Red Mourning… ou la couleur du deuil des esclaves du Mississippi. Car le métal unique de ces français transpire la slide-guitare blues et le hardcore brut, sans concessions.
Le 2 mars, au Doctor Feelgood les Halles (Paris), Vacarm a pu s’entretenir avec JC (chant), Aurélien (batterie) et Sébastien (basse) du groupe Red Mourning, venus défendre leur 4e album « Under Punishment’s Tree », 4 ans après «Where Stone And Water Meet». Mélanger blues et metalcore il fallait oser. Red Mourning propose, entre autres, une alternance chant clair/hurlé, des choeurs façon gospel, de la slide guitare, de l’harmonica et le résultat est plus que convaincant. Le groupe présentera son nouvel opus sur la scène de la Boule Noire (Paris) le 23 mars, accompagné de Pittbulls in the Nursery. Une date à ne pas manquer !!
Quatre années séparent votre dernier opus du précédent, un mot sur l’évolution humaine et artistique du groupe entre les deux albums ?
JC : on a changé de guitariste pour ce 4e album, ça a été compliqué. On a commencé l’album avec Romaric, le guitariste historique du groupe avec lequel on a joué pendant 10 ans, mais il a décidé de changer de vie, de passer plus de temps avec ses proches et moins de temps à dormir dans le van (rires). On est restés en super bons termes avec lui, on a vécu des trucs incroyables ensemble. Mais c’était un gros facteur dans la composition des morceaux et pour nous ça a été une petite phase d’interrogation et de chamboulement, d’autant plus qu’on était aux trois quarts de la compo du 4e album, ce qui explique aussi qu’on ait mis un an de plus à sortir l’album par rapport aux précédents. Le temps de se demander ce qu’on allait faire, si on allait continuer, on a quand même auditionné des musiciens, rencontré Julien, fini de composer l’album avec lui, Aurélien a pris une place plus importante dans la composition y compris des autres instruments et Julien nous a dit lui aussi qu’il allait changer de vie, déménager. On avait déjà fait des concerts ensemble et là re-interrogation, même si on comprend tout à fait sa décision et on l’adore. Nouveau changement donc et depuis juillet on joue avec Alex, obligé d’intégrer toute la discographie du groupe qui existe déjà depuis longtemps, d’apprendre à jouer tous les morceaux, à jouer de la lap style, le chant en même temps que la guitare parce qu’on chante tous sur scène en live. Beaucoup de boulot mais c’est un mec super sérieux, un bon guitariste et un bon chanteur donc on a surmonté tout ça et on a maintenant un set-live sympa qui a intégré ce nouvel album. On bosse aussi sur un set acoustique, encore un autre boulot à fournir.
Red Mourning… ou la couleur du deuil des esclaves du Mississippi. Une petite explication ?
JC : d’après ce que j’ai lu, certains esclaves du Mississippi venaient d’une région d’Afrique où la couleur portée pour un deuil était le rouge et non pas le noir comme chez nous. Ça vient de là, c’était un petit clin d’oeil au blues, une de nos influences, et à la mort, un thème sombre qui revient souvent dans notre musique.
Pourquoi la mort revient-elle souvent dans vos compositions ?
JC : Musicalement, on exprime des émotions plutôt violentes, sombres. On rigole souvent entre nous sur les accords majeurs, mineurs, majeurs plutôt joyeux et mineurs plutôt tristes. Je suis un peu un intégriste des accords mineurs. J’écris les paroles, j’exprime toujours un ressenti personnel et la mort est un sujet auquel il m’est arrivé d’être confronté, c’est aussi un sujet de réflexion, j’enfonce un peu des portes ouvertes là mais c’est une préoccupation de se demander ce qu’on va devenir, quand quelqu’un disparaît est ce qu’il disparaît vraiment etc. Ce n’est pas le seul thème mais c’est un thème présent dans pas mal de morceaux.
Vous avez dit après «Where Stone And Water Meet» ne pas vouloir faire deux fois le même album. Pari réussi selon vous avec ce 4e opus ?
