À l’occasion de la dernière venue des punk rockers de Diego Pallavas en Essonne, nous les avions rencontrés en coulisse juste avant leur passage sur scène. Pour resituer le contexte historique, le Covid était encore une menace sourde et le pogo une pratique bien plus répandue et recommandée que le télétravail. Entretien avec Bat Bat, le chanteur emblématique du groupe.
Ce soir, vous jouez dans le cadre de la tournée Lise Cabaret / Stygmate. Les prochaines dates de Diego Pallavas vont-elles suivre cette tournée ?
C’est un week-end, on est sur la route. Le gros des dates pour la sortie du dernier album est passé. C’est la fin d’un cycle. Mais bon, l’intérêt c’est de faire des dates avec des gens que nous connaissons et apprécions.
Oui : Lise Cabaret, Stygmate et Diego, c’est même une affiche familiale ce soir ?
Ah bah ouais carrément, manque plus que « Grand » Paul Péchenard1 et on est au complet.
Comment s’organisent vos dates de concert en général ? Y’a-t-il un plan ou est-ce improvisé ?
C’est plutôt improvisé. Ce sont les organisateurs qui nous contactent la plupart du temps. Et puis après c’est surtout en fonction des agendas de chacun. C’est vrai qu’il n’y a pas grand-chose de planifié. Ça tourne pas mal comme ça depuis trois ans.
Peux-tu me présenter le “Diego Pallavas” actuel ?
Il y a Ludo à la basse, David Stygmate à la guitare, de temps en temps Armand aussi. Nico à la batterie (qui joue aussi dans Rebel Assholes). Et puis moi Bat Bat, membre fondateur. Là pour l’instant nous sommes quatre. Mais parfois, nous faisons aussi des dates en trio où David passe à la basse, quand Ludo est absent. Ça arrive assez rarement : une ou deux dates sur dix environ.
Et comment se gère la transition quand vous passez de 4 à 3 sur scène ?
Ben c’est un peu casse-gueule mais globalement on arrive à relever le défi. Au niveau de l’ambiance générale des concerts, c’est quasiment similaire. C’est un autre délire quand nous sommes en trio, je me sens un peu plus libre. Je me retrouve sur la config sur laquelle les chansons ont été créées. Alors que quand on joue à 2 guitares, il faut jouer exactement la même partie, sinon tu as des dissonances. J’aime bien les deux formules : tout le monde s’éclate. David a un peu plus de réticences quand il doit passer à la basse, il flippe un peu. Puis au final, ça se passe très bien à chaque fois.
Comment gérez-vous les concerts avec vos éloignements géographiques ?
David est à Paris, Ludo et Manu (notre roadie, road manager, celui qui tient le volant, qui organise un peu tout le merdier) sont à Nancy. Nico et moi sommes sur Strasbourg. Ensuite, ça dépend où nous jouons. Si c’est en Bretagne, nous passons par Paris, ça va bien. Là où c’est plus compliqué c’est lorsque nous allons dans le Sud. La plupart du temps, on se donne des points de rendez-vous dans la vallée de la Saône. Nous regroupons tout dans un seul camion au final.
J’imagine que ce n’est pas évident pour répéter ?
Non en effet, on ne répète pas beaucoup, à peu près 1 fois par an.
Si j’ai bien suivi, vous avez été enregistrés pendant votre dernier concert à la Maroquinerie ?
Nous avons enregistré plusieurs concerts récemment dans l’optique de sortir un live : celui d’Epinal, sold out où nous avons fait une grosse setlist d’une heure et quart. Nous avons enregistré aussi une date à Nancy et celles de la Maroquinerie en multipistes. Le boulot ça va être de réécouter, et pourquoi pas, de faire un panaché entre ces quatre dates ? Pour l’instant, je suis en train de courir après les derniers fichiers. Faut que j’aille chez un mec dans un studio, faire des a plats et voir si on mixe. Je pense qu’il y a eu du bon dans ces concerts.
