« Je voulais créer un monde où je me sentirais à l’abri, » dit Anja Plaschg. « J’étais à la recherche de quelque chose de réconfortant. L’album parle de séparation, de pardon, d’états de guérison et de rechutes effrayantes. »
From Gas to Solid – you are my friend est le troisième album de la femme connue sous le nom de Soap&Skin, et le premier d’Anja en six ans. Il y a de bonnes raisons à sa retraite et à sa quête d’un refuge à l’abri du danger, étant donnée l’intense séquence d’événements qui l’ont précédé : des louanges et une célébrité presque instantanée dans son Autriche natale, et partout en Europe, qui ont conduit à une attention trop intrusive des médias et à une attente exténuante, alors qu’elle cherchait à protéger son intégrité. Ensuite, la maternité, et enfin le fait de commencer un nouveau disque tandis qu’au dehors le monde continue à craquer. Si sa quête d’un abri a créé une sorte d’oasis revigorante, une vision adulte plus équilibrée que les aspects plus bruts et furieux du précédent travail d’Anja, l’éblouissant et retentissant From Gas to Solid… reflète encore sa lutte pour trouver un sens, des réponses et un endroit où survivre.
L’album suit une trajectoire similaire à celles de son premier disque de 2009, Lovetune For Vacuum, et de Narrow de 2012 – tous deux classés dans le Top Ten en Europe, le dernier atteignant la première place en Autriche. Ce qui était inattendu étant donné la beauté tranquillement bouleversante, la poésie saisissante et l’ambition de compositions mélangeant classique, électronique, gothique, avant-garde, chansons d’amour et traditions de singer-songwriter. Sur les cinq premières chansons du nouvel album, elle adopte un piano-chant aux allures de cantique (« This Day »), une quiétude envoûtée parsemée d’électronique (« Athom »), un orgue et des tambours militaires pour colorer « Italy », une atmosphère chorale sur « (This Is) Water » et la grandeur tendue de « Surrounded », éthérée et directe.
Plus loin, From Gas to Solid… se dirige vers sa conclusion avec « Falling », son chapitre le plus dynamique et écervelé. Puis « Palindrome », un arrangement choral monacal avec des notes envoûtantes, dans le style gamelan, et ce texte en Latin, “in girum imus nocte et consumimur igni” (« Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu »), un palindrome décrit comme « le vers du diable ». Enfin, une reprise succincte, sereine, de l’éternel « What A Wonderful World » de Louis Armstrong, conclut l’album. Cette étonnante et ondoyante palette d’expression musicale est produite et en grande majorité jouée par Anja seule chez elle, dans un coin tranquille et verdoyant de Vienne.
« Les gens me disent que je travaille d’une façon inhabituelle, » dit-elle. « Je sample tout, même quand des musiciens sont impliqués, comme le batteur et le joueur de cor, ou mon propre piano. Je compare ma façon de faire de la musique à la peinture. Ce qui veut dire que je peux dépasser mon état d’esprit instruit, et plus faire confiance à ce que j’entends. Ça me donne plus de liberté. »
Originaire du village de Gnas, Anja a commencé les leçons de piano à l’âge de six ans (y ajoutant plus tard des leçons de violon), mais quand elle a eu neuf ans, tout a changé après que ses frères ainés lui ont fait découvrir l’album de Björk, Debut. La première chanson d’Anja, « Cynthia » (d’après la déesse grecque de la lune, évoquant « mon envie d’échapper à mon âge et à mon village ») a été écrite alors qu’elle n’avait que 14 ans, et elle était suffisamment bonne pour être enregistrée pour son premier album. À 16 ans, elle étudiait le graphisme, qu’elle a abandonné pour déménager à Vienne et étudier l’art, avant que la musique ne l’emporte, et en 2008 Anja a publié un EP sans titre sous le nom de Soap&Skin.
