Interview du chanteur/bassiste du groupe Anti Flag le 3 décembre 2019. Il y est plus question de politique que du dernier album profondément anti-Trump du groupe, 20/20 Vision, mais quoi de plus normal avec ce groupe engagé ?
Ah… c’est l’interview la plus unique que j’ai eu à faire jusqu’à ce jour. Parce que c’est celle d’un groupe hyper politisé et qu’elle s’est faite à la veille d’un des plus grands mouvements de grève que la France a connu… Alors d’habitude je demande aux artistes : pouvez vous faire un coucou à nos lecteurs, mais cette fois je vais juste dire : pouvez-vous faire un petit coucou aux grévistes et leur adresser une pensée ça serait super cool ! Vous avez entendu parler de la grève au moins ?
Oui ! On a appris ça en arrivant ce matin en France même si on n’a pas encore eu le temps de se tenir bien au courant ! Du coup vu la question j’imagine que tu vas participer ?
Oui je dois avouer que j’y serais au moins en manif !
Cool ! Bon alors attends je vais essayer de trouver un mot ! Alors : Salut ! Je suis Chris Dos, le bassiste du groupe Anti Flag, et je vais vous dire ce que je crois, que la justice, qu’elle soit économique, raciale, sociale, n’est jamais venue du monde politique, des élites, elle vient de la base, des gens. Et c’est pour ça qu’une grève, une manifestation est si important : tout part de là. ça permet d’élever les autres, de s’élever ensemble, de nous faire justice. C’est la chose la plus importante qu’on puisse faire. Pour ceux qui iront en grève voilà je leur dis ça, ils font la justice. Bravo.
(Il s’arrête un peu)Et je sais que ça sera difficile. Ça l’est toujours. D’ailleurs rester optimiste, ce choix de rester positif, alors qu’on pourrait être cynique, c’est l’une des choses les plus dures qui soit, et la société nous pousse à ce cynisme, à faire ce choix solitaire et négatif… voilà : la société nous dit de ne pas s’occuper du voisin, de s’en foutre. Alors ce mouvement, d’après ce qu’on peut voir nous, de notre point de vue d’américain, c’est super inspirant. Vous travaillez pour le futur, le votre, le notre, vous nous rendez de l’espoir, après tout c’est ça œuvrer pour le futur, pour un meilleur futur j’entends, garder espoir. Alors voilà, je vous souhaite la meilleure chance dans le mouvement, je vous donne tout notre amour et je sais que vous le développerez vous, les gens dans la rue. Et je ne dis pas ça que pour les gens de Paris, je pense aussi à Hong-Kong, au Chili, partout. Courage et bravo à ceux qui se lèvent pour un meilleur lendemain.
C’est vraiment cool d’entendre ça. Merci vraiment. Et je t’avoue que je prends ça un peu comme un signe que de faire cette interview juste avant la grande grève et la grande journée de manifestations… Tu sais. Depuis que je lutte, que je vais dans les mouvements, on n’a jamais gagné. Ca fait 25 ans que tout recule en France, nos droits, nos salaires, tout. Et pour une fois, je sais pas si c’est un signe, mais je me dis là celle là : on va la gagner. Ça va être massif. Et on va gagner. Pour une fois j’y crois quoi…. J’espère que vous ne serez plus là parce que ça va être chaud et difficile de se déplacer !
(Rire) Non on sera partis !
En attendant merci. On a besoin de tout le courage et tout le soutien qu’on peut avoir. Surtout que là ça va être long. La question ce n’est pas le premier jour, mais le second, la semaine qui suit, le mois qui suit… combien de temps ça va durer. Un jour de grève beaucoup peuvent se le permettre, et encore, mais plus, ça va commencer à être compliqué. La dernière fois, il y a 20 ans, en 95, pour gagner, il a fallu tenir un mois. Alors là on se prépare. On sait que ça va être dur. Alors tous les mots comptent.
Oui. D’ailleurs c’est un fait en soi. Etre dans l’insécurité économique pour un jour de grève, alors qu’en face le camp des puissants déborde de richesses, de pouvoir. Ça montre bien la faillite morale de notre système ! Tout d’un côté ou presque et rien de l’autre. C’est d’ailleurs logique : ils entretiennent leurs pouvoirs et leurs richesses sur notre dos en fait, sur celui des travailleurs, sur celui des malades, des pauvres, de la planète. Quand on prend partout et à tous, on finit par avoir plus, trop, à faire le déséquilibre de ce monde.