Aurélien : on n’a pas l’impression d’avoir fait deux fois le même album. Le départ de Romaric a forcément réorienté le son de la guitare, je me suis plus investi dans la compo parce qu’il fallait faire continuer l’esprit de Red Mourning et ce n’était pas évident pour un gratteux qui arrivait dans le groupe et devait intégrer tout notre univers. Il nous restait 3, 4 titres à composer, il devait déjà assimiler les nouveaux titres qu’on avait composés donc j’ai un peu fait le liant entre l’ancien et le nouveau Red Mourning.
Il a donc fallu que Romaric s’en aille pour que tu t’impliques plus dans la composition ?
Aurélien : en fait c’était très collégial. La base c’était en gros Romaric et moi. On jammait en répète, ensuite Seb incorporait ses idées et JC venait écrire les chansons. Quand Romaric est parti je me suis retrouvé tout seul donc j’ai un peu coordonné le truc mais ce qui est intéressant c’est qu’on a vraiment préparé les titres et échangé sur les arrangements, testé différentes choses. Sébastien a proposé des arrangements de voix, avec JC on a bossé le chant ensemble, on l’a écrit, réécrit, réarrangé ensemble. On est donc arrivés en studio avec l’écriture des morceaux beaucoup plus aboutie pour vraiment se concentrer sur la mise en forme des titres et éventuellement des idées qu’on aurait pu avoir en plus
Sébastien : non seulement ça mais il y avait aussi des choses que Romaric n’aimait pas forcément, il est très académique, très rock’n’roll, il aime bien que tout soit très carré, ce n’est pas un fan d’expérimentation. Selon moi, on s’est vraiment démarqué des trois albums précédents.
D’où vous vient cette envie de mélanger blues et hardcore et à quel moment avez-vous décidé de mélanger ces deux styles ?
JC : je ne l’envisage pas différemment, c’est notre identité, notre culture personnelle. Il y a un moment un peu emblématique. On a fait une démo puis un maxi et sur le maxi je me suis dit que je mettrais bien de l’harmonica. Le premier réflexe a été de se dire « bah non c’est du metal on peut pas faire ça, que vont dire les gens ? » ensuite on s’est dit « on s’en fout on le fait quand même, on a envie de le faire et puis c’est tout ». On a donc mis le doigt dans un engrenage. Ensuite on a rajouté d’autres trucs, ça ne pouvait pas être autrement. Je suis un gros fan de hardcore et de blues et je n’ai pas non plus 50 façons de chanter, c’est comme ça que je sens les trucs et je pense que pour chacun d’entre nous il y a un peu de ça. Aurélien a un style à la batterie qui traduit ses influences, ce qu’il aime, ses goûts et ça donne ce mélange. C’est en partie inconscient. Alors c’est sûr que de temps en temps on se met des petits challenges, on se dit on va essayer d’exploiter un peu plus cet effet etc mais en partie ça traduit juste notre personnalité.
Aurélien : je pense qu’on a réussi à préciser un peu plus notre style au fur et à mesure des albums. L’idée c’était avant tout de faire quelque chose d’original, on ne voulait pas faire un énième album de Metallica.
Sébastien : c’était ça l’idée au départ, plus que de mélanger hardcore et blues.
JC : ça c’est une volonté consciente pour le coup, ça ne nous intéressait pas de refaire un truc qui avait déjà été fait, on essaie, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas, mais on essaie de faire différent.
Aurélien : je pense qu’au fur et à mesure des albums on s’est aussi améliorés en tant que musiciens et ça nous a donné des outils pour vraiment pousser ce mélange encore plus loin en incorporant notamment des touches gospel qui étaient un peu plus implicites dans les albums précédents et qui là sont vraiment affirmées et un des côtés central de l’album. Pareil en incorporant des nouveaux instruments un peu atypiques comme la slide, peut-être que dans le prochain album ce sera du banjo. Il y a toujours cette recherche de pousser les choses encore plus loin, d’en faire de nouvelles, mais on garde cette identité Red Mourning qui vient du mélange de nos influences.
JC : Alex, le nouveau guitariste, apporte forcément d’autres choses et ce sera l’occasion de tenter de nouveaux trucs. C’est aussi comme ça que ça va évoluer je pense et c’est une bonne chose.
