À trois jours de leur passage au 4 bis dans le cadre du festival Mythos de Rennes, nous avons rencontré Jean-Marie Le Goff, guitariste et chanteur dans Calico, pour qu’il nous parle de leur projet.
Pour commencer, est ce que tu peux présenter un peu le groupe ?
Alors, Calico c’est un groupe qui a une quinzaine d’années maintenant, qui est constitué de trois frères, Gildas Le Goff à la batterie, Hervé Le Goff aux claviers et moi, Jean-Marie Le Goff, au chant et à la guitare, accompagnés de Vincent Normand qui fait de la basse et signe aussi les illustrations, et Vincent Crenn également guitariste. Ce que l’on fait se classe dans la chanson pop-rock, chanson parce qu’il y a des textes, pop parce que c’est nos influences musicales et c’est ce que l’on met dans nos chansons, et rock parce qu’il y a une certaine énergie, plus sur scène que dans le disque d’ailleurs, on rend différemment nos morceaux entre le studio et la scène. En studio, on essaie d’aller au bout de nos chansons, aller à l’arrangement qui va le mieux à chaque titre, sur scène, c’est un peu plus sanguin, charnel, organique.
Pourquoi avoir choisi ce titre La Mue, est-ce que c’est un signe de renouveau pour vous ?
En fait, c’est une des premières chansons qu’on a écrit sur ce nouveau disque, et ça fait un moment. On avait pas le titre au départ, mais il se trouve que ça fait 5 que l’on a sorti notre précédent disque, et celui-ci a mis du temps à éclore, et ça nous semblait évident que ça s’appelle comme ça. C’est pas fondamentalement un changement radical, c’est pas un tampon sur un changement de façon de faire, c’est plus qu’on a mis du temps à le faire et que c’est le résultat d’une grosse réflexion sur notre musique, sur comment on allait la faire passer, on a beaucoup travaillé le son, on a passé beaucoup de temps à rechercher un son plus cohérent par rapport à ce que l’on faisait, et donc voilà, c’est pour ça que ça s’appelle comme ça, c’est parce que c’est le résultat d’un long moment.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce clip que vous avez fait en langage des signes ?
On a rencontré Maïwenn Finont qui est une artiste malentendante qui signe à l’occasion d’un concert indigné, et on avait échangé quelques mails et je lui avais soumis une chanson qui semblait être en phase avec ce que porte le mouvement des indignés, un titre qui s’appelle «La Faille» et qui a été inspiré d’une chanson de Léonard Cohen, dans lequel il dit «there is a crack in everything, that’s how the light gets in». On a pris un peu le contrepied de ça, enfin, bien sûr on est d’accord avec ce que raconte Cohen dans cette chanson, mais on s’est dit que nous, on pouvait être la faille par laquelle la lumière rentre. C’est l’idée de se dire qu’au lieu de chialer et de se dire qu’on est pas heureux du monde dans lequel on est, on a juste qu’à faire ce que l’on peut faire sur le cercle des gens qui nous entourent, pas se prendre la tête à faire des grands discours sur la politique mondiale et tous ces trucs là, sauf si on a la main là dessus, mais nous à notre petite échelle on l’a pas. L’idée de cette chanson est de revenir à une certaine naïveté, et disons que la façon dont on peut faire évoluer le monde, c’est avec les gens qui sont autour de nous, et c’est souvent plus difficile d’inviter son voisin que de prendre une position sur la situation en Syrie. Faire l’effort de se dire qu’on va échanger avec son voisin, c’est ça qui est important, échanger des positions, des idées. Tu vois par exemple le mariage pour tous, ça c’est quelque chose qui nous touche, ça nous fout les boules la haine qui ressort de tout ça, mais sur quoi on a la main finalement ?
Bref, le titre c’est donc «La Faille», et ça me semblait en phase avec le mouvement des indignés, et du coup je l’ai soumis à Maïwenn qui a été touchée par le texte et nous a proposé de venir avec nous sur scène pour signer le titre. On a tout de suite dit oui, je connaissais pas la langue des signes en plus, et en jouant le titre sur scène alors qu’elle signait en même temps j’ai pris une grosse balle, j’avais des frissons. Il y a une puissance d’expression bluffante sur ce titre, on s’est dit qu’on pouvait pas s’arrêter là, sur ce petit moment de scène. On a pensé à un clip, et là dessus est arrivé Flavien Videau, qui est un réalisateur en licence de cinéma ici (à Rennes), qui nous a dit que notre sujet l’intéressait beaucoup et il a bien travaillé sur un scénario, et on s’est retrouvé avec une équipe quasi pro pour réaliser ce clip.Et voilà, ce qui est intéressant dans ce clip est qu’il y a quatre lectures : il y a déjà la musique qui dit un peu ce qu’est la faille, il y a le texte, le scénario raconte aussi ce besoin d’ouverture et de prendre la main sur les choses, au travers le périple d’un personnage qui sort de la ville vers la mer, et enfin il y a l’interprétation en langage des signes. Il y a plein de tiroirs à ce clip et c’est vraiment chouette.
Vous êtes toujours aussi engagés qu’à vos débuts ?
