Il serait peut-être temps de rendre à Sleeppers le succès qu'il mérite vraiment. Car avec plus de seize ans de carrière au compteur, un nombre de dates incalculable dans les quatre coins du pays ainsi qu'une bonne série d'albums et d'EP aujourd'hui malheureusement introuvables (mais disponibles en intégralité sur le récent DVD 15.597_Making Noises), ces quatre musiciens n'ont plus rien de débutants, et le prouvent de la plus belle façon imaginable avec Signals From Elements, dernier opus en date débarqué au cours du mois d'avril 2006.
Qu'espérer d'une formation qui semble avoir livrée le meilleur d'elle-même sur son précédent essai ? Un album dantesque ? Difficile à imaginer lorsque l'on sait où Sleeppers a placé la barre par le passé. Et pourtant, Signals From Elements l'est incontestablement. Toujours plus proche de la perfection, ce cinquième opus n'opère pas un virage radical et reste dans la lignée de Interaction, tout en poussant encore plus loin les expérimentations sonores proches d'un Neurosis. L'ingéniosité des lignes instrumentales reste à ce niveau bien supérieure à n'importe quel groupe Français, celles-ci témoignant d'une richesse hors du commun. Radicalement éloignées d'un quelconque formatage radiophonique, les constructions s'étalent bien souvent dans le temps et témoignant de longues plages instrumentales amenant l'auditeur à passer par une foule de sentiments différents, même si la dimension sombre et oppressante reste fortement dominante (la conclusion de « Undone », véritables montagnes russes d'une noirceur absolue). Le tempo s'avère être une donnée à géométrie variable, Sleeppers naviguant sans provoquer un dérangeant manque de cohérence à travers les ambiances, témoignant d'influences aussi variées que parfois étranges. De plages noisy et saturées de riffs plombés relativement classiques (« Blacklisted », l'entraînant « N.Particles » et sa rythmique relevé, « Don't »), le quatuor n'hésite pas à dévier vers des atmosphères nettement moins riches en électricité sur lesquelles la basse se taille la plus grosse part du travail (« Undone », « Ruines »), pour arriver en fin de course vers une composition arabisante de plus bel effet, véritable montée en crescendo d'instruments dépaysants.
Ce « Landscapes » se révèle d'ailleurs être l'une des plus grande réussite de ce Signals From Elements, voire de la carrière du groupe, tant les intervenants prétendus antagonistes parviennent à cohabiter pour former un tout redoutable d'efficacité. Sur plus de neuf minutes achevées par des percussions tribales, le morceau oscille entre décharges écrasantes d'électricité et envolées mystiques orientales, superposant à tous ces intervenants instrumentaux un chant tantôt berbère, tantôt écorché. Car si les instrumentations se révèlent être teintées d'un incroyable talent de composition, le chant (ou plutôt les chants) ne se placera nullement en dessous niveau qualité. Qu'il s'agisse de tirades murmurées, mélodiques (les refrains de « Undone ») ou encore d'un registre plus rauque et violemment expulsé (« N.Particles »), le groupe ne s'impose aucune barrière en n'illustrant pas sa musique d'une unique voix de référence, chaque membre apportant sa contribution, ainsi qu'en mixant les chants bien derrières les instruments. Les langues utilisées se veulent diverses, métissant encore d'avantage les morceaux de Sleeppers, les musiciens invitant également Reuno le temps d'un titre (« Ruines »), celui-ci parvenant avec brio à intégrer un phrasé plus parlé, l'emploi du Français utilisé par le leader de Lofofora permettant de contraster et d'amener un jeu de questions / réponses avec les tirades en Anglais adoptées par les quatre musiciens.
Signals From Elements n'est pas un disque sur lequel on passe rapidement avant de l'oublier aussi vite. Il reste ancré dans un coin, et risque bien de révéler l'intégralité de sa teneur qu'une fois passées bons nombres d'écoutes. A découvrir absolument…
.: Tracklist :.
01. Data 0
02. Blacklisted
03. Darwin 5.4
04. Undone
05. Slaves
06. N.Particles
07. Thrill
08. Ruines
09. Recycle V2.0
10. Don’t
11. Monkey Decisions
12. Landscapes
13. Tokio 3127