Etrange destinée que celle de Trinacria. Collectif formé à l’origine sur demande d’une organisation culturelle norvégienne afin de proposer au public une simple série de concert, le projet mutera avec le temps vers une véritable entité souhaitant s’inscrire dans la durabilité. Au trio de base (comprenant notamment Ivar Bjørnson, guitariste chez Enslaved) s’ajoutera bien vite un line-up complet et conséquent puisque la formation évolue désormais sous forme de septet. Des musiciens issus d’univers différent pour un album résolument hors-normes répondant au nom de Travel Now Journey Infinitely.
Le noise peut-il être mélodique ? Ce premier opus tend à prouver que oui. Définitivement. Pour autant, ces huit compositions ne présentent en rien une porte d’accès rapide dans les méandres de l’univers complexe et saturé de Trinacria. Un monde aux dominantes rouges et noires, vide de toute présence humaine, paysages sur lesquels ne semblent régner qu’une atmosphère surchargée de négativité. Ecrasé sous le poids d’un brouillard ne laissant filtrer aucun rayon lumineux, l’auditeur divague longuement, avant de dériver vers un funeste destin. « Part I : Turn-Away » se place comme la rampe d’accès la plus évidente aux horizons ténébreux dans lesquels la formation nous entraîne irrémédiablement. Un tourbillon cauchemardesque, passage entre deux mondes, construit autour d’une rythmique aussi lente que pesante. Trinacria vogue entre metal atmosphérique et noise-rock, étalant des riffs torturés sur plusieurs kilomètres, usant d’une répétitivité terrassante afin de pénétrer les zones les plus résistantes du sub-conscient. Le matraquage vient rapidement à bout des barrières les plus résistantes, instaurant dans les secondes qui suivent une ambiance saturée d’électricité et de lourdeur s’infiltrant par vagues denses et cotonneuses. Les musiciens superposent les couches, conservant un accord de guitare sur des étendues qui semblent se répercuter infiniment dans le temps et l’espace, greffant de ci et là des incursions électroniques et autres larsens hypnotiques dans l’unique objectif de dérouter la machine bien réglée de l’esprit (« Part V : Breach », « Part II : The Silence »).
Du sombrement mélodique des premières minutes, la musique de Trinacria bascule petit à petit dans la folie. Les rouages bien huilés se muent en tirades crasseuses et stridentes à mesure que s’ajoutent les éléments, l’électronique apportant une série de sonorités vrombissantes entraînant irrémédiablement à l’instauration d’une véritable chaos organisé. Grutle Kjellson illustre ces instrumentations alambiquées de son chant avec une grande parcimonie, les vocaux arrachés et caverneux se voyant de plus mixés en retrait, fusionnant aux composantes comme un instrument dissonant de plus (« Part III : Make No Mistake », seule composition amenant un tempo plus soutenu). L’horizon se perce enfin en conclusion (« Part VI : Travel Now Journey Infinitely »), l’étau sonore lâchant son emprise sous l’impulsion du chant féminin de Maja K. Ratkje. Neuf minutes au cours desquels l’auditeur se voit tiraillé entre l’ombre et la lumière, avant d'être finalement arraché à ce triste monde par une série de tirades virevoltantes appuyées d’un cor d’harmonie inspiré.
Rares sont les albums à porter aussi bien leur nom. Un voyage tortueux et pensant pour une fin éclairée et salvatrice. Travel Now Journey Infinitely ne s’écoute pas, il se vit.
.: Tracklist :.
01. Part I : Turn-Away
02. Part II : The Silence
03. Part III : Make No Mistake
04. Part IV : Endless Roads
05. Part V : Breach
06. Part VI : Travel Now Journey Infinitely