Effectivement, je me rappelle que la deuxième date de la Maroquinerie avait quelque chose de plus que d’habitude
Ça c’est surtout dû à l’arrivée de Nico dans le groupe, qui a remis un bon coup de vitamines à la bat’ derrière. Je suis content de notre rendu sur scène aujourd’hui. Nous avons pas mal tourné, pas mal bossé. On a des moments plutôt gag, voire théâtraux qui sont un peu réglés à l’avance. Ça faisait longtemps que j’avais envie d’avoir un vrai spectacle avec Diego Pallavas.
En plus, vous avez un gros stock de chansons maintenant…
Ouais c’est sûr qu’avec quatre albums, un split, plus tout ce qui s’est fait, nous avons le choix. La difficulté, c’est d’arriver à faire une setlist cohérente et de retirer des morceaux. Souvent des gens viennent nous voir et disent “Ah mais pourquoi vous ne jouez pas celle-là ?”. Par exemple, des morceaux du premier album : Ton Portable ou Le Blues du Punk Rocker. On ne peut pas tout jouer.
Ou peut-être “La Capitale” le titre que vous ne jouez jamais en concert à Paris 😉 !
Elle est revenue dans le set la semaine dernière. A la base, ce n’est pas une chanson sur Paris, mais sur Nancy. C’est un mix entre les capitales de région et ce qu’on avait l’habitude de voir à l’époque sur Arte dans Tracks où ils ne parlaient que de Berlin, comme si tout se passait là bas. Ça m’a fait marrer, j’ai écrit la chanson un peu en croisé sur ces deux thématiques. Sur le côté capitale culturelle “oui alors, on a inventé une nouvelle danse” et puis ce côté assez ridicule de capitales de régions où des gens se la pètent et ne font pas grand chose. Je viens d’Epinal : une ville de 35 000 habitants dans un département complètement rural. Et lorsque cela devient “Epinal by night” le soir, dans les boîtes, les bars de nuit, tu croises des espèces de zigotos qui s’y croient comme s’ils habitaient à Ménilmontant. C’était pour faire un pied de nez à tout ça.
Allez-vous continuer à avoir une dimension scénique visuelle ? Par exemple sur les tournées précédentes, vous étiez maquillés. Et en général, tu portes une dent noire sur scène ?
Ouais à la Maroq’ j’ai oublié de mettre ma dent noire et de me maquiller, c’était trop speed. L’heure du concert est arrivée super vite. Nous avons toujours la dimension visuelle avec les lampes, les confettis (quand on a le droit).
Y a-t-il un nouvel album en préparation ?
Oui j’ai six chansons éligibles. Les autres ne les ont pas encore entendues. Faudrait que je me détende là-dessus, je suis bloqué. Je dois avoir à peu près 26-27 idées de chansons mais j’ai du mal à les concrétiser. Et aussi je n’ai pas vraiment le temps de bosser réellement dessus. Peut-être un petit travail en commun ou en tête à tête avec chaque membre du groupe ? J’ai vaguement des thématiques que je n’arrive pas à développer…
…C’est justement la prochaine question. Quelles sont les thématiques du prochain album ?
Parmi les chansons finies, j’ai un titre sur les banquiers, ceux qui se sentent tout puissant et qui mettent des coups de pression aux gens qui n’ont pas de thune, qui sont à découvert. Ces gens-là ne sont pas toujours humains. Il y a aussi un morceau sur le monde du travail plus léger, qui parle de ceux qui vont à la photocopieuse ou la machine à café pour glander. Il y a un titre sur les pervers. J’ai eu affaire dans mon passé à des personnes plutôt proches, qui étaient soudées, avec des mécanismes très pervers d’humiliation. Je voulais faire aussi une chanson sur la décrépitude physique. Je viens de passer la quarantaine, je commence à constater des trucs et je voulais faire un morceau rigolo là dessus.
