ai jamais dit, et c’est très rare de faire ça.
Parlons maintenant de l’album Animal :
Par rapport au titre “Animal” : est-ce une métaphore de votre nouveau style ? Jouer votre musique d’une manière plus instinctive (moins cérébrale) ?
Quand nous avons écrit la musique de cet album, je me suis efforcé de faire appel aux émotions plutôt qu’à l’intellect. Tu vois, avec l’album Blackjazz en 2010, c’était un concept vraiment cérébral. Tu as besoin de le replacer dans un certain contexte musical pour l’apprécier pleinement et mesurer son importance. C’est un bon album en soi, mais une grande partie de sa réussite vient du fait qu’il combine certains genres musicaux d’une nouvelle façon. Donc, ça reste un trip intellectuel. Avec Animal, tu n’as pas besoin d’avoir de connaissances particulières sur l’histoire de la musique. Pour l’apprécier, tu as juste à te laisser porter par la musique, la différence est là.
Qu’est-ce qui a influencé cet album ? Peut-être la musique des années 80, avec les synthés ? le hard rock de cette époque ?
C’est vraiment difficile de te donner un résumé de ce que j’écoute, parce que j’écoute tout. Il y a bien des synthétiseurs des années 80 dans l’album, des riffs de guitare qui sonnent 80’s…. Mais il y a aussi des éléments de metal actuel, des mélodies pop et tout un tas de trucs nouveaux.
Qui a fait la pochette ?
Les mêmes personnes avec qui nous travaillons depuis 2010. Cependant, je voulais que ce soit différent. On y a beaucoup réfléchi et beaucoup travaillé dessus pour qu’il ait cet aspect.
Pour cet album, le chant est plus mélodieux qu’avant. Comment as-tu changé ta façon de chanter ?
Il y a beaucoup de pratique, beaucoup de travail et ça ne s’arrête pas. D’abord, tu le fais en studio, sur tes chansons, sur chaque phrase, une par une. Mais tu dois aussi le faire en live tous les soirs pendant des mois et le combiner avec ton ancien style de chant. Par exemple, si je sature ma voix, et que je ne le fais pas avec la bonne technique, je peux avoir plus de difficultés à faire le chant clair. Il faut s’y habituer, apprendre tous les jours. Comme je te l’ai dit, hier, j’ai un peu forcé sur ma voix. Et je le ressens maintenant. C’est un travail de longue haleine : je le fais depuis plusieurs années et je vais continuer à le faire.
Dans les vidéos de l’enregistrement visibles en ligne, tu sembles un peu stressé, notamment à cause du manque de temps. Cet enregistrement a été particulier pour Animal ?
C’était différent parce que nous voulions jouer live en studio, ce que nous avons effectivement fait. Ça veut dire que tout le monde devait être au studio en même temps. En amont, j’avais préparé des démos, et nous avions enregistré la batterie. Puis nous avons fait tout le reste en studio. Nous avons alors réservé un certain nombre de jours, et avons pensé que nous n’aurions pas besoin de toutes les journées prévues (louer un studio, ça coûte cher). Nous avons donc économisé ce que nous pouvions. Pourtant, cela a pris un peu plus de temps que prévu, ce qui a été un peu stressant. Je voulais garder une sensation organique dans le jeu du groupe, mélangée à un mix et un son plus commerciaux, afin d’obtenir le meilleur des deux.
Parlons maintenant de quelques titres de l’album :
Dans My Church : tu dis « Welcome to my church« . Comment définis-tu ton église ?
A vrai dire, les paroles sont parties d’une idée, pour finir vers une autre. Dans la chanson, je répète « God can you hear me ?« . Je ne suis pas croyant mais je pense que parler à Dieu, ça colle mieux dans ma musique que dans ma vraie vie. Le message est très désespéré. Quelque chose a vraiment mal tourné et tu as l’impression qu’il n’y a aucun moyen de le réparer. Ton dernier espoir est d’appeler à l’aide au hasard, en te demandant si quelqu’un peut t’entendre. Et évidemment, tu sais que les choses vont mal, c’est douloureux. Tu es en perdition et en colère pour ce que tu a fait. En fait, c’est un peu mon monde d’une certaine façon. Ce n’est pas une expression positive quand je chante “bienvenue dans mon église”. C’est plutôt ‘bienvenue dans mon église où tout ne va pas bien”. Une église à l’envers en quelque sorte (rires)
When I’m gone, Everything dies, End = ces 3 chansons parlent de la mort, mais d’une manière positive. C’est ta philosophie ? Voir la mort comme une partie de la vie ?