Si vous aviez à quel point… Avec cette loi. On va prendre 200, 300 euros à des retraites de petites gens, pour les donner à qui ? A des assurances, à des riches.
Et c’est ça le pire ! J’ai aucun doute sur le fait que pour les gens riches, 300 euros en plus ou moins, c’est rien, ce n’est pas grand-chose. Mais non. On va aller chercher chez les petits, ceux pour qui ça fait un réel trou et ceux pour qui ça fait un vrai changement, en négatif, dans leurs vies.
Ouais voilà. 300 euros en moins sur la retraite, c’est un cadeau en moins à Noël, un concert en moins…
Non ! (rire) Mais vous savez nous aux Etats Unis c’est pas mieux. Si vous tombez malade, si l’imprévu arrive, vous êtes étranglé. Nos puissants ont offert aux américains une vie de peur. Une peur de l’imprévu que personne ne peut se permettre, financièrement. Du coup, les périodes de la vie où vous pourriez être heureux, rêver, vous êtes maintenus par la peur. On nous construit à la peur. Quand je vous dis qu’on vit dans un système délirant, et simplement d’un point de vue moral. Est-ce moral tout d’un côté ou rien de l’autre ? De vivre dans la peur ?
D’autant que nous en France c’était exactement l’inverse, grâce aux communistes et aux anarchistes, juste après la guerre, nous avons pu construire une société rassurante : si vous étiez au chômage, malade, la société vous prenait en charge. Vous n’aviez rien à faire. On prenait la richesse pour offrir à tous la capacité à vivre sereinement, sans la peur. C’était l’un des plus beaux systèmes qui soit. Et ils veulent le détruire. On passe de la solidarité à la peur. C’est peut-être le plus triste, ils détruisent le lien : entre celui qui travaille et celui qui ne travaille pas, entre le malade et celui qui n’est pas, entre le vieux et le jeune… La peur c’est aussi une société des solitaires contre les solidaires.
La mondialisation, le néo libéralisme, et tous ceux qui ont installé ce système là. Eux leur vie va bien. Mais si vous prenez du recul, si vous allez un peu dans les banlieues, voir comment vivent les gens des classes travailleuses… Là vous voyez comment vivent les gens. Et c’est très différent. Et là c’est terrible, ils mettent en place un système, mais qui n’impacte pas leurs vies, mais la notre, la tienne. Je ne suis même pas sûr qu’ils voient les conséquences de leurs actes.
Ah ah ah ! Je me rends compte que toutes vos interviews doivent tourner autour de la politique et du monde.
Oui, on ne parle que de ça (rire).
Du coup je vais continuer et insister encore : c’était important pour vous de sortir l’album en 2020, une année hyper importante d’élection aux Etats-Unis ?
Ah non pas vraiment enfin oui et non. Y’a un truc qui m’énerve aujourd’hui, c’est qu’avec Facebook, avec notre société de Trolls, dès que vous faites un acte politique c’est vu directement comme électoraliste. Alors que personnellement, je pense que les élus justement, ne m’apporteront jamais rien ou si peu. Je n’attends pas de salut des politiques, du pape ou de je ne sais quoi. Donc non, on ne fait pas de l’électoral et on ne prend pas trop en compte les élections. La politique elle se fait à la base, tous les jours, pas dans les urnes ou pas seulement. Mais ça mis à part, enfin je tenais à la digression, je suis convaincu que Donald Trump se trompe, est une catastrophe. Pareil pour Mike Pence.
D’autant que le problème c’est que le premier ministre, le président : leurs mots ont un poids. Leurs mots ont un impact sur les gens, ils ont un pouvoir immense, en quelques mots il peuvent faire et défaire beaucoup de ce que les gens font et pensent. Donc quand vous avez un président qui, à haute voix, est raciste, misogyne, sexiste : cela donne de l’espace à ces mots là, aux gens qui pensent comme ça. Cela les libère de toute morale et réflexion, cela les autorise à n’importe quoi : le président est d’accord avec eux. Et je ne veux pas vivre, personnellement, dans ce monde là. Vraiment pas.