Est-ce que le public du metalcore et celui du blues trouvent chacun leur compte avec Red Mourning ou bien vous avez un troisième public qui n’est ni l’un ni l’autre ?
JC : c’est plus ça.
Sébastien : c’est important qu’il y ait un public qui nous suive mais on fait avant tout de la musique pour nous et il est hors de question de faire des compromis, hormis entre nous.
Vous aviez des influences musicales différentes, vous n’avez eu aucun mal à vous accorder ?
JC : il y a parfois des discussions franches.
Aurélien : des fois ça gueule un peu parce que c’est un peu notre bébé entre guillemets et on a tous envie de proposer le truc qui nous représente le plus. Pour en revenir au style, on a toujours eu le cul entre deux chaises et même les programmateurs ont du mal à faire des plateaux avec nous parce qu’il n’y a pas forcément de groupes dans notre style, faut-il mettre un groupe death, un groupe stoner ?
Ça va jusqu’à les dissuader de vous programmer ?
JC : ça dépend.
Aurélien : non mais c’est plus compliqué de nous insérer.
Sébastien : on n’est pas à la mode
JC : jamais à la mode (rires)
Aurélien : espérons que ça change avec ce nouvel album.
JC : nous on adore ce qu’on fait comme musique et c’est ça qui compte.
Aurélien : ça nous permet de connaître des groupes qui ne sont pas du même style que nous, c’est enrichissant aussi.
JC : et par rapport à ta question c’est ça qu’on voit, c’est plutôt une 3e voie avec des gens qui se disent « ça c’est marrant, c’est différent », parfois des metalleux mais pas forcément, on va tomber sur des gens un peu plus ouverts d’esprit peut-être plutôt que le public classique qui est parfois un peu déboussolé, pourquoi tout à coup un morceau acoustique, pourquoi la slide guitare, l’harmonica. Moi je prends ça plutôt comme un challenge et une preuve que c’est vrai qu’on fait un truc original.
A votre connaissance il y a d’autres groupes qui mélange ces deux styles ?
Aurélien : j’ai appris récemment que le groupe Comity, le groupe de hardcore un peu historique de Paris, jouait avec une slide guitare sur scène.
Ils le font depuis combien de temps, ils ne vous ont pas copiés j’espère ! (rires)
Sébastien : sûrement que si !
JC : comme tous ! (rires)
Aurélien : il y a des groupes comme Phazm aussi qui incorporent de l’harmonica.
Sébastien : Klone met du saxo, des groupes métissés il y en a quand même pas mal. Je pense que la France est un pays qui n’est vraiment pas fermé donc on peut se permettre de faire pas mal de choses, il y a plein de groupes très intéressants, je pense que Gojira a ouvert le death.
Sébastien nous quitte pour un phoner.
Certains titres de l’album comme « Calls of Pan » sont un résumé de vos influences mais deux titres sont très bluesy « Slow Bend » et « Blue Drums », comment avez-vous placé les titres dans l’album ?
JC : c’est fait a posteriori, on enregistre tout, on fait la pré-prod, on a une idée approximative. Après les morceaux évoluent aussi en studio, on inter-agit pas mal avec Francis Castes et une fois que tout ça c’est enregistré, Aurélien reprend pas mal le truc et se demande comment on peut adapter encore un peu les pistes en studio pour que ça s’articule bien.
Aurélien : ce qui a été très dur avec cet album c’est que les titres sont quand même assez variés et il fallait trouver un ordre des chansons pour que ce soit cohérent et ne pas mettre par exemple tous les titres calmes à la fin, on a fait peut-être une dizaine d’ordres de morceaux différents, on a écouté et on a un peu goupillé les morceaux comme ça, voir ce qui s’enchaîne bien, un passage calme suivi d’un passage vraiment énervé. Le choix du premier titre de l’album aussi est important. On a choisi « A Whole Different Life », un titre vraiment bagarre d’entrée de jeu avec une dimension gospel tout de même mais pour entrer dans l’album, c’est une patate directe en pleine face.
JC : c’est mon morceau préféré de l’album, je le trouve réussi, il marie bien ce côté gospel, les harmonies vocales, il transmet vraiment de l’émotion et en plus il est énergique.
