{multithumb}Le premier mai aura été pour un grand nombre synonyme de repos, et pour une petite poignée d'acharnés de Lille et ses environs de soirée mémorable. Pour la troisième fois en à peine un an, les japonais de Kagerou posent leurs bagages sur le territoire Français afin de venir défendre son troisième opus, Gurou Shoku, distribué par le label indépendant Musicast depuis quelques mois. Pour l'occasion, le personnel du Splendid sacrifiera ses vingt-quatre heures d'inactivité, au contraire du réseau de transport urbain qui n'assure ni bus ni métros. Résultat : Une cavalcade qui se termine devant les portes de la salle quelques minutes à peine avant le début de la prestation de S.U.P., et la promesse à soit-même que la prochaine fois, il pourrait s'avérer utile de prendre ses dispositions.
L'horaire ayant été avancé à 18 heures, S.U.P. monte donc sur scène alors que la nuit n'a même pas commencé à tomber sur la capitale du nord. Qu'importe, car une fois le public parqué entre quatre murs, l'ambiance va prendre une dominante noir ténèbreuse dès les premiers accords d'une formation aussi imposante qu'énigmatique (celle-ci n'hésitant pas à changer régulièrement d'appellation et amenant à chaque sortie un concept nouveau). Avec à son actif une discographie conséquente (pas moins d'une dizaine d'albums depuis le début des années 90) et fort d'une nouvelle livraison récente (Imago), ces quatre musiciens n'ont vraiment rien de comparable aux groupes souvent inexpérimentés choisis sur le tard pour assurer l'ouverture et ne bénéficiant que rarement d'un créneau horaire excédant les quarante-cinq minutes. Intelligents mais relativement difficiles d'accès, les morceaux s'étendent le plus souvent dans la longueur, témoignant de structures complexes ainsi que d'un son pesant et oppressant basé sur des accords à rapprocher du death, même si S.U.P. témoigne d'influences plus variées et surprenantes.
Tout comme sur album, le mal-être est manifeste, presque même encore plus gênant pour le spectateur qui se sent écrasé par ce concentré d'émotions sombres. Les ambiances sont plutôt bien travaillés, notamment grâce à un écran qui va projeter une heure durant une série d'images proches des univers explorés par Tool (un œil terrifiant, des personnages étranges et dérangés…), ainsi qu'un jeu de lumière froid qui ne permettra a aucun moment de distinguer clairement les visages, et l'on imagine aisément ce dont pourrait être capable cette entité aux âmes torturées avec des moyens conséquents. Techniquement, chacun possède une grande maîtrise instrumentale, alternant sans fausses notes surprenants changements de rythmes, combinant avec homogénéité les riffs appuyés à l'extrême sur des interventions de samples. Le frontman capte tout particulièrement l'attention par son chant parfait et aussi bien exécuté dans les graves que sur quelques rares tirades de chant clair. Cette qualité de l'interprétation nécessite une attitude relativement statique du groupe sur scène, ce qui s'avère au final peu dérangeant tant on imagine mal ses membres se déhancher avec entrain. Le public qui s'était déplacé pour Kagerou est donc quelque peu désarçonné, tout comme celui de S.U.P. va l'être par la suite des événements…
A la suite d'une bonne heure de show, S.U.P. laisse la place au phénomène nippon qui caracole avec Dir En Grey au sommet du mouvement Visual Kaï, style fortement porté sur l'esthétique tout droit débarqué de ce pays de fascination qu'est le Japon. Plutôt étrange et radicalement opposé aux sonorités Américaines matraquées par MTV, le rock métal de Kagerou à su conquérir un public en quête de nouveautés, et ce malgré la commercialisation de ses trois albums uniquement illustrés de caractères illisibles pour un européen. Les noms des titres sont donc difficilement assimilables et il sera d'ailleurs presque impossible de les associer aux morceaux exécutés ce soir là. Le public connaît néanmoins chaque plage sur le bout des doigts et réagi dès les premiers accords, amenant une ambiance survoltée dans une fosse légèrement désertée par les adorateurs du combo précédent (les deux formations n'ayant absolument aucun point commun). Les plus acharnés ont été jusqu'à apprendre quelques mots de Japonais, même si la communication passera ce soir d'avantage par de très larges sourires, barrage linguistique oblige.
Nappé d'un éclairage sublime digne d'un véritable artiste de la lumière, le groupe impose visuellement le respect, habillé avec un soin particulier combinant un penchant gothique avec glamour et psychédélisme, cultivant son côté androgyne à l'extrême par le maquillage ainsi que des coiffures extravagantes. L'harmonieuse set-list ne délaisse pour sa part aucune des différentes facettes musicales explorées par Kagerou, du metal des années 80 à la pop, laissant respirer le spectateur après d'impressionnantes et viscérales interprétations de « XII Dizzy », « Rasen Kubi » ou encore « Kurokami No Aitsu » par des morceaux plus apaisants mais tous aussi réussis, à l'image de la magnifique ballade « Ragan » ou du funky « Te ».
Malade depuis son enfance et risquant à tout instant l'ar
rêt cardiaque, Daisuke, leader de la formation, vit la scène avec une intensité rare. Sans pour autant bâcler ses ahurissantes parties vocales, alternant les couinements suraiguës sur un phrasé épileptique ou des hurlements enragés, celui-ci se jette à terre, se tripote les parties génitales et inonde la scène d'eau sur une plage apocalyptique et assourdissante pour laquelle il terminera le pantalon sur les chevilles. Les musiciens ne sont pas en reste, et tout particulièrement Yuana, véritable pile électrique bourrée de mimiques hilarantes, haranguant l'assistance perché sur les retours entre deux solos plaqués à la perfection.
Visiblement lessivés, les quatre musiciens s'éclipsent après plus d'une heure trente de show. L'attente sera longue, proche des dix minutes, mais chaque membre reviens démaquillé et vêtu d'un simple T-Shirt à l'image du groupe pour un rappel haut en couleurs de trois titres. On ressort de cette expérience inoubliable avec une seule envie en tête : retrouver Kagerou sur scène le plus rapidement possible.
Merci à Dalila (Label & Music), Thomas et Bertrand (Musicast), Romain pour le transport à la dernière minute, et Rémi pour les photos.