C’est aussi pour ça qu’on a travaillé vite et qu’on voulait sortir cet album. Parce qu’il y a une bataille de l’espace médiatique, des mots, parce qu’il faut se protéger aussi, nous et nos idéaux. Et tout cela prime sur une quelconque volonté électorale. D’ailleurs, on sort l’album en janvier et tout le monde nous avait dit de ne pas le faire : janvier c’est pas une super période pour l’industrie. Ça oblige à faire la promo en décembre quand les gens sont en vacances où sont concentrés sur Noël et ce qu’ils vont acheter, ça empêche l’album d’être sous les sapins. Mais c’est pas grave. Il fallait le sortir vite. Franchement on s’en fout. Mais rien à foutre. On fait pas de la musique pour les sapins de Noël ou ceux qui les garnissent.
Ah j’aime vous entendre dire ça ! Il faut dire que l’inverse m’aurait surpris voire m’aurait fait changer d’avis sur votre groupe : Anti Flag qui sort son album en temps et en heure pour le vendre à Noël ça le faisait pas.
Bon après franchement il y a aussi d’autres gens qui sont impliqués : le label, les tourneurs, la promo etc. Au fond la seule chose sur laquelle nous avons un contrôle total c’est l’album en lui-même, ce qu’on y dit, ce qu’on y écrit. Et c’est bien normal ! Perso je voulais que ça sorte le vendredi 3 janvier mais malheureusement à cette date personne ne travaille donc pour le label c’était pas possible. Et finalement on a mis l’album le jour de la vraie reprise post vacances.Mais par contre sur le message on est très clairs. Cet album, c’est une affirmation sur ce à quoi nous aimerions voir le monde ressembler. Enfin c’est pas bien clair. D’autant que je ne sais pas moi-même à quoi j’aimerais que le monde ressemble ! mais ce qui est sûr, c’est que ma vision du monde n’est pas du tout la même que celle de ceux qui sont au pouvoir. C’est ça cet album. Que ceux qui ont juste un peu d’empathie se mettent à travailler ensemble, se rassemblent. Dans l’idée aussi qu’un jour on puisse arriver aux manettes de ce train fou qu’est le monde et les Etats-Unis, pour empêcher cette vague fasciste vers laquelle on se dirige. Et je ne sais pas quel monde je veux, ni même quel serait ce nouveau monde fasciste vers lequel on va. Si je suis honnête, la seule chose que je peux bien voir c’est le monde d’aujourd’hui. Et ça va pas.
(il fait une pause)Il y a une phrase que j’aime bien : notre futur contient le travail que nous mettons dedans dès aujourd’hui. Alors voilà : aujourd’hui on sort un album. En espérant que cela amène des fruits dans le futur, dans le bon sens, celui de plus d’empathie et de respect de l’autre et de chacun.
Evidemment maintenant que vous parlez du futur je suis obligé de vous poser la question, même si je sais que vous ne voulez pas faire de la politique électorale…. D’ailleurs ma question ce n’est pas que ça : il y a un grand débat, en France et par le monde, à gauche, pour savoir si nous devons faire sécession et se foutre du système où si nous devons y prendre part, notamment par le vote. Vous ? Vous votez encore ? Vous allez le faire ? Et…
(il me coupe la parole) Oui. Vraiment. Je vais voter. Et d’ailleurs : je vote toujours. D’ailleurs cette question montre bien que le système est en crise et est un problème en soi. Mais vous savez : je ne suis pas un martyr, je n’irai pas sur la croix, je ne veux pas me mettre supérieur ou à part. Après tout je vis là. D’ailleurs en parlant de martyrs, des gens sont morts pour le droit de vote, on peut au moins respecter. Après oui, si cela vous pèse trop sur la conscience de choisir entre deux personnes, qui souvent ne sont ni l’une ni l’autre un choix respectable, du moins pour vous : je peux comprendre en vrai. Oui je comprends. Puis ouais : je peux comprendre que se mettre dans un processus que l’on perçoit comme immoral peut être même une souffrance. Mais c’est ce que je disais : c’est un peu un côté supérieur, c’est aussi un privilège de dire ça… Parce qu’il faut se rappeler la réalité : certaines personnes ne peuvent pas voter, parce qu’elles n’en ont pas le droit, où parce qu’elles travaillent ce jour là et n’ont pas le droit de quitter le boulot. En fait se demander s’il faut aller ou pas, c’est un débat qui n’existe que chez ceux qui peuvent clairement et librement exprimer ce droit…. Tu vois ? y’a des gens qui ne savent même pas comment voter, ou il faut s’inscrire, ou qui n’osent pas non plus, comme s’ils n’en avaient pas le droit. Le vrai sujet il est là, en tout cas aux USA, pas sur nous qui débattons entre nous de prendre part ou non à ce processus critiquable. Donc, de mon point de vue, moi qui ait des privilèges, et y compris celui de voter, dire je ne vais pas le faire : ça ne me plait pas.
