Alors que le trio marseillais vient de sortir son premier album conçu en tant que tel, Racing With The Sun, et qu’il sillonne la France pour le présenter, accompagnés de ses différents MCs internationaux qui œuvrent sur celui-ci, il était justement temps d’arrêter un peu la course pour analyser les différents aspects du projet Chinese Man, ainsi que les envies et les ambitions de ses instigateurs pour continuer à insuffler l’esprit Zen à travers le monde. Voilà donc comment High Ku, Sly et Ze Mateo vivent cette année si importante de la dynastie Chinese Man…
En plein cœur de cette tournée, entre salles et festivals… comment est-ce que ça se passe?
Ze Mateo: Bien… Très bien même!
High Ku: On est un peu crevés, toutes les grosses dates du début de la tournée se sont bien passées, le passage à une jauge supérieure entre les deux lives s’est bien fait aussi, le public répond présent…
Z.M.: On va toucher du bois!
Sly: Cette année on a les rappeurs américains qui nous rejoignent sur scène pendant un mois, puis les indonésiens dont Dub Youth… donc ca va souvent changer, ce qui est bien pour les gens qui viennent nous voir car ils ne verront pas deux fois le même spectacle, et c’est aussi bien pour nous car on a l’impression de ne pas rejouer le même set…
H.K.: A la rentrée, il y aura Cyph4 qui nous rejoindra sur scène aussi, ce qui nous obligera à changer encore la setlist… et bien sûr Taïwan MC qui est avec nous sur toute la tournée et qui apporte ce côté MC qu’on n’avait pas avant.
Au niveau de l’approche musicale et de votre façon d’aborder les choses, qu’est-ce qui a évolué par rapport au premier live?
H.K.: On a un peu plus de jouets sur scènes!
Z.M.: Ouais, un peu plus de jouets… on a le VJ qui est avec nous sur scène maintenant, la playlist qui est plus pensée «live», la vidéo plus poussée, l’expérience de deux ans à tourner sans cesse… Le premier live, on l’avait beaucoup modifié au fur et à mesure, tandis que celui-ci, même si on le fait évoluer tout le temps, il était déjà bien établi à la première date à Marseille. C’est surtout au niveeau du VJ que ça a évolué, avec un écran plus grand, des split-screens, des caméras, un truc vidéo beaucoup plus dynamique en fait. Même s’il y a toujours du narratif, c’est beaucoup plus vivant.
Avec un petit recul par rapport à la sortie de votre premier véritable album, quelles sont vos satisfactions et peut-être vos quelques regrets à l’égard de celui-ci?
S.: La plus grosse satisfaction est d’avoir pu le faire comme on le voulait et comme on l’avait envisagé au début. A notre hauteur, mais dans des conditions idéales, même si ça a été plus speed à certains moments. On est fiers du résultat en plus… Les déceptions? Il y a un featuring qu’on aurait aimé faire et qui ne s’est pas fait pour des raisons de timing, mais à part ça…
H.K.: Il y a toujours plein de petits trucs que tu voudrais améliorer, mais à titre personnel, je ne ressors pas avec une frustration quelconque. Et le retour des gens a aussi fait qu’à un moment donné, on s’est dit qu’on ne s’était pas trompé, au moins dans l’intention. Le résultat peut plaire ou ne pas plaire, mais j’ai l’impression que les gens peuvent retrouver ce qu’ils ont aimé dans Chinese Man, mais en même temps avec un truc en plus. Pour les gens qui nous connaissent depuis longtemps, ils voient la différence entre composer des maxis pour des DJs et créer un album conçu en tant que tel.
Une des grosses satisfactions, est-ce justement d’avoir pu faire découvrir au public français vos featurings, des Mcs encore peu connus en France?
S.: Oui, bien sûr! En plus, dans le fond, ce n’était pas pour les faire découvrir, mais ça nous semblait évident car ce sont des gens que l’on connait depuis longtemps ou que l’on a rencontré en tournée, et ça a collé parfaitement. C’est une grosse satisfaction aussi de ne pas avoir eu la pression d’une maison de disque qui nous aurait imposé un featuring… Là on a pu tout choisir, du graphisme à la musique…
Je trouve qu’il y a un parti pris très «roots» pour cet album, un son orienté reggae… est-ce que vous partagez cette vision?
S.: On nous l’a souvent dit. C’est pas forcément conscient… même s’il y a des côtés Dub dans les effets, les batteries… après ce n’est pas vraiment revendiqué au départ.