L’un des titres de cet EP, une reprise du « Janitor Of Lunacy » de Nico – précédé par une autre reprise, en 2007 sur Youtube, du « Maybe Not » de Cat Power – indiquait d’autres sources d’inspiration, bien qu’Anja cite également le compositeur médiéval Hildegard de Bingen et la musique des chœurs bulgares. « Je suis influencée par les femmes en général, » ajoute-telle. « Et les livres, la poésie et les films. »
Un large goût pour l’art l’a conduit à faire ses débuts sur scène en 2008, jouant (et interprétant des chansons de) l’icône germanique dans Nico – Sphinx Aus Eis, puis au cinéma dans Stilleben. Mais la musique restait son principal centre d’intérêt, et même au cours des six années écoulées depuis Narrow, Anja a été très occupée : des collaborations avec Apparat (« Goodbye », en 2012) et Asfast (« Drag Shift », en 2017), des musiques pour le théâtre et le cinéma (comme celle de Sicilian Ghost Story, en 2017) et deux publications en ligne de sa propre musique, l’EP de 2013 Sugarbread et en 2015 une reprise de « Mawal Jamar » d’Omar Souleyman. « On m’a demandé un remix pour lui, mais je n’ai pas réussi à en faire un dont je sois satisfaite, » se souvient-elle. « Pourtant, sa musique ne cessait de me tourner dans la tête, donc j’ai pensé qu’à la place, je pouvais l’interpréter. Et j’ai été heureuse de me lier avec un Syrien, et un Kurde, à ce moment-là. »
L’absence de nouvel album depuis Narrow pourrait se résumer par un simple sentiment : « Ma musique est tellement personnelle, elle provient de mes expériences de vie, donc j’ai toujours su que je n’étais pas du genre à publier un album chaque année, » admet-elle. « J’ai besoin de collecter des choses et d’évoluer. » En même temps, « l’industrie musicale n’est pas mon truc. Je ne m’habitue pas vraiment aux conséquences du succès et toute préparation mentale est presque impossible. »
Quand le processus créatif et intellectuel creuse en profondeur, mais que les critiques ne font qu’en effleurer la surface, le schisme est difficile à supporter. Prenez From Gas to Solid – you are my friend, qui fonctionne à différents niveaux. Par exemple, le « gaz » est ici « le processus de quelque chose d’invisible qui nous entoure, quelque chose d’inconscient, de perdu, d’oublié ou qui n’est même pas encore né. » Le « solide » est « quelque chose de visible, d’audible, de perceptible et de conscient, avec des conséquences. » L’élément « ami » c’est, « développer le savoir, la conscience, le changement et ses conséquences. La conclusion est une vision, un point de vue, un lien qui inclut l’échec. »
Anja dit « j’ai également dû laisser tomber ce que je pensais aimer et désirer, ce qui veut aussi dire faire remonter des choses énormément douloureuses de mon inconscient – du gaz au solide. »
Le processus de sampling utilisé par Anja veut aussi dire créer « un monde imaginé [reflété par la pochette qu’elle a réalisée pour l’album], click par click, peindre la musique sur mon écran – c’était le ‘gaz’. Un vrai lien – solide – n’était pas présent. » De même, la transition par l’enregistrement de la pensée à un album tangible est un passage de « gaz à solide ».
Anja a également rejoué sur scène, avec l’ensemble Stargaze d’Andre de Ridders (qui comprend aussi Anna Calvi et Laeticia Sadier) qui rendait hommage au Blackstar de David Bowie, et ses propres concerts suivront. Soap to Skin [du savon à la peau], gas to solid [du gaz au solide], de l’absence à la présence – Anja Plaschg a continué d’avancer, de trouver des solutions, et elle revient plus forte que jamais.
TRACKLISTING
This Day
Athom
Italy
(This Is) Water
Surrounded
Creep
Heal
Foot Chamber
Safe With Me
Falling
Palindrome
What A Wonderful World
From Gas to Solid / you are my friend sera disponible le 26 octobre 2018 dans tous les formats chez Play It Again Sam