Une démonstration magistrale et humble ! Merci pour ça.
D’ailleurs je le rappelle : on a vu l’élection de Bush pour 600 voix de différence en Floride.
Oui toute la terre s’en souvient bien….
Dites surtout cela aux Irakiens, eux ils s’en souviennent vraiment. C’est aussi la preuve que chaque voix compte, que voter ça compte. Si ça n’avait pas été Bush vous imaginez… c’est bien pour ça que oui le vote ça compte, ce n’est pas rien et ça peut avoir du sens. Dire, il y a le pire et le moins pire : ok. Mais parfois le moins pire ça peut sauver une ou deux vies. Je ne dis pas que Al Gore aurait été un président incroyable ou que j’aurai suivi tout ce qu’il aurait pu faire. Mais je ne pense pas qu’il aurait envahi l’Irak, et ça, ça reste une grosse différence.
Oui c’est sûr… Et même par ricochet : pas de Daech, pas de Bataclan. Pour 600 voix en Floride. Mais revenons aux élections : de notre côté de l’Atlantique, surtout pour les gauchistes, nous commençons à nous dire que quelque chose d’important se passe aux Etats-Unis. Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Alexandria Ocasio Cortez. Et nous regardons ça avec d’autant plus d’intérêt que nous savons que quand les US bougent, le monde va suivre… Vous, comment voyez-vous ce changement ? Que voyez-vous pour les prochaines élections ? Pouvez-vous nous donner votre avis ? On sait par exemple qu’en ce moment Elizabeth Warren est bien placée, mais qu’elle a un passé trouble plutôt du côté des républicains, ce qui ne l’empêche pas de se faire traiter de Pocahontas par Trump etc. Si vous pouvez nous aider à voir plus clair là dedans on veut bien !
Si on doit reprendre la distinction que je faisais entre moral et immoral… Alors Madame Warren est 20 fois plus calme, attentionnée, compréhensive, et notamment de ce que cela veut dire d’être pauvre ou travailleur, que Donald Trump. Elle est bien au-dessus de lui. Ce n’est même pas comparable. A l’inverse, Joe Biden est bien plus accommodant avec les politiques qui mettent à mal, ou plutôt qui n’aident jamais, ceux qui sont le plus dans le besoin.
C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup s’agitent pour mettre Biden au pouvoir : c’est un retour à la normale. Circulez, y’a rien à voir. Et rien ne changera. D’autant que Trump met le pays sens dessus dessous mais pour tout le monde, que cela soit les démocrates ou les républicains. A mon sens, il a même mis les bourses et les marchés sens dessus dessous et menace une forme de stabilité à laquelle les marchés et les financiers sont très attachés. Même si objectivement le président et Wall Street ont des intérêts communs, l’imprévisible Monsieur Trump le fait apparaitre comme un facteur de risque. Tout ce que les Etats-Unis comptent de lobbyistes, de financiers, ils veulent le retour du statu quo, même après une présidence arrangeante : et le statu quo, c’est Joe Biden. Ou Ted Cruz. Rien n’arrivera avec ceux là au pouvoir.
Et donc pour vous, qui allez-vous soutenir ?
Oh pour moi c’est sûr : Bernie Sanders. Sans aucun doute. Bien sûr, Warren serait mieux que Biden à mes yeux. Cela dit Madame Warren parle surtout de ramener les entreprises sur le sol américain et de leur faire payer des impôts, elle va moins loin que Bernie Sanders dans son programme, sur la santé et le reste. D’ailleurs je suis sûr que Sanders va faire une campagne folle, avec plein de petits donateurs et une vraie machine derrière lui, sur le local. Si seulement ce n’était pas juste une primaire mais une élection générale : il pourrait malmener Donald Trump.
D’ailleurs je crois que si Bernie Sanders avait affronté Donald Trump, plutôt que Hillary, il aurait gagné. J’en suis convaincu.