Oui, après je pense que le disque qu’on a fait est un disque politique. Je pense que la subversion n’est pas du tout dans la revendication le poing levé, elle est dans le fait d’assumer sa « vie normale », c’est-à-dire un retour à la naïveté, à la gentillesse. C’est un mot qui a pas bonne presse, mais c’est pourtant un mot génial. J’aime les gens gentils. Aujourd’hui le monde est un peu cynique, décalé, ça passe mieux que d’être juste gentils, alors que franchement je préfère vivre avec des gens gentils autour de moi. L’engagement qu’on a c’est de dire qu’on peut faire évoluer les choses, mais revenons à un peu de naïveté. Par exemple, la distance qui est mise, nous dans notre environnement, entre l’artiste et le public, elle est insupportable. On distend de plus en plus les choses en disant que l’artiste est au dessus de la mêlée. C’est des conneries ça, moi je fais de la musique et mon boulanger il me fait du pain. C’est peut-être basique, naïf ce que je dis, mais fondamentalement je pense qu’on devrait revenir à ça. C’est ce qui fait dire aux patrons «on fait vivre les autres», c’est n’importe quoi aussi. Personne ne fait vivre personne, ça se dit pourtant et ça s’est engouffré dans les gens, même dans ceux en bas de l’échelle. C’est rentré dans le crâne des gens, ceux qui ont de l’argent et décident comment va le monde, en fait, on leur est presque reconnaissant, mais je veux dire, chacun vit. À la limite, si on pousse les choses au bout, on devrait dire que plus tu es épanoui dans ton taf moins tu devrais être payé. C’est peut-être extrême ce que je dis, mais si moi je faisais de la musique et j’arrivais à gagner ma vie avec ça, je devrais être payé moins cher qu’un mec qui se fait chier à la chaine. Ça serait logique en fait. Le patron qui dit faire vivre les gens, il fait pas ça par altruisme, il fait ça parce qu’il aime ça. Donc voilà, ce disque est politique parce qu’il parle de ça, il dit à chacun de revenir à sa place, et particulièrement dans le milieu artistique, où il y a pas mal de flan, disons le. Chacun sa place. Genre toi t’es journaliste, moi je suis artiste, mais il y a pas une espèce de hiérarchie entre toi et moi ou entre nous et le public, de hiérarchie sociale débile, ou intellectuelle, il y a une condescendance de la part des artistes que j’aime pas trop.
Vas-tu aller voir d’autres concerts à Mythos, d’autres artistes que tu aimes ?
Il y a des artistes que j’aime, malheureusement jeudi on joue ici, vendredi à Lorient et samedi à Nantes. Mais au final je viendrai quand même dimanche soir voir Alexis HK faire le con. J’aurais bien aimé voir Fauve, qui est un groupe qui me touche, il y a une vitalité et un truc qui sort du bide. Bon il y a un truc qui est très hype mais qui me touche moins c’est La Femme, la musique je comprends, ce qu’ils portent je comprends moins. Mais parlons de ce que j’aime bien, il y a Bartone, qui jouent aussi à Noyal sur Villaine. Mais vraiment, j’aurais voulu voir Fauve.
Dans dix ans, vous serez quasiment à 30 ans d’existence du groupe, est ce que tu te vois toujours faire ça dans dix ans ?
En fait, moi je fais des chansons et je vais pas m’arrêter. Comme ce groupe là n’est pas un groupe «construit», enfin comment dire, c’est un groupe vivant, ça fait des années qu’on fait de la musique avec mes frangins. On a des choses à raconter et une façon de le faire, c’est sûrement pas dans l’air du temps, on a sans doute pas un son qui colle avec l’époque. On est dans l’époque avec ce qu’on raconte, malheureusement la musique est cyclique, peut-être que le son ne colle pas à l’époque mais c’est pas grave, on va continuer à le faire. Pour répondre à ta question, oui on y sera encore. Après, économiquement, pour être terre-à-terre, est ce que ça nous fera manger ? C’est pas le cas aujourd’hui, je crois pas que ça le sera demain, sauf si on rencontre le grand public, et que ça marche pour nous. Mais je ne me vois pas arrêter de faire des chansons.
Pour finir, un dernier mot, un dernier coup de gueule ?
Non, j’ai pas trop de coup de gueule. Enfin si, un seul truc. J’ai l’impression qu’il nous faudrait, à tous, un peu plus de naïveté, vraiment, c’est un mot que je trouve intéressant. Souvent on nous dit que les choses sont complexes mais en fait non, soyons basiques dans nos rapports aux choses. Et le divertissement c’est bien, mais dans les artistes qui foutent des claques, il y en a quand même peu qui sont juste là pour divertir, c’est souvent des gens qui sont là parce qu’ils ont des trucs dans le bide et envie de faire bouger les choses. Je pense qu’on peut faire bouger les choses assez naïvement, en ayant un impact juste sur les gens qui nous entourent. Je pense que c’est ça le sens de nos disques. Il faut faire ce que l’on a envie de faire mais ne pas être trop ambitieux. Moi aussi j’ai passé des nuits à boire des coups et à refaire le monde avec des potes. Mais au final, le truc est qu’on a pas la main sur des choses plus grandes que nous. Ayons un impact sur les gens qui nous entourent, pour leur amener quelque chose de positif. C’est peut-être pas très «lumineux» ce qu’on raconte dans Calico, mais ça reste optimiste. Je pense qu’au fond, quand les gens sont à poil et qu’ils se couchent chez eux, j’espère qu’ils pensent la même choses, que ce qui compte pour eux c’est leurs enfants, leurs amis, leurs parents, etc. J’espère que c’est ça le fond des choses et je trouve ça dommage que l’on masque les choses. Je trouve que c’est bizarre cette posture qui nous fait nous cacher de notre statut, après tout on est que des mammifères pensants ayant des relations sociales, et tout le reste, c’est un peu dérisoire.
Retrouvez Calico sur la scène du 4 Bis de Rennes, jeudi 18 avril, à partir de 20.30, dans le cadre du festival Mythos.
Merci à Jean-Marie pour son temps, ainsi qu’à Morgane pour avoir organisé la rencontre.
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