Certains groupes ont toujours eu besoin de plus de temps que les autres. Il en a toujours été ainsi pour Deftones, qui en plus de dix ans de carrière aura accumulé les retards avec les sorties, battant même des records pour cette tant attendue cinquième pépite. Un disque qui aura manqué de ne jamais voir le jour, Chino ayant préféré abandonner son groupe de toujours pourtant en studio afin de partir sur la route avec Team Sleep. Les rares titres dévoilés au compte-goutte jusque ici laissaient présager du meilleur, donnant quelques pistes sur l'orientation de Saturday Night Wrist, mais le plus surprenant restait néanmoins a découvrir…
Un frisson parcours lentement l'échine, l'esprit se trouve catapulté ailleurs, aux confins d'un monde vierge de tout urbanisme, dénué de préoccupations politiques, financières ou autres pollutions sonores. Indiscutablement, la touche Deftones si caractéristique et à ce jour inégalée dans le monde du metal imprègne harmonieusement Saturday Night Wrist, ce qui s'avérait loin d'être le cas de son prédécesseur, très inégal et pour la première fois ennuyant sur la longueur. Avec ce nouvel opus, le quintet originaire de Sacramento risque bien de dérouter une grande partie de son public, les douze morceaux s'orientant parfois sur des chemins de traverses bien différents des productions passées. En effet, difficile de classer aujourd'hui ces précurseurs du mouvement néo-metal aux côtés des clones qu'ils ont inspiré tant la formation se complait à en briser les codes. Les structures s'éloignent par moment radicalement des modèles exploités à outrance au cours des années 90, certains morceaux ne contenant ni refrain ni couplet clairement définissables, Saturday Night Wrist témoignant de quelques expérimentations sur lesquelles le terrain se veut totalement dégagé aux ambiances cotonneuses et autres boucles électroniques envoûtantes amenées par un Franck Delgado nettement plus présent (« Pink Cellphone », morceau proche du trip hop exécuté en duo avec Annie Hardy de Giant Drag, l'instrumental et magnifique « u, u, d, d, l, r, l, r, a, b, select, start », « Riviere »). Bien que moins présente et agressive, la guitare n'a néanmoins pas été oubliée, celle-ci venant bien souvent marquer à point nommé la cassure entre les nappes atmosphériques, évitant soigneusement et intelligemment de ressasser l'éternel riff sous accordé sur une durée académique médiatiquement exploitable.
Inventives, les parties posées par Stephen Carpenter ne cherchent plus à nécessairement électrifier l'intégralité des bandes, les accords saturées laissant souvent place à une série de notes disposées sur orbite derrière la basse groovy de Chi Cheng, comme pour mieux souligner l'efficacité d'un refrain imparable (l'incroyable « Beware » et sa conclusion apocalyptique ou encore le puissant et incisif « Rats ! Rats ! Rats ! », morceau de loin le plus hargneux de Saturday Night Wrist). Ces multiples changements de directions semblent propices à l'épanouissement de Chino Moreno, qui ramène dans les intonations de son chant de nombreux fragments de ses récentes tribulations avec Team Sleep. Bien qu'utilisés avec brio ( « Rats ! Rats ! Rats ! » aux couplets littéralement aboyés, « Rapture »), les hurlements de colère se veulent donc nettement moins exploités, ces derniers laissant une place toujours grandissante aux envolées célestes et planantes maitrisées, le frontman livrant avec Saturday Night Wrist sa performance la plus hypnotisante à ce jour (« Mein », renforcé par les chœurs très typés de Serj Tankian, « Kimdracula » ou encore un « Beware » enveloppé dans le brouillard).
Avec Saturday Night Wrist, le quintet donne libre cours à ses envies, quitte à rendre sa musique moins accessible au grand public. La répétition n'a jamais été au goût de cette formation si spéciale, et ce nouvel opus en est une preuve de plus. Indispensable.
.: Tracklist :.
01. Hole In The Earth
02. Rapture
03. Beware
04. Cherry Waves
05. Mein
06. u, u, d, d, l, r, l, r, a, b, select, start
07. Xerces
08. Rats ! Rats ! Rats !
09. Pink Cellphone
10. Combat
11. Kimdracula
12. Riviere