La mort est un phénomène naturel que nous allons tous connaître, tôt ou tard. Et c’est dur, c’est triste et merdique. Je ne dirais pas que c’est positif mais c’est naturel. Dans Everything dies, on peut dire que c’est positif parce que c’est la mort qui parle en fait (rires). Par contre, pour When I’m gone, je ne pense pas que ce titre soit positif…
Peut-être est-ce la musique qui a une tonalité assez positive alors ?
Oui, c’est aussi une grande qualité d’Animal. On y trouve des paroles sombres, graves et tristes. Et à côté, la musique est plus entraînante et détendue. Tu retrouves ce genre de contraste, ce qui le rend plus intéressant à mon avis.
Sur Hole in the sky, tu chantes avec Linnea Dale. Comment s’est organisé ce duo ?
J’ai d’abord écrit la chanson, et elle a été enregistrée avec ma partie vocale seule. Cependant, même avant d’enregistrer mon chant, nous avons réfléchi à inclure une chanteuse. Nous avons passé un ou deux mois à chercher. Nous avons pensé à des chanteuses très célèbres aux USA, au Royaume-Uni, et aussi en Norvège. J’ai fini par me dire qu’il était plus important pour moi de trouver une personne qui pourrait venir à mon studio, avec qui je pourrais travailler en étroite collaboration pour obtenir toutes les nuances recherchées dans ce morceau, plutôt que de choisir une chanteuse célèbre, juste parce qu’elle est célèbre. Alors j’ai pensé à Linnea : elle vit à Oslo, je connais son mari et je me suis dit que sa voix cadrait bien avec la sonorité années 80 que je voulais avoir sur la chanson. Donc je l’ai appelée et ça s’est fait simplement.
Shining aura 20 ans l’an prochain. As-tu prévu quelque chose pour fêter ça ?
Non, pas vraiment. Je ne pense pas beaucoup au passé, surtout pour la musique. Je pense à l’avenir. Je sais que Blackjazz aura 10 ans en 2020. Ce sera peut-être l’occasion de faire quelque chose à ce sujet. Mais le fait que nous ayons commencé il y a 20 ans m’indiffère.
Quels sont tes objectifs pour l’avenir du groupe ? Peut-on s’attendre à d’autres évolutions ?
Je n’en ai aucune idée… probablement ? C’est difficile à dire. Je ne planifie pas ce genre de choses. Je fais ce que je pense être juste.
Pour finir, as-tu une anecdote intéressante à propos d’un concert ? Un bon ou un mauvais souvenir en tournée ?
Pour les mauvais souvenirs, j’ai tendance à les oublier. Pour un concert marquant… puisqu’on est à Paris, juste à côté du Divan du Monde, nous avons joué dans cette salle en 2015, 5 jours après l’attaque du Bataclan. C’est quelque chose dont je me souviendrai toujours. Le fait de se décider à jouer, de monter sur scène, même si tout le monde avait encore peur des terroristes, et de faire ce concert. J’ai commencé ce soir-là en jouant La Marseillaise au saxophone : tout le monde chantait. Tu peux le voir sur YouTube. Nous ne l’avons pas filmé mais il y a pas mal de vidéos de ce concert, donc c’était une soirée très particulière…
Entretien réalisé le 09/11/2018 par Poisontheseb et Catherine Alberola
Crédits photos : Catherine Alberola
Un très grand merci à Jørgen ainsi qu’à Olivier et Roger de Replica Promotion pour l’organisation et l’accréditation.
PS : Shining revient en France le 15/03 prochain, pour jouer à Guyancourt dans le cadre du festival Metal Sphere.