Et justement, du fait de l’éloignement géographique, comment se passe le processus de création ? C’est toi qui prépare tout à la base ?
Ouais bah de toute manière, j’ai quasiment toujours tout composé tout seul, que ce soit au niveau des paroles ou de la musique. Pour le reste, les arrangements, les ajustements sont faits en groupe. Ou bien ce sont carrément des collaborations. Soit avec un membre de Diego ou des gens extérieurs, qui nous donnent des textes que je mets en musique (voire l’inverse).
À ce sujet, vas-tu encore travailler avec des gens comme Pierrick Starsky, Fixce ou Alex de Justin(e) ?
Non, mais j’ai discuté avec les Justin(e) quand nous avons joué au début de l’année dernière. Je leur ai dit que je galérais un peu sur les textes. Fixce et Alex m’ont dit “quand tu veux”. Cependant, je pense que ce n’est pas encore trop le moment de les solliciter. Et avec Pierrick, je sais qu’il fonctionne mieux sur ses propres morceaux. Il m’envoie un titre déjà prêt en général. Enfin, dans ma musette j’ai deux ou trois textes de Jean-Marc Royon (aussi connu sous le nom de Joblard), vraiment bons mais difficiles à mettre en musique.
Les textes de Diego ont un côté littéraire. Quelles sont tes références ?
Putain, t’es bien le premier à me le dire ! Mes influences littéraires ? Je lis beaucoup de polars. Et du coup, c’est du roman de gare, pas de la grande littérature. Mais ouais je lis beaucoup, des bd notamment. C’est assez pointu. En polars, j’aime bien Rivages/Noir, Série noire, Fleuve noir, Jean-Patrick Manchette, Jean-Bernard Pouy. Et puis ces derniers temps, Joblard n°2, l’Hygiène de La Vermine, super bien ! Ce n’est pas de la grande littérature, les classiques, machins… ça, je ne sais pas, je n’ai jamais ouvert. Ce sont des gens que l’on connaît. Quand j’écris, je m’inspire des expressions des gens que je rencontre, voire de ce que j’entends dans les films.
Et musicalement, quelles sont tes influences et références ?
J’aime bien The Clash, les groupes anglais de la première heure de la vague punk. J’adore aussi les Ramones, New York Dolls, 999, The Damned, les Sex Pistols. Dans les années 80, plutôt du rock alternatif français : les Wampas, les Ludwig, les Sheriff, et Zabs2 dans les années 90. Ensuite, un peu de street punk comme Oxymoron. Je suis né en 77. Donc, en 94, on écoutait Nirvana, RATM, Metallica. Dans les années 2000, plutôt les gros noms : The Strokes, Queens of The Stone Age, super classe tout ça… En ce qui concerne les influences, il y a tous les gens qu’on connaît : Justin(e), Paul Pechenard, Guerilla Poubelle, Mononc’ Serge. Ce que fait Didier Super aussi. Tout ça s’est un peu mélangé. Tu pioches de manière inconsciente dans ce que tu écoutes ou que tu aimes bien.
D’où vient ton inspiration pour Mulhouse, la chanson phare du dernier album ? Un mauvais souvenir de concert ou souvenir perso ?
