Deux mois après le concert ultra médiatisé donné au Palais Omnisports de Paris Bercy, Rage Against The Machine se produisait hier soir au Domaine de Saint Cloud dans le cadre du Rock en Seine. Après la polémique essuyé par le festival concernant le peu de places vendues pour ce concert événement et les retours mitigés de la précédente prestation du groupe, un doute planait sur la réapparition de la formation emmenée par Zack de la Rocha et Tom Morello.
Que penser de la reformation de Rage Against The Machine ? Ce groupe révolutionnaire, autant d’un point de vu artistique que politique, fait partie de la mythologie de la musique moderne. Véritables Dieux du Rock leur retour triomphal sur scène sonne comme une réapparition mystique. Après les reformations clairement commerciales d’autres groupes cultes (The Who, Sex Pistols, etc.), le come back de Rage Against The Machine laissait perplexe. Allait-on nous vendre 1h15 de révolution au prix d’une place de concert bien graissée ?
Il faut dire que l’image est belle, presque inespérée, sous une gigantesque étoile zapatiste, plusieurs dizaines de milliers de spectateurs se pressent pour voir les quatre membres de Rage Against The Machine vêtus de l’habit de prisonnier et encagoulés pour rappeler l’horreur de la zone de non-droit de Guantanamo. L’ampli de Tom Morello arbore le portrait du Che, figure contestataire devenue tragiquement une marque au sein de la société de consommation. Si la plupart du public ne connaît probablement pas l’ampleur de ces symboles, il se ralliera, poing levé, sur l’Internationale au moment du rappel. En attendant, ce sont les notes de « Bombtrack » qui rugissent dans le domaine de Saint Cloud. Le groupe enlève le masque et ce sont quatre lions aux allures de prophètes que l’on voit apparaître. La première sensation est la suivante : une exultation sur un son parfait. Incroyable, je n’ai jamais entendu un son aussi bon en plein air, ni même dans une salle de concert…
Rien n’a changé. La phrase est lourde de sens. Malgré la disparition du groupe durant plusieurs années, Rage Against The Machine réapparaît dans un contexte socio-politique inchangé. Un monde capitaliste toujours aussi injuste, composé de gagnants-exploitants et de perdants-exploités. C’est ce que nous rappelle tristement Rage Against The Machine en jouant « People of the Sun ». Et oui, rien n’a changé car artistiquement Rage Against The Machine est au top de sa forme et réussi à allier le Symbole à la Substance : son discours et sa musique transcendent une cohérence exemplaire. Rage Against The Machine déroule un set ne laissant aucun répit au public.
Des barrières aux derniers spectateurs, la foule bondit bras levés sur les intros puis les refrains de « Guerilla Radio », « Testify » ou « Sleep Now In The Fire ». C’est une avalanche de hits qui fondra sur le public pendant 1h15. De nombreux étrangers sont présents, certains venus de l’autre bout du monde, du Mexique, des Etats-Unis, de l’ensemble de l’Union Européenne. Voilà peut-être la raison de cette ambiance électrique qui régnait sur le Domaine de Saint Cloud, le public a pleinement pris part à cette gigantesque communion symbolique qui criait à la possibilité d’un autre monde « Quel meilleur endroit qu’ici ? Quel meilleur moment que maintenant ? » s’écrit à bout de souffle Zack de la Rocha en réponse aux exhortations d’un public conquis. « Born of a Broken Man » retentit et la foule va se mettre en transe pendant de longues minutes.
Tom Morello agit en véritable orfèvre, nous gratifiant de soli et d’improvisations inédites. S’il est possible de prendre conscience du talent de cet homme sur l’ensemble de la discographie de Rage Against The Machine mais aussi d’Audioslave, assister aux expérimentations dignes d’un savant fou en concert relève d’une toute autre expérience. Tom Morello exploite bien plus l’ensemble des possibilités de son instrument, le faisant crier, chanter, murmurer, son corps et les objets qui l’entourent prennent part à ce jeu. Utilisant tantôt sa paume, tantôt son ampli, Tom Morello réussi à faire sortir des sons impensés et impensables de son instrument. Son assurance sur scène et son aisance sont bluffantes. Capable d’assurer le show à lui seul, en sautant, en se cambrant, en levant sa guitare à bout de bras, il s’autorise aussi des changements d’instruments en plein milieu des morceaux. Ce n’est pas un modeste incident (corde cassée ou problème technique au niveau de son pédalier ?) sur l’une des chansons qui l’empêchera d’improviser un retour sur scène sans que personne ne s’aperçoive de son départ.
Tim Commerford et Brad Wilk ne sont pas pour autant éclipsés par la dimension divinatoire de Zack de La Rocha et de Tom Morello. Bien au contraire, derrière sa basse, le gigantesque Tim tatoué et rasé impose une présence charismatique impressionnante. L’instrument gronde faisant le lien entre le rythme et la mélodie car, à l’arrière de la scène, Brad agit comme un véritable métronome. Il martèle ses fûts comme un véritable forgeron à l’œuvre en bâtissant la structure rythmique qui fait l’essence de Rage Against The Machine. C’est sur celle-ci que s’appuie Tom Morello pour nous offrir son travail d’orfèvre.
Le concert se terminera par un incroyable « Killing in The Name » suivi de « Freedom ». Deux titres qu’il fait bon de ré-entendre en live. Toute la puissance et le génie de Rage Against The Machine dans sa relation duale entre Art et Politique transpire de ces morceaux. Véritable appel à la désobéissance civile par son refrain (« Fuck you, I won’t do what you tell me ! »), voir ressurgir les décibels qui accompagnent « Killing In The Name » est un plaisir indescriptible. Un moment unique, un souvenir à vie. Quelques secondes plus tard, c’est « Freedom » qui conclura le show sous la forme d’une dernière exultation, d’un dernier cri d’espoir.
Les membres de Rage Against The Machine se tiennent par l’épaule, lèvent le poing, puis se courbent pour saluer le public. La foule les acclame pendant de longues minutes. Rage Against The Machine lui rend la pareille en l’applaudissant à son tour avant de la remercier de grands gestes de la main, Tom Morello saute les bras en l’air comme s’il venait de vaincre son pire ennemi : un concert seulement exceptionnel.