The Top, The Head On The Door et Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me ont permis aux Anglais d’assouvir des penchants pop et expérimentaux plutôt insoupçonnables, jusqu’à enterrer partiellement une part d’ombre certaine ayant jalonné – déjà – dix années de remise en question musicale. Avec Disintegration, The Cure renoue avec ses vieux fantômes en enrobant sa musique de tulles noirs et autres envolées synthétiques, sans pour autant passer par un opportunisme visant à rassasier l’appétit des déçus post-Pornography. Ce huitième opus se voit, aujourd’hui, telle une période de transition primordiale vers l’évolution du groupe, qui par la suite ne renouvellera plus véritablement ce genre de concept-album homogène dans un vertige mélodieux.
Si aucun titre particulièrement rythmé ne perturbe l’ensemble, Disintegration trouve une force palpable dans sa mélancolie sans néanmoins s’engouffrer vers la mollesse redondante : tout n’est que descente au fond des abîmes, de la nostalgie amère et de la désillusion sous des élans atmosphériques. Seul le single « Lovesong » tire son épingle du jeu de par son texte plus léger. Pour la première fois depuis Japanese Whispers, The Cure ne cherche pas à taper dans le hit-single afin d’honorer son contrat, ce qui s’avère plutôt cocasse dans la mesure où Disintegration deviendra l’album le plus vendu du groupe.
Sans doute afin d’accentuer le malaise (ou la magie), les trois derniers morceaux de l’album – « Disintegration », « Homesick », « Untitled » – donnent une impression de triple fin, un final qui s’éternise mais dont on ne peut que se délecter, puisque fort, dangereux, sur le fil du rasoir, introspectif. Hormis « Bloodflowers » sur l’album éponyme (2000) et « Going Nowhere » sur The Cure (2004) mais chacun dans une moindre mesure, aucune conclusion d’un cd de The Cure ne sera aussi brillamment orchestrée.
Album phare dans la carrière de The Cure, Disintegration marque une étape importante dans la carrière du groupe, et reste à ce jour un disque atteignant la perfection : une qualité de son et de composition difficile à égaler. Un marécage dans lequel il fait bon, voire essentiel, de se perdre. Dommage que Fiction Records et Robert Smith ne proposent pas de réédition à l’occasion des vingt ans de la sortie de ce (très) grand disque, qui mérite largement tous les dithyrambes.