Considéré à juste titre comme le détenteur d’un talent d’écriture rarissime, Steven Wilson semble faire preuve ces derniers temps d’une prolifique envie de multiplier les témoignages discographiques. Actif depuis plus de vingt années, Porcupine Tree publiait en 2007 un nouvel opus remarquable du nom de Fear Of A Blank Planet, complété quelques mois plus tard par l’EP Nil Recurring. Le premier semestre 2009 aura pour sa part vu naitre un nouvel effort solo du compositeur Anglais (Insurgente), lui-même suivi d’un album de remixes dévoilé en parallèle de ce The Incident très attendu. Concept album présenté comme ambitieux, la qualité de ce disque ne souffre en rien de l’activité débordante de son leader. Alambiqué à l’extrême, le disque fait preuve du travail d’orfèvre inhérent aux productions des anglais.
Présenté comme une unique œuvre de cinquante minutes, The Incident n’en conserve que l’idée originel pour se décliner à travers plusieurs tableaux bien délimités. En quatorze plages, Porcupine Tree traverse des horizons bien démarqués, mais noue cependant ses univers à l’instar d’une symphonique complète. D’une cohérence sans faille, les morceaux s’articulent autour d’interludes instrumentales atmosphériques très soignées, ces dernières construisant des passerelles entre les compositions. Car si Porcupine Tree a imaginé son album comme un tout, il ne sacrifie pourtant en rien sa formidable propension à divaguer à travers les sonorités et pose sur bandes un opus à l’écriture tout aussi variée que ses prédécesseurs. Légèrement moins orienté du côté metal que Fear Of The Blank Planet, cette longue envolée mélodique et progressiste s’y engouffre occasionnellement afin d’établir des contrastes savoureux (le sombre « VI. The Incident », l’énergique ouverture de « I. Occam’s Razor » et son prolongement « II. The Blind House »), mais se ressent avant-tout comme un voyage stratosphérique et hallucinatoire. Longue plongée dans un coma dense et brumeux, The Incident instaure une ambiance reposante et multipliant les appels à l’ imaginaire (« IX. Time Flies », « XII. The Seance »), malgré quelques brusques chutes entre rêve et cauchemar. Aux majoritaires horizons éclairés matérialisés par une abondance accrue de passades acoustiques doucereuses répondent les assauts les plus obscurs et torturés, teintes maitrisées à merveille et souvent propices à l’incursion d’acteurs électroniques et autres saturations glauques et grinçantes (« XIII. Circle Of Manias », « VI. The Incident »). Dommage cependant que Porcupine Tree ne s’aventure pas plus souvent dans le vortex de noirceur, tant ces quelques escapades parviennent à bouleverser l’ordre établi avec un talent presque insolent.
Cette relative frilosité à sombrer vers les travers les plus sombres trouve néanmoins une contrepartie dans les vocaux rêveurs de Steven Wilson, nettement plus adaptés aux compositions baignées d’une lumière réconfortante. Mélancolique à souhait, matérialisé par un timbre doux-amer à la sensibilité à fleur de peau (la sublime ballade « IV. Kneel And Disconnect »), le chant fait comme toujours preuve d’une justesse et d’une sensibilité qui magnifie et s’accorde à merveille aux escapades habillées d’une nostalgie communicative. Superbe accompagnement des thèmes instrumentaux développés par Porcupine Tree, le chant de Wilson contribue à instaurer un sentiment de perdition et de remise en question. The Incident est un album mental et physique, une œuvre puissante qui pénètre profondément ou laisse de marbre, mais qui ne peut se parcourir d’une oreille distraite. Une expérience, prolongée à l’instar de Fear Of The Blank Planet par un EP quatre titres plus anecdotique mais néanmoins de haute volée. Tout aussi riches, les morceaux se montrent logiquement plus accessibles, et envoutent avec le même pouvoir de séduction. Certaines excursions n’auraient d’ailleurs pas déméritées en se greffant à la symphonie de la formation, et dressent des fondations toutes aussi promptes à jouer avec les registres et les ambiances (l’excellent et très trip-hop « Bonnie The Cat », sur lequel Wilson s’essaie à un spoken words étonnant).
The Incident est un disque sensitif, et s’instaure en pierre de taille dans la déjà longue discographique du quartet anglais. Complexe et tortueux, l’opus se profile comme une œuvre d’art contemporaine : parfois difficile d’accès, le tout révèle ses arcanes les plus passionnantes avec le temps et les écoutes.
CD 1 :
The Incident
I. Occam’s Razor
II. The Blind House
III. Great Expectations
IV. Kneel and Disconnect
V. Drawing the Line
VI. The Incident
VII. Your Unpleasant Family
VIII. The Yellow Windows of the Evening Train
IX. Time Flies
X. Degree Zero of Liberty
XI. Octane Twisted
XII. The Séance
XIII. Circle of Manias
XIV. I Drive the Hearse
CD 2 :
01. Flicker
02. Bonnie The Cat
03. Black Dahlia
04. Remember Me Lover