Alors pourquoi ne pas avoir choisi ce titre pour le premier clip ?
JC : on en a beaucoup discuté entre nous (rires), on le fera peut-être un jour. « Dying Days » a un côté assez mélodique et met bien en avant l’harmonica.
Auréien : c’est peut-être plus surprenant aussi comme choix de titre pour faire un clip. Sur « A Whole Different Life » on aurait fait un clip metal bien énervé. Le côté intéressant de « Dying Days » c’est qu’il est très éthéré sur certains passages, très planant, ça nous permettait de tester d’autres manières de faire un clip.
Justement parlons du clip, il est magnifique ! Qui a eu l’idée, qui l’a réalisé ?
JC : Frédéric Sorel l’a réalisé. C’est devenu un pote. A chacun de nos quatre albums il a réalisé un clip avec nous. C’est un super réalisateur et un super acteur. Je vais d’ailleurs faire sa pub en vitesse, il joue en ce moment dans une pièce « Le soliloque de Grimm », seul en scène, une histoire de SDF. C’est génial donc chaudement recommandé.
Au sujet de Francis Caste du studio Sainte-Marthe ? c’est quelqu’un d’important pour vous ?
JC : c’est le 5e homme du groupe
Aurélien : et c’est comme mon deuxième père aussi (rires), je l’ai connu j’avais 19 ans, il est là depuis le premier album et j’ai un peu grandi avec lui. Ce qui est bien c’est qu’il s’adapte à chaque fois à notre évolution et il teste des choses comme nous on aime tester des choses dans la mise en son etc. Là par exemple la batterie n’est pas du tout triggée alors qu’elle l’était sur les trois premiers albums. On a pris le partie de ne pas la trigger pour renforcer le côté organique et un peu groovy de notre musique. C’est lui qui nous a poussés dans ce sens et il arrive à chaque fois à pousser davantage le concept et le mettre en son pour sortir la substantifique moelle (rires).
JC : c’est un super musicien en plus et au niveau de la voix il a apporté plein d’idées aussi.
Il vient vous voir sur scène ?
JC : il sera là le 23 mars, on s’entend bien, ça fait 10 ans qu’on bosse avec lui ! après il ne fait pas non plus le tour de la France avec nous !
Aurélien : personnellement je trouve ça très intime d’enregistrer un album parce qu’on est avec la personne pendant six semaines, enfermés dans une même pièce. Des fois on est quand même un peu à fleur de peau, un peu à nu. On montre des choses assez intimes avec notre musique, on va chercher nos limites pour transmettre le mieux nos émotions et effectivement y a une relation très intime avec lui, c’est vraiment le 5e membre du groupe.
Concernant les chœurs, tout le monde chante dans le groupe c’est ça ? Pas d’autres chanteurs ajoutés ?
JC : on arrête des gens dans la rue en fait (rires). On aime beaucoup le travail sur les voix donc il y a des couches et des couches de voix on adore ça, c’est le trip un peu Alice in Chains. Sur les premiers albums, je faisais mes propres backing, mes contre-chants harmonies et plus ça va plus les autres membres du groupe chantent. Sur ce 4e album Aurélien notamment a beaucoup participé sur les parties mélodiques et Seb sur les parties gueulées
Aurélien : sur scène on chante vraiment à quatre. Ce qui est intéressant dans nos live je pense c’est qu’on essaie de proposer une autre expérience, complémentaire à l’album donc on chante tous les quatre, on ré-arrange certains titres pour leur donner un côté live, vivant, pour avoir des échanges avec le public, ne pas faire juste ce qu’on a enregistré quitte à mettre des samples etc
JC : c’est un enfer en live pour l’ingé son (rires). Il doit gérer quatre personnes qui chantent, la slide, l’harmonica …
C’est le 6e homme du groupe alors !
JC : oui ! c’est toujours le même, Fabien, il connaît bien le groupe et arrive à gérer.
Ce serait quoi l’aboutissement pour vous ?
JC : jouer à l’Elysée ! (rires). Plus sérieusement, on aimerait bien jouer de nouveau au Hellfest.
Aurélien : jouer de plus en plus et dans plus de pays.
Un très grand merci à JC, Aurélien et Sébastien !