J’y ai vécu 15 ans. Ce furent des années difficiles parce que j’arrivais d’ailleurs. La mentalité y est particulière. Il y a une espèce de chape de plomb sur la ville. C’est une histoire particulière Mulhouse. C’est une ville champignon qui a beaucoup poussé dans les années 20 et les années 70. Et puis tout s’est cassé la gueule. Ensuite, c’est compliqué pour redynamiser la région, économiquement parlant. Ils ont essayé de mettre en avant, tu sais, le côté 2.0 des années 2005-2010. Avec un tram, des initiatives culturelles… Mais en fait les gens n’ont pas le moral. Dès qu’il y a quelque chose qui pourrait fonctionner, ce sont tout de suite des batailles d’ego. Et alors, soit ça foire, soit c’est dévoyé de sa direction première. En tout cas, c’est un peu le goût amer que m’a laissé Mulhouse. Sur place, j’avais beaucoup de connaissances mais pas vraiment de potes proches. Et j’ai écrit ce texte parce qu’un soir, j’avais discuté avec quelqu’un qui me disait “Non c’est une ville géniale…” qui ne voulait absolument pas entendre mes arguments. Je lui disais “Écoute toi tu es né ici. Tous tes potes de la maternelle sont là. Tandis que moi qui suis une pièce rapportée, je trouve que c’est pas super inclusif comme ambiance ». J’ai cherché, on peut pas dire. En 15 ans je suis allé fouiller quasiment dans tous les milieux. Je n’ai pas trouvé mon bonheur. Voilà, j’ai voulu faire un petit coup de provoc pour me marrer. Surtout que je sais qu’ils sont sensibles à ça.
Récemment vous avez rejoué à Mulhouse, ça s’est passé comment ?
Nous avons joué le titre en deuxième position comme d’habitude. Et j’ai dit “écoutez messieurs-dames, je vous propose de vous diviser en deux catégories : les deuxièmes degrés vous venez de mon côté et les premiers degrés du côté de David. Par contre j’avais un peu peur car ils avaient demandé des subventions à la ville. Et il y a eu un article dans le canard local, « l’Alsace » sur ce morceau là, forcément… Il y a un bout des paroles assez dur, où je sous-entends qu’il n’y a que des fachos… Je me suis dit « Ouais je vais avoir des problèmes » . Cependant, je pense que le côté personnage a fait passer la pilule « C’est pas moi qui le dit, c’est mon personnage ». Séparer l’œuvre de l’artiste (rires).
Que penses-tu de la scène punk actuelle ?
Bah c’est vachement bien. Elle est très divisée, très sectorisée. Je pense qu’on pourrait peut-être faire tomber des barrières. Nous n’avons jamais eu trop de dogme en quoi que ce soit. Je pense que nous sommes à peu près les bienvenus partout. Je trouve ça dommage que les gens ne se mélangent pas. Ou qu’il y ait des gens d’un certain public qui crachent sur les groupes d’autres secteurs.
La musique ce n’est pas du sport, on n’est pas obligé d’être en concurrence permanente…
Pas de la concurrence. Des fois c’est un peu destructeur. On entend des trucs qui ne sont pas cool et qui ne servent à rien. Je ne suis pas là en train de dire « peace… ». Tu peux avoir des choses à reprocher à des gens, notamment au niveau politique. Mais quand on arrive à peu près à se rejoindre sur l’essentiel je pense qu’on peut « faire fi de nos différences ». Plutôt que de faire deux concerts à 50 personnes, faisons un concert à 100 personnes.
Quels sont les projets pour le groupe ? Peut-on s’attendre à des évolutions ?
Là je suis en train de bosser sur un morceau qui fait un peu reggae. Après si ce n’est pas réussi ça ne sortira pas. Niveau évolution, nous avons deux, trois idées en tête sur le son. Je ne saurai pas vraiment te dire. On n’a pas prévu de changer radicalement. Peut-être quelques petites pièces pour donner des couleurs à droite à gauche. Il faut juste que je termine les nouvelles chansons, pour qu’on les répète et qu’on les enregistre, tout cela prend du temps… Allez, je crois que Stygmate a fini de jouer, je vais aller constater le four (rires).
Remerciements :
Bat Bat et ses acolytes, pour leur excellent accueil et leur affabilité coutumière,
Emmanuel Rupp, pour les très belles photos du concert,
La Mjc St Exupéry de Viry Châtillon (91), qui organise régulièrement des concerts punk.
Thibaut S pour son aide dans la préparation de l’interview.
1. présent dans la loge ↩
2. Zabriskie Point ↩