Inimaginable en province, le lancement de soirée en fin d’après-midi est presque devenu une habitude en région parisienne. Ouverture de l’Elysée Montmartre à 18h30, début de set une demi-heure plus tard pour Dysfunctional By Choice, et concert entièrement loupé en raison de l’horaire pour l’équipe de Vacarm qui arrive sur les lieux alors que le bal des roadies s’est déjà activé. C’est donc face à Destruction Incorporated que la soirée débute sous les meilleures auspices pour les retardataires, qui découvrent par la même occasion un rock'n'roll cuisiné aux petits oignons. Bien que coupée en deux par son traditionnel rideau, l’Elysée Montmartre présente un bon taux de remplissage compte tenu du fait que Cult Of Luna jouait deux ans plus tôt dans une loco à la capacité d’accueil bien plus restreinte. C’est donc devant un parterre relativement fourni que le side-project fraichement formé par Shanka (No One Is Innocent) et Pierre Belleville (Lofofora) lance les hostilités en envoyant d’entrée de jeu son redoutable single « Lucky Day ». Sans détours ni artifices, Destruction Incorporated retranscris efficacement une bonne poignée de morceaux extraits de son album The Dogman’s Tales. Bien rock’n’roll, le show est mené tambour battant par un Pierre Belleville impressionnant de maitrise, visiblement enchanté des conditions offertes par la salle et n’hésitant pas à se lever pour encourager et remercier les spectateurs qui auront fait le déplacement ce dimanche soir.
Si le batteur n’hésite pas à s’adresser à l’auditoire sans même prendre le temps de trouver un micro, ses deux comparses cultivent cependant une certaine distance et resteront tout du long concentré sur leur jeu. Ce qui, au final, n’affecte en rien un public relativement posé et souhaitant avant tout se délecter de la prestation offerte par le trio ce soir là. Si d’un point de vue strictement musical la cohérence de l’affiche de cette tournée demeure discutable, le trio balance ses morceaux avec entrain et agilité, exploitant pleinement les petites quarante minutes mises à sa disposition pour délivrer un show efficace et aligner des purs morceaux de rock au potentiel parfois tubesque. Changement d’ambiance quelques minutes plus tard avec l’arrivée d’un Cult Of Luna qui va emporter le public parisien dans un autre monde. Loin, très loin.
Ambiance intimiste, éclairages tamisés, les musiciens investissent discrètement la scène sur « And With Her Came The Birds », extrait du fabuleux Somewhere Along The Highway. Une entrée toute en délicatesse avant un probable déluge, qui laisse les spectateurs se régaler de l’unique intervention vocale du guitariste Fredrik Kihlberg ainsi que de la seule prestation en chant clair de la soirée. Quelques minutes plus tard, la formation laisse enfin échapper les décibels, érigeant un mur du son quasiment impénétrable bâti à l’aide de trois guitares aux échappées électriques et pesantes. Venu présenter son album Eternal Kingdom après une prestation remarquable mais bien trop courte au Hellfest, les suédois bénéficient ce soir d’un contexte favorable et d’un timing parfaitement adapté à leurs explorations musicales à rallonge. Superbement retranscris malgré quelques rares petits dérapages, en particulier sur les passades les plus éthérées, les morceaux bénéficient d’une acoustique formidable permettant à ces derniers de sonner avec toute la puissance nécessaire.
Sans jeu de scène particulier, obnubilés par la qualité de la retranscription, les musiciens se montrent concentrés à l’extrême sur leurs instruments et ne communiquent à aucun moment autrement que par la musique. Cult Of Luna est avant tout sur les planches pour faire ressentir ses émotions à travers un son unique, incroyablement aliénant, qui transcendera l’assistance pendant près d’une petite douzaine de compositions aux contrastes sonores exacerbés. Omettant comme à son ordinaire l’album éponyme ainsi que The Beyond pour articuler le concert autour de la renaissance constatée via Salvation, la prestation se dresse comme un pur moment de perfection musicale et oscillera constamment autour d'échappées cristalline couplés à de somptueux débordements électrisés d’un rage sombre et envahissante. Profonde, passionnante, intense, la musique de Cult Of Luna gagne une toute autre dimension en live, les sentiments procurés par l’écoute des opus du groupe s’avérant bien plus tétanisants lorsqu’ils se voient partagés par un auditoire qui vit la musique des suédois de façon passionnée.
« Owlwood », « Dim », « Adrift », « Echoes »… Si chaque titre laisse jaillir une foule d’émotions confuses, la formation atteint de véritables sommets lors d’un « Following Betulas » à l’outro titanesque ainsi qu’à l’occasion d’un « Finland » aux horizons ténébreux et apocalyptiques. Bien que peu présents, les quelques défauts (notamment des accompagnements électroniques trop en retrait) sont rapidement gommés par la subtilité des univers musicaux ainsi que le charisme naturel d’un Klas Rydberg qui éructe littéralement en fond de scène, avant de prendre place sous les yeux révulsés d’un public littéralement conquis à la cause de Cult Of Luna. Sublimée par un light-show retranscrivant parfaitement les contrastes des horizons musicaux, la prestation n’en est que plus passionnante, forcément trop courte, irrémédiablement inoubliable. Un grand moment d’évasion, que même l’inexplicable absence du pourtant fantastique « Back To Chapel Town » ne pouvait altérer. Pourquoi est-on si attachés à une création artistique comme la musique ? Probablement pour ressentir une émotion, se retrouver. Cult Of Luna a définitivement exploré les tréfonds les plus secrets de l’âme humaine, et dépeint un tableau si effrayant de vérité que leurs adeptes restent encore trop peu nombreux. Tout simplement l’une des formations les plus intouchables de son temps.