Mais bon, on sait que les grands médias, et surtout leurs propriétaires, vont se mettre derrière Biden, et qu’il va avoir plus de temps, plus d’indulgence. Cela va être difficile. Tu veux que je te dise ? Il y a un blackout médiatique sur Bernie Sanders parce qu’ils savent très bien que si Bernie est élu, il va y avoir du changement, et pas du petit.
Maintenant tu veux que je te dise, je connais bien les Etats-Unis : on est sur le bord du précipice, la catastrophe économique ou financière arrive. Et ça va être plus fort que 2009. Si cela arrive après l’élection de Sanders ou Warren, tout le monde dira : « regardez ce que les socialistes ont fait à notre pays ». Alors bon… je ne prêche pas le pire, mais peut-être qu’après une telle crise cela serait enfin notre heure ? Peut-être que ce n’est juste pas encore le moment de Sanders ou de Warren ?
Pourtant en cas de crise, quelqu’un qui se soucie des petits : cela pourrait avoir du sens ! Et puis, vous savez, nous ici on apprend quelque chose : ne jamais sous estimer les américains, ce sont des gens qui changent rapidement leur fusil d’épaule. On parle d’un Pays qui a eu, dans le même siècle, deux personnes si différentes que Roosevelt et Reagan. Les américains sont un peuple étrange et surprenant, qu’on ne comprend pas bien, c’est bien la seule chose que nous savons de vous ici !
C’est ça qui serait terrible, si Sanders arrive et que la crise est là, c’est sans doute lui qui protégerait le mieux le peuple. Ce qui n’empêcherait pas le même peuple de se retourner contre lui à l’élection suivante, en passant de l’un à l’autre très facilement ! Voilà les Etats-Unis (rire) ! D’ailleurs quelque part, est-ce que ce n’est pas arrivé ? Barack Obama est allé trop à gauche.(il s’arrête et explose de rire) oui bon pas pour moi ni pour toi, mais je veux dire, pour les gens qui vivent dans le mid west, Barack Obama c’était vraiment un choc, très à gauche à leurs yeux, ce sont des gens qui ont peur du moindre musulman ou plutôt des musulmans dans leur ensemble, des gens qui ne votent que via la question de l’avortement sans trop se demander pourquoi… ce sont tous ces gens là, des antiquités, des culs bénis étranges, qui n’ont jamais quitté leurs petites villes renfermées : ces gens là avaient peur de Barack Obama. Vraiment. Et ils ont sans doute surréagi et permis la victoire de Trump.Je lisais il y a peu une interview d’un militant de Bernie Sanders, qui va de porte à porte pour pousser les gens à voter notamment. Et il parle d’une tournée dans l’Ohio, où il va voir les gens pour leur dire « hey je représente Bernie Sanders, voilà son plan pour l’économie, on vient vous dire qu’on ne va pas vous prendre plus de sous, c’est même l’inverse, on va mieux redistribuer et vous en donner plus » et ce militant explique, en face, la seule réponse c’est « et l’immigration ? », voilà leur seul intérêt : est ce que des mexicains vont franchir la frontière et prendre mon boulot ? Mais attendez…. On parle de l’Ohio là….
Oui c’est loin de la frontière mexicaine !
Loin ? Très loin tu veux dire ! C’est complètement à l’opposé du continent quoi. On parle de milliers de kilomètres là. Y’a pas de mexicains en Ohio. C’est complètement irrationnel comme réponse, on a complètement bourré le cerveau de ces gens là de peur, de problématiques, de violences, ils ne pensent plus droit. Voilà : la peur de Donald Trump, celle qui lui permet de rester au pouvoir, celle qui permet à Wall Street qu’on ne se soucie pas de ce qu’ils font de l’argent de tout le monde, voilà, cette peur a complètement infecté les esprits. Sérieux : y’a pas de mexicains en Ohio. Et quand vous leur dites ça, les gens ne se démontent pas, ils sont infectés à la racine, ils répondent : « si je gagne moins d’argent qu’avant, c’est parce que quelque part dans le pays, ou dans le monde, un Mexicain a pris de ma valeur ». je passe sur les problématiques derrière cette phrase, il y aurait trop à dire. Je veux juste souligner ce fait : ces gens là, qui votent, aux mêmes élections que moi, ils sont totalement infectés.
