Difficile de se réjouir de la situation que nous traversons. Mais impossible de passer à côté des quelques plaisirs simples qui restent à notre portée, dont celui de profiter de quelques concerts en stream pour lesquels certains artistes s’investissent pleinement, notamment en jouant des morceaux rares voire des albums en intégralité. Les postcoreux de The Ocean, auteurs de deux monuments récents à classer parmi les meilleurs œuvres d’une discographie pourtant massive, planifient donc leur événement virtuel en deux temps. Le premier acte était programmé depuis le Pier 2 de Bremen le 25 mars dernier. Le groupe a exécuté pour l’occasion le volet inaugural de son double concept-album, Phanerozoic I : Palaeozoic. 7 morceaux, 53 minutes sans fioritures, le tout emballé dans un son imposant et un light-show ultra-soigné.
Si l’offre livestream s’est bien étoffée au cours des derniers mois, les groupes qui se sont pliés à l’exercice ont bien souvent « truqué » le concept en enregistrant leurs performances en amont. Le choix est confortable, permettant au passage un petit travail sur le son et anéantissant les risques de ratés techniques. The Ocean a pour sa part fait le pari de l’authenticité et du vrai live. Les mecs sont clairement présents à l’autre bout du câble, ce qui offre un caractère étonnamment immersif à la prestation. Et pour le coup, le sextet a rencontré quelques soucis en début de set, à commencer par une balance assez foireuse qui élimine quasiment Loïc Rosetti – chant – de l’équation et pousse les sons clairs de batterie bien au-delà du raisonnable. Une bonne partie du premier morceau – « Cambrian II: Eternal Recurrence » – pâtie clairement de ce mix déséquilibré. On pardonne bien vite à The Ocean le retard à l’allumage, qui permet au moins de constater que les gars ne trichent pas, d’autant plus que le problème sera réglé avec la mise en ligne du replay. La suite est d’une perfection quasi-hallucinante. Une qualité d’exécution qui résonne comme une constante pour les Allemands.
Le premier line-up stable de The Ocean en 2009 avait su amener l’alchimie qui manquait au groupe au cours des premières années. Les charismatiques Jona Nido, Louis Jucker et Luc Hess ont depuis quitté les rangs afin de se concentrer sur leurs projets personnels, notamment Coilguns, mais Robin Staps – guitare – et Loïc Rosetti ont reconstruit leur projet en compagnie de musiciens à leur image : solides et posés. Les gars sont précis et concentrés. On devine aisément l’importance pour le groupe de réussir cet examen périlleux, ce one-shot pour lequel ils ne bénéficient pas de grand rodage. The Ocean n’est pas un groupe qui saute dans tous les sens. Mais la formation écrase littéralement par son talent, sa passion pour les compos serpentueuses, son aisance à associer les contrastes. Pour peu que l’on puisse se plonger dans le noir, sur écran géant et équipé d’un casque audio de bonne qualité, le spectacle est total, hypnotique et vibrant. Le monumental Phanerozoic I prend assurément toute sa dimension en live, même si l’on regrettera que l’excellent Jonas Renkse – frontman de Katatonia – ne puisse, du fait de la fermeture des frontières, se joindre à l’événement pour assurer ses lignes vocales sur « Devonian : Nascent ». Carton plein sur ce show online : c’est beau, aussi bien sur le plan visuel que sonore. Le groupe a fourni un énorme travail sur les lumières, qui s’accordent parfaitement aux variations des compos.
Rarement 50 minutes et des brouettes n’auront semblées aussi courtes. Le groupe s’éclipse de scène après un titre de clôture épique et long de presque 10 minutes afin de laisser Robin Staps adresser ses remerciements à ceux qui ont répondu présent. Le gratteux ne manque pas d’avouer toute la bizarrerie de la chose pour des musiciens, mais donne rendez-vous à ceux qui le souhaitent dans une petite poignée de semaine pour un second livestream, cette fois-ci consacré à Phanerozoic II : Mesozoic / Cenozoic.
Crédits photo : Paul Parker
