Le destin tragique de Chatterton, ce jeune poète que des ambitions littéraires contrariées ont conduit au suicide, a fasciné tous les romantiques français jusqu’à ses deux derniers hérauts, Gainsbourg et Bashung. Feu! Chatterton aurait d’ailleurs beaucoup de mal à nier l’influence de ces deux figures tutélaires de la chanson. La référence au personnage de la pièce de Vigny n’est, quant à elle, pas fortuite non plus. Quoiqu’il en soit, cette filiation ne suffit pas à raconter et comprendre un groupe dont l’alchimie sonore distille rock et littérature comme aucun de ses contemporains Avec « La Mort dans la Pinède » lancée en 2012, le quintet parisien est parvenu à cet équilibre unique entre le lyrisme exalté et une certaine hargne contenue. Ils passeront le 10 mars 2016 par la Rockhal (Esch/Belval) pour y distiller un peu de leur verve. En attendant, on a parlé avec Raphael, le batteur du groupe.
En décembre 2013, vous faisiez votre premier concert hors de Paris (aux Bars en Trans, à Rennes, ndlr), vous n’étiez pas encore très connus, aujourd’hui, on parle beaucoup de vous et vous commencez à faire des concerts en dehors de la France. Qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte-nous les différentes étapes !
On a atterri aux Bars en Trans avec quelques concerts à Paris seulement. On avait commencé à faire des concerts à Paris un an et demi seulement avant les Bars en Trans et on en avait fait qu’une douzaine au total. On a eu beaucoup de chance à ce niveau-là. On a réussi à trouver notre premier tourneur, puis ensuite notre premier soutien médiatique. On a eu une dizaine de lignes dans les Inrocks et ils ont continué à nous suivre par après. On s’est inscrit à pas mal de tremplins. On s’est inscrit au Prix Chorus et on l’a gagné, ensuite on a fait les InRocksLab qu’on a gagnés aussi. Tous ces tremplins nous ont donné beaucoup de visibilité et nous ont donné les moyens financiers de produire notre premier EP.
Vous n’avez pas eu trop mal pour que les journalistes parlent de vous en somme ?
Non, bizarrement on a réussi à sortir de notre cave grâce aux médias et aux journalistes et aux bloggeurs. La plupart du temps c’est l’inverse. Le groupe doit d’abord trouver son public pour que les journalistes daignent parler d’eux. Pour nous c’était carrément l’inverse : on a d’abord eu un soutien médiatique et le public a suivi.
Qu’est-ce qui leur a plu selon toi ?
Ce n’est pas évident de répondre à ça. Je pense que nous disons quelque chose qui touche tous les francophones aujourd’hui.
Vous avez eu la chance d’arriver à un moment où la chanson en français était revenue en force avec Stromaé ou Fauve, avec qui vous avez fait la première partie. Cela a joué ?
Oui, on a eu la chance que le français ait arrêté d’être ringard un peu avant qu’on arrive. Dans la pop et le rock on a vu des personnes ayant beaucoup de succès et les deux que tu as cités auparavant y sont pour beaucoup. Dans le rap c’est différent, la langue française a un vrai ancrage.
Vous vous sentez proches de Fauve musicalement parlant ?
Pas vraiment. On a à peu près le même âge et on chante en français mais je pense que la comparaison s’arrête là en fait. On s’entend super bien avec eux et on leur doit énormément. Ils nous ont beaucoup aidés. Ils ont réussi à bien lancer leurs premières parties comme nous ou encore Grand Blanc. Souvent lors des concerts c’est les tourneurs qui choisissent leurs premières parties. Pour leur première partie c’est Fauve qui a pris les choses en main en choisissant qui ils voulaient avoir. Ils ont choisi à chaque fois des coups de cœurs. Aujourd’hui nous avons beaucoup de choses et de personnes en commun : nous avons le même tourneur et l’ancien régisseur de Fauve est désormais notre régisseur. En plus Fauve a une approche très personnelle. Ils sont venus nous voir lors de nos répèts et nous ont beaucoup soutenus.
Peux-tu nous parler de votre processus d’écriture ? Qui écrit ? Qui compose ? Le-faites-vous en même temps ?
Il n’y a pas de règles établies. Il y a plusieurs cas de figures. Dans les cas les plus rares, Arthur a un texte et on fait une compo dessus. Ce qui arrive le plus fréquemment c’est le cas de figure suivant : Clément et Seb ont une mélodie ou une compo et Arthur se met à écrire des bouts de textes dessus. Il regarde ensuite dans ses carnets où figurent un paquet de textes et il essaie de voir ce qui pourrait correspondre. La musique et le texte se développent ainsi par la suite. La musique doit servir le texte et inversement. Cela peut prendre un temps fou. Pour « La Malinche » par exemple, la version sur l’album est la 30ème version. C’est un morceau un peu électro et comme ce n’est pas notre spécialité, on a mis du temps à le peaufiner. On aimait son côté dansant mais qui reste quand même fidèle à notre son rock.
Peux-tu nous commenter le titre de l’album « Ici le Jour (A tout Enseveli) » ? Que veut-il dire ?
C’est à peu de choses près le début du dernier morceau de l’album qui s’appelle « Les Camélias ». La chanson commence par « Le jour a tout enseveli, Là où enfin tout baigne… ». C’est le dernier morceau de l’album mais c’est un des premiers que nous avons composé tous ensemble. Ce morceau représente donc un moment important pour nous. On l’a écrit alors que nous étions isolés pour écrire dans le Gers dans une maison de campagne. Il représente bien nos contradictions et nos contrastes. Il commence par « Ici le jour » mais se termine par « (a tout enseveli) ». Il y a un côté triste mais aussi positif. C’est notre côté mélancolique sans doute. On se contrebalance tous un peu mutuellement dans le groupe. Si quelqu’un sort une mélodie très triste un autre membre va trouver une parole joueuse pour aller avec. D’ailleurs, à part « La Malinche », l’album a un des chansons très sombres, même s’il faut souvent les prendre au second degré.
Le hasard du calendrier veut que nous nous parlions le lendemain du décès de David Bowie. Est-ce que c’est un artiste important à tes yeux ?
C’est difficile de parler de tristesse mais c’était une référence commune à tous les membres du groupe. J’ai écouté « Blackstar » à sa sortie et je me suis fait la réflexion que même à 69 ans et après tout ce qu’il avait déjà fait, il était toujours au top. J’ai toujours été bluffé par sa capacité de se réinventer. Il n’y jamais quitté l’excellence de toute sa vie. Il est toujours resté au top et cela prouve une vraie audace et surtout une incroyable prise de risque. Il ne s’est jamais reposé sur ses lauriers. Je l’admire pour ça.
Dans la musique on a réussi à trouver pas mal de références communes. Pour les autres arts on a mis beaucoup plus de temps. Mais finalement c’est bien que nous n’ayons pas les mêmes références littéraires ou cinématographiques, ainsi on élargit nos horizons et on découvre tous les jours de nouvelles choses.
Enfin ma question rituelle : si tu devais choisir entre les Beatles ou les Rolling Stones, tu choisis qui et pourquoi ?
Les Beatles sans la moindre hésitation. Mille fois les Beatles en fait ! Pour le Stones je suis admiratif de leur carrière mais ils ne m’ont jamais touché. Je me revois dans la voiture avec mon père en train de chanter les morceaux de « Abbey Road ». Les arrangements des Beatles sont de la folie. Ils valent les arrangements de la musique classique. Les Stones ont l’énergie mais ils ne m’ont jamais procuré des émotions aussi intenses que les Beatles.