L’affiche pouvait paraître pour le moins étrange. Voir cohabiter les punk rock kidz de Uncommonmenfrommars avec AqME et les fluo-zombies de Punish Yourself reste assez peu conventionnel, mais parfaitement significatif des difficultés du marché actuel. Rien de bien cohérent certes, mais une habile manœuvre pour remplir convenablement la Rock School Barbey, qui brasse de ce fait trois publics résolument différents. L’association était osée, mais aura plutôt bien portée ses fruits : pas d’anicroches à dénoter côté public, chaque prestation s’étant déroulée dans le plus total respect, malgré les horizons bien différents explorés par chaque formation.
Valeur montante du punk rock d’obédience californienne au début de la décennie, Uncommonmenfrommars aura subit de plein fouet les conséquences de la crise actuelle. Balloté de maison de disques en labels indépendants, le quartet n’aura pourtant jamais baissé les armes et peut aujourd’hui se targuer de véhiculer un pur esprit « do it yourself ». Les productions prestigieuses chapeautées par Ryan Greene désormais loin derrière, le groupe enregistre sa musique avec les moyens du bord et assure sa distribution sans véritablement se soucier des conditions monétaires. Une position que le leader n’hésitera d’ailleurs pas à défendre en encourageant le public présent ce soir là à télécharger leurs travaux. Uncommonmenfrommars poursuit sa quête pour l’unique plaisir de la scène, domaine dans lequel les musiciens se défendent bec et ongles. En décalage complet avec les compositions labélisées metal d’AqME et Punish Yourself, les quatre musiciens se donnent pourtant à 200% et parviennent à captiver l’assistance en deux-trois morceaux balancés tambour battant. Rien de bien révolutionnaire, ni même de parfaitement exécuté, mais un entrain qui fait indiscutablement plaisir à voir. Oubliés manu-militari les nombreux pains parsemés de ci et là, Uncommonmenfrommars déroule une série de morceaux funs et ultra-accrocheurs, calibrés et peu originaux, mais parallèlement foutrement jouissifs et bien construits. Chaque rigolo pousse la chansonnette à la moindre occasion, sautille dans tous les coins, arpente la scène de droite à gauche et joue avec un plaisir communicatif. En à peine plus de trente minutes, le quatuor enquille les titres à un train d’enfer, et zigzague majoritairement au sein de ses plus récentes productions. Particulièrement décoiffant. Sans artifices, Uncommonmenfrommars s’affranchit d’une prestation du feu de dieu.
Idoles de la génération rock-metal du début des années 2000, les musiciens d’AqME ont su pour leur preuve faire preuve d’évolution dans leur écriture. Retour sur investissement, le quatuor est aujourd’hui l’un des derniers survivants de sa génération, et poursuit tranquillement sa route sans être inquiété par un quelconque désintérêt du public. Poussé par le succès critique et public de son dernier-né, le très bon En l’honneur de Jupiter, AqME reprend son souffle et aborde la scène sous une forme revigorée. Désormais épaulée par Julien, très bon guitariste soliste pour les non moins excellents Lazy, la formation Parisienne prend d’assaut Barbey avec la ferme intention de ne poser que quelques rares coups d’œil dans le rétroviseur. Conséquence directe, les quatre musiciens axent plus de la moitié de leur set sur le dernier album, et enchainent quelques pures pépites de rock’n’roll bien senties (« Guillotine », « Le Chaos »). Grasses, lourdes, furieuses, les compositions lavent définitivement les mollassonnes escapades de La Fin des Temps – qui brillera aux abonnés absents, excepté un « Ténèbres » bien rythmé – et donnent l’occasion au groupe de prouver sur les planches des progrès constatés sur disque.
L’interprétation ne souffre que de quelques rares approximations, les lignes vocales de Thomas, par le passé parsemées de quelques dérapages lors des passages clairs, étant assurées avec une certaine assurance. Si tout n’est par parfait, le frontman aborde l’art du direct avec aisance, ce dernier n’hésitant pas à s’embarquer dans les travers les plus difficiles à retranscrire (« Stadium Complexe » et son refrain haut perché). En parallèle, les anciens tubes – moins techniques et plus rares – se déroulent sans accrocs, et produisent une certaine ébullition au sein de l’assistance. Pourtant, on constate les musiciens plus enthousiastes à s’embarquer dans ses derniers travaux, en témoigne les oublis volontaires de bon nombre de classique, « Si n’existe pas » et « A chaque seconde » en tête de liste. Ce qui n’empêche en rien AqME de mettre du cœur à l’ouvrage dans les interprétations de furibonds « Superstar » ou « Pornographie », sur lesquels Julien apporte de légères touches personnelles. Discret au possible, le guitariste ne comptera que d’anecdotiques approximations – et encore, quelques notes qui accrochent sur les solos – et se fend d’une très bonne prestation, aussi bien instrumentale que vocale, ce dernier reprenant à son compte une bonne partie des chœurs. Si le public n’était pas forcément entièrement acquis à la cause, le set ne laisse guère de doute possible : AqME a définitivement survécu à la fin de l’ère néo-metal adolescent pour s’imposer en formation durable sur la scène Française.
Changement d’ambiance pour la troisième et dernière fois de la soirée avec les cadavres déjantés de Punish Yourself. Si les avis restent partagés en ce qui concerne leurs récentes productions – accusée d’une certaine tendance à la répétitivité et d’un certain manque de renouvellement – le quatuor dynamite la scène comme peu de formations francophones. Pourtant, ce n’est pas par sa musique que les Toulousains s’imposent véritablement, mais par son art inégalé du spectacle épileptique et pyrotechnique. L’ensemble se tient cependant à merveille, chaque bombardement metal-électro-indus se voyant balancé sans vergogne avec toute la puissance et la maitrise nécessaire. La musique blaste et grince dans une ambiance evil-disco furieusement entrainante, les entournures électroniques apportant la touche nécessaire à la transformation des lieux en temple de la décadence macabre.
Visuellement, c’est encore une autre paire de manches. Punish Yourself développe un sens du spectacle rare et plutôt fendard. Outre les peintures de guerre fluos devenues la marque de fabrique du groupe, les musiciens se voient enveloppés dans un light-show épileptique au possible. L’ambiance d’apocalypse parfaitement mise en exergue par la musique de la formation se prolonge avec brio dans le spectacle, la troupe usant de lasers et autres squelettes clignotants avec une parcimonie toute relative. Couronnant le tout, le quatuor laisse intervenir sa désormais bien connue psycho-zombie girl, danseuse très courte vêtue qui n’hésite jamais à sortir les accessoires les plus improbables pour assurer le spectacle pyrotechnique. Et plus particulièrement une meuleuse frottée sur une plaque en métal portée à même le corps. Côté fosse, le public Bordelais répond avec une furieuse motivation à décoller le plancher de la Rock School Barbey. Aussi divertissement dans sa musique que dans sa prestation visuelle, Punish Yourself reste l’un des plus uniques cas d’entertainment musical. Le genre de spectacle qui pourrait passionner le plus irréductible allergique au mouvement metal.
Plein les yeux plein les oreilles, l’improbable affiche concoctée par Base Productions aura marquée des points, chaque groupe ayant brillé dans son registre. Si la cohésion n’était pas des plus évidentes au vu du plateau, les trois formations auront cependant réussies à s’approprier une partie du public pas forcément acquis à leur cause.
Photos : Sébastien (site Internet)