Le festival Nancy Jazz Pulsations n’a plus rien à prouver à personne question éclectisme. Cette 46ème édition n’y fera pas défaut avec le plateau de ce soir. On retrouve donc ce jeudi 17 octobre 2019 une très belle affiche à l’Autre Canal (Nancy) : Skáld et Heilung. Direction les paysages du nord !
Alors que quatre plateaux sont conjointement disponibles durant la même soirée aux quatre coins de Nancy, la façade rouge caractéristique de l’Autre Canal a déjà face à elle une queue importante à l’ouverture des portes. 19h tapante, on peut dire que les passionnés sont là, à l’heure, trépignant d’impatience. Il faut dire que la soirée affiche complet et que les bonnes places vont vite se faire rares.
Qu’il s’agisse du son comme de l’image, on s’attend à une soirée haute en couleur. Il s’agit donc de voir et d’entendre pour le mieux.
20h : c’est le groupe français Skáld qui ouvre la soirée. Plusieurs musiciens sont originaires de Nancy ou de Lorraine dans le groupe. Nul doute que les ami-e-s et partisans du combo sont nombreux dans la salle. Face au public, trois personnes en devant de scène, deux autres musiciens se partagent le fond. Justine Galmiche, la cadette de la formation est bien au centre, épaulée par Pierrick Valence et Mattjö Haussy. Skáld défend ce soir son nouvel album, Le Chant des Vikings sorti cette année. Il faut dire que l’ensemble est encore jeune, mais possède déjà une carrière prometteuse.
Fondé en 2018, rapidement pris sous son aile par Christophe Voisin-Boisvinet chargé de la composition (que l’on retrouve également à la baguette sur les albums de Luc Arbogast mais également dans un tout autre style Anahy ou Davide Esposito), c’est chez Decca, le label « classique » de Universal que le groupe signe. On sent que l’engouement actuel pour l’univers viking a du aider le label à se décider et la communication est, depuis, aux petits soins. Posts Facebook millimétrés, Youtube live, vidéos de présentation des morceaux. Rien n’est laissé au hasard. C’est également le cas sur scène, où Skáld déroule tranquillement les morceaux de son album, dont le titre très « classique » contraste assez étrangement avec la recherche musicale de celui-ci : chants en vieux norrois, utilisation d’instruments traditionnels (talharpa, nyckelharpa) parfois (re)travaillés par les musiciens eux-mêmes. Durant 1h environ, le quintet enchaîne les compos : Rún, Ódinn, Yggdrasill pour n’en citer que quelques unes et passera par la reprise de Jóga de Bjork (on verse dans l’anglais pour l’occasion). Le travail des voix résonne à merveille au sein de l’Autre Canal, une belle harmonie se dégage du trio et les arrangements ressortent aussi bien en live qu’à l’écoute des enregistrements. On regrettera simplement une prestation un peu trop statique et lisse dans son ensemble, manquant de folie. Pourtant, l’énergie est bien présente dans plusieurs morceaux et ne demanderaient qu’à s’exprimer plus fortement en live.
22h, après un long interlude de près d’une heure, c’est au tour d’Heilung d’entrer sur scène. Mais le groupe est précédé d’un étrange personnage, venu disperser de l’encens en direction des premiers rangs du public, toujours aussi garni. Commence alors la « performance » d’Heilung et on comprend aisément qu’il peut être compliqué de souffrir la comparaison avec le spectacle proposé par ces musiciens. Ceux-ci, originaires d’Allemagne, du Danemark et de Norvège ont débuté le projet Heilung en 2014. C’est donc une version bien aboutie à laquelle nous sommes confrontés.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que rien n’est laissé au hasard. Quelques phrases scandées en préambule, des chorégraphies orchestrées entre musiciens et figurants habillés tantôt en guerriers, tantôt simplement vêtus de toges. Heilung est un concert qui se vit du début à la fin, profondément, en communion avec le groupe, au sein du groupe. Ses membres déambulent, s’accroupissent, courent, chantent, crient, laissent entendre des cris d’animaux. Sur scène, outre les habits savamment choisis, on retrouve des éléments végétaux et des cornes d’animaux, jusque dans les pieds de micro. Une pantomime appuyée par les chants scandés, saccadés, soutenus par des percussions régulières, entêtantes. Heilung brille par la sobriété des pochettes de leurs différentes productions mais se révèle pleinement sur scène. Heilung – guérison en Allemand – reprend des histoires et des langues multiples, anciennes, plongeant dans les prémices de l’humanité. La litanie s’embrase soudain, du feu fait son apparition sur scène, les corps s’emballent, les guerriers et guerrières s’agitent entre danse et transe, certains étendent leur territoire jusque dans la salle, au milieu du public.
Plusieurs morceaux de leur nouvel album, Futha, sont joués durant cette soirée (Norupo, Traust, Othan) au milieu de créations plus anciennes (Hakkerskaldyr, Alfadhirhaiti, dont les chœurs sont repris par près d’une dizaine de chanteurs via des micros d’ambiance disposés sur scène ; impressionnant).
On ressort enchanté autant que groggy de l’expérience, le sentiment d’avoir traversé des paysages enneigés et vécu plusieurs centaines d’années au milieu de peuples vivants, en accord avec la nature et leur environnement.
Pari gagné, une nouvelle fois, pour les Nancy Jazz Pulsations, avec cette soirée certes loin du style « Jazz » initial, mais donc la créativité aura su attirer une foule compacte, composée d’un large spectre d’âges et d’origines, visiblement curieux ou passionnés de la musique distillée par les deux formations.
plus d’infos sur le festival : https://nancyjazzpulsations.com/