H.K.: Ça vient sûrement un peu de la personne qui a mixé l’album. C’était la première fois que quelqu’un d’extérieur au groupe faisait un mix final sur nos titres. C’est quelqu’un qu’on a connu par Femi Kuti, c’était son ingé son, et il a beaucoup fait de hip-hop, de reggae… On ne le savait pas quand on l’a rencontré, et c’est vrai que petit à petit, on voit les petites touches apparaître, les reverbs, les delays qu’il a emprunté au Reggae/Dub. On a un son qui a beaucoup de contraintes à cause des samples, des fréquences que l’on ne peut pas récupérer, donc on doit tricher sur plein de choses pour faire un ensemble cohérent, et il a beaucoup fait dans ce sens-là. On voit beaucoup ça dans le trip-hop, où les gens utilisent les effets du Dub pour créer cet univers un peu moins froid que le hip-hop pur.
Il y à toujours ce côté «archéologique» dans votre musique, avec des samples improbables ou très anciens. Est-ce vraiment votre marque de fabrique ou simplement quelque chose que vous prenez plaisir à faire?
S.: C’est comme ça qu’on fait de la musique! C’est super marrant, déjà, d’écouter des vieux disques chinois.
Z.M.: Ça reste nos recettes de base d’aller chercher des vieux samples, des vieilles voix, et c’est toujours pertinent de créer un truc un peu intemporel. Si tu prends un discours un peu engagé de la fin des 70’s, ça reste toujours très actuel et c’est ça qui est intéressant.
H.K.: Après, il y à les interludes qui ont servi l’idée d’un album, car on n’avait pas fait ça avant, à part en intro ou en fin de morceau. Ça a aidé à lier les différentes énergies qu’il y à entre les morceaux. Et on aime bien le côté second degré, l’aspect ludique…
Vous parliez de discours engagé, est-ce qu’il y a des messages plus particuliers que vous avez envie de véhiculer, peut-être revendicatifs?
Z.M. : On n’est pas clairement engagés, mais on a nos convictions. Il y a des discours qu’on va utiliser mais dont on va supprimer des segments car ils sont trop liés à l’actualité, mais qui représentent une forme d’indignation ou de révolte. Après chacun voit ce qu’il a envie de voir à travers ces propos.
H.K.: Après il y à des coïncidences… par exemple «Stand», c’est un morceau avec des violons égyptiens et un discours de Jesse Jackson sur le fait d’être quelqu’un et d’exister, donc forcément comme il y a des révolutions dans les pays arabes ça a un écho particulier…
J’ai entendu à de nombreuses reprises des passages de vos titres dans des émissions TV, est-ce que le petit écran va à nouveau s’approprier votre musique pour illustrer des images ?
H.K.: Bah on a pas trop le choix, on ne nous demande pas la permission!
Z.M.: C’est de l’illustration sonore, tu cèdes tes droits à la SACEM, et les chaînes de TV piochent dans cela. Si ce n’est pas lié à une exploitation commerciale, tu peux trop rien dire.
Avez-vous eu à nouveau des propositions de publicités, comme ça avait été le cas avec «I’ve Got That Tune» qui avait fait un carton?
Z.M.: Quelques-unes, oui, poliment refusées.
H.K.: Il y a des trucs qui ne nous correspondent pas au niveau de l’éthique, et d’autres où les gars veulent associer ta musique à une marque et ne pas te payer derrière. Donc ça a été non dans les deux cas.
Maintenant que vous avez sorti un bel album, ce qui était l’un de vos souhaits, que vous faites une tournée qui est un franc succès, quelle est la prochaine étape?
S.: Des vacances! Non, plus se concentrer sur le label et développer les artistes qui sont dessus. Et quant à nous, peut-être faire quelque chose de plus léger, s’aérer un peu, faire des maxis, des prods pour des gens…
H.K.: Faire vivre un peu le label, relâcher un peu, et quand l’envie reviendra… un album, c’est tellement long, épuisant, donc là on va profiter un peu.
Z.M.: Vu qu’on a notre propre label à côté, on a énormément de choses à faire. L’idée c’est de se ressourcer, s’occuper de ça, faire des dates à l’étranger…
H.K.: On a envie de promouvoir l’album à l’étranger, de ne pas être dans une logique d’artistes obligés de sortir un album tous les deux ans pour vivre. Je n’ai pas envie de me relancer dans un album, sans savoir précisément ce que l’on a envie de faire et sans être totalement à fond dans le truc. Et il faut vivre tout court pour avoir des choses à raconter dans le prochain album… Je pense aussi qu’à l’heure où le monde la musique évolue très vite, où on ne sait pas trop ce que les formats CD ou albums vont devenir, je pense que c’est le bon moment pour prendre un peu de recul avec ça et réfléchir à la manière dont on va aborder le live et les sorties dans l’avenir.
Un grand merci à Sly, High Ku et Ze Mateo pour leur accueil toujours aussi chaleureux.
Merci à Clélia (Chinese Man Records) et l’équipe du 106 qui nous ont permis de réaliser cette interview.
Interview et photos: Julien Peschaux pour Vacarm.net