Si vous y pensez, comment vous pouvez rivaliser quand vous êtes Bernie Sanders, vous arrivez avec des gens qui ne sont pas réceptifs, et en plus vous leurs parlez avant tout de programme économique, d’inégalités, de sujets complexes. En face quelqu’un, l’adversaire, Donald Trump ou un autre, joue sur les peurs, vous promet des murs, vous dit que vous êtes en danger. C’est toujours compliqué d’affronter un discours négatif quand le votre ne l’est pas ou ne veut pas l’être, c’est tellement plus simple de jouer sur les peurs des gens…
D’ailleurs parlons un peu de AOC…
De notre côté de l’Atlantique pour nous c’est un petit miracle cette femme !
Entièrement d’accord. Elle est talentueuse, charismatique… Et elle a dit quelque chose il n’y a pas longtemps, qui m’a vraiment interloqué « ce n’est pas parce que ce système est bancal, qu’il ne marche pas, qu’il faut le raser en entier ». ça m’a fait rire, j’ai pensé exactement l’inverse : et si nous essayions ? Juste pour voir ! (rire)
Bon bien sûr elle est une élue, je ne le suis pas, on ne peut pas dire les mêmes choses. Mais c’était pour dire quelque chose. On parle de Bernie, de Warren, d’AOC. Je le dis : aucune de ces personnes ne vont me sauver. Personne ne va me sauver. Vous seuls pouvez le faire, nous seuls pouvons le faire. Il faut s’engager. C’est ce qu’on fait, en écrivant une chanson, un swing, en parlant aux gens, en étant dans l’action et pas dans l’attente. C’est un peu ça ma morale : bien sûr changer les choses est difficile, mais ce qui est sûr, c’est que si on n’essaie pas, si on ne se bouge pas, rien jamais ne changera.
Croyez-moi : on va le faire. Ça arrive. Et en écoutant votre musique.
Oh tu sais la musique, une guitare, une basse, une batterie… voilà c’est fait, parlons politique maintenant (rire).
Eh bien continuons alors ! Je ne sais pas si vous avez suivi mais il y a une révolte cette année en France…
Bien sûr : les Yellow Vests !
Voilà ! Les gilets jaunes. Et pour nous, c’était vraiment quelque chose. Surtout à gauche. Ça faisait des années qu’on perdait tout. Manif après manif, élections après élections, on est passé de la conquête à la défense et on a perdu quand même, petit à petit, nos avantages, tout ce que d’autres avaient gagné pour nous, nous l’avons perdu pour notre prochain. On était désespéré. Et les Gilets Jaunes sont arrivés. Et ils ont gagné. Cahin caha. Pas sur tout. Mais ils ont fait reculer l’attaque. Malgré les hésitations, malgré le fait que personne ne savait bien ce qu’était les Gilets Jaunes. Ils ont fait reculer le pouvoir. Et ça nous a redonné de l’espoir. Alors voilà, nous on a eu cette lueur d’espoir, comment a-t-elle été perçue aux Etats-Unis ?
Alors laisse-moi te dire quelque chose : si tu t’engages dans le militantisme, si vous vous engagez dans l’activisme, pour avoir des résultats tangibles … c’est sans espoir. Ce sont des tâches sans résultats, sans résultats concrets, où l’on ne gagne pas, trop rarement pour que ça soit ce qu’on y recherche en tout cas.
Oui ça clairement !
D’ailleurs c’est en ça que nous avons de la chance en tant que groupe. On joue une chanson, les gens applaudissent. On a un résultat. Ça file de l’énergie. Puis après on se dit bon : je joue à Paris, une salle de 500 personnes qui ont la même énergie que moi, ça me permet d’aller à Berlin, puis à Londres. Toujours les batteries pleines. Et cette expérience du tour me permet de vous dire un truc : c’est peut être un job ingrat le militantisme, vous pensez peut-être avoir perdu… Si tu savais à quel point tu as tort de croire tout ça. L’erreur c’est de croire que notre action se mesure en défaite et victoire. Ce n’est pas le cas. Ça se mesure en temps. Tant qu’on est là. Qu’on reste là. Présents. On gagne. On se met à perdre seulement quand on arrête de lutter pour soi et pour les autres. Là on perd. Donc pour les Gilets Jaunes c’est ce que je vais vous dire : ne croyez pas que vous avez perdu. Tant que vous êtes là, et là les uns pour les autres, vous êtes en train de gagner.
Merci pour ces mots. D’ailleurs, je vous ai amené mon gilet jaune. Ça serait vraiment cool de le porter avec votre signature.
D’accord, mais alors je veux poser des questions sur les Gilets Jaunes parce que j’en ai plein !
Oh, moi aussi j’en ai plein des questions sur eux ! C’était un vaste bordel, il y a sans doute eu du racisme, peut être même de l’antisémitisme… mais est-ce si grave ? Dans leur étrange manière, ils ont appris, ils se sont ouverts, ils se sont mis à réfléchir, à recréer du lien, à nous redonner de l’espoir. On ne peut pas attendre de la pureté et de la perfection de gens qui soudainement se réveillent de leur torpeur télévisuelle. Ce n’était pas parfait. Mais c’était là. Et c’est ça qui pour nous était important.
Aux US, on en a beaucoup entendu parler, évidemment surtout sur les premiers mois quand il y avait beaucoup de monde dans les rues. J’étais assez curieux voire même assez inspiré par le mouvement, même si beaucoup on fait des liens entre les Gilets Jaunes et les mouvements de foules qui ont amené Donald Trump au pouvoir. Vraiment notre président vient de ceux qui souffrent et qui sont dans des situations économiques et sociales très complexes, surtout des personnes blanches. Et certains ont fait des parallèles entre les électeurs de Trump et les Gilets Jaunes. Après nous avons bien compris : ce sont des gens qui ont été poussés au bout du bout, au pied du mur, et là alors que tout est déjà dur, on leur demande de payer une nouvelle taxe avec la seule chose qui reste, la bagnole pour vivre un peu. Ils se révoltent. C’est tout à fait normal. Un peu comme avec le mouvement qu’on a eu qui s’appelait Occupy Wall Street, on a eu cette impression qu’il n’y avait ni leadeur, ni messages. Et c’était pareil avec les Gilets Jaunes je crois. Et tant mieux : ça a changé le paradigme du monde. Cela l’a fait bouger un peu. Et c’est la victoire. Regarde, après Occupy, on se retrouve avec Bernie Sanders qui monte presque au premier plan et parle tous les jours des 1 % les plus riches et des 99 % qui n’ont rien, et cette idée c’était Occupy Wall Street. Ça a changé notre culture, ça nous a rendus de meilleurs consommateurs, comme avec les grèves d’achat sur Amazone qu’il y a eu un peu après. C’est toujours une petite bifurcation, c’est déjà une grande victoire. Même si ça ne se voit pas, qu’on ne le sent pas, c’est intangible mais c’est déjà là, c’est notre victoire. Je crois que les Gilets Jaunes ça a été un peu la même chose.
Si je reprends cette idée que les Gilets Jaunes, dans un autre contexte, auraient voté pour Trump, je crois que notre plus grande victoire ici, c’est que par la lutte et par la révolte, beaucoup de Gilets Jaunes ont bougé et ont compris. A notre contact aussi, au contact des gauchistes qui les ont rejoints. Ils ont compris que l’ennemi n’était pas le noir ou l’arabe, le mexicain ou le pauvre. Ils ont changé à travers la lutte. Et c’est pour ça que la lutte est si importante, elle fait changer les gens.
Exactement. L’empathie est si dure à répandre. C’est tellement plus dur de répandre de la solidarité que de la peur. Et c’est pour ça que malheureusement cela oblige à des épisodes exceptionnels comme les Gilets Jaunes, avec leur part de violence, d’incompris, pour inverser la vapeur et le rapport de force entre solidarité et peur. C’est ça que vous avez fait avec la révolte, vous avez fait changer la dynamique. D’ailleurs je suis sûr que la manif qui va arriver là, pour les retraites, elle sera forcément différente à cause des Gilets Jaunes qu’il y a eu avant. Vous aurez du monde. De nouveau de l’espoir. Et un peu de lumière. C’est déjà une victoire.
On se voit au Hellfest avec la victoire ? En attendant merci pour la votre, de lumière.
Avec plaisir (rire !).
L’édition 2020 du Hellfest n’aura malheureusement pas lieu. On espère voir Anti Flag sur l’affiche de l’édition 2021 !
2 commentaires
« Christian Matthew » : euh, non vous vous êtes trompé, il s’agit de Chris Dos. Fraternellement, un fan d’Anti-Flag 🙂
Effectivement, petite erreur de notre part… on corrige ça !