Gojira est actuellement en tournée en France pour la promotion de leur nouvel album : Magma. A l’occasion du passage du groupe à Nantes, nous avons pu échanger quelques mots avec Mario…
Salut Mario et merci de nous recevoir. Comment vas-tu ?
Salut ! Ça va super et toi ? On vient de démarrer la tournée, donc les muscles sont un peu fatigués. La reprise est toujours rude à ce niveau-là, quand on démarre direct avec 1h30 de show mais tout le reste, ça va. C’est plutôt au bout de 25 jours que le corps entier devient fatigué.
Vous venez d’entamer une tournée Française pour votre album Magma…
C’est une petite tournée française qui vient juste de commencer. C’est pas long, juste sept dates en France qu’on se fait en extra en plus d’une tournée européenne qu’on débutera au mois de mars. On voulait intégrer la France dans cette tournée européenne, mais c’était pas sans bâcler notre passage dans l’hexagone. Initialement, il n’y avait que deux ou trois dates de prévues ici et on a dit à notre manager qu’il nous fallait plus de dates françaises. Donc on a programmé une tournée française. On voulait aussi ajouter Lille sur notre passage, mais finalement comme il y avait déjà une date belge de programmée, ça n’a pas été possible. Tout ça c’est une histoire d’exclusivité, de stratégie… Il y a déjà une date à Bruxelles peu de temps après, donc ça passait pas.
Pourtant, ça n’aurait pas dérangé votre public : vous êtes « sold-out » sur la quasi-totalité de vos dates françaises. Le succès aurait été là dans tous les cas, non ?
Oui clairement, c’est super d’ailleurs ! On se sent vraiment gratifié par rapport à ça. On ne pensait pas que ça serait à guichet fermé et sur autant de dates !
Magma est sorti au moins de juin dernier en même temps que votre tournée estivale. La tournée-promo de Magma a débuté plus tard et aux États-Unis. Alors quoi, on n’a plus le droit de vous avoir en premier pour nous ? Ou c’était histoire d’arriver en France avec des nouveaux titres mieux rôdés ?
(Rires) Non, enfin y’a de l’idée mais il y a d’autres paramètres ! Aux US il y a énormément de tournées, donc il faut faire gaffe à la concurrence. Quand t’as Meshuggah, Opeth, Devin Townsend et Mastodon qui tournent déjà, si nous on se rajoute sur la même période les gens risquent d’être divisés. On voulait tourner initialement en novembre, mais quand notre manager a vu que ces quatre groupes-là étaient justement en tournée… Bref, il a fallu reconnaitre la réalité du business et du marché. On a repoussé notre passage en Europe à 2017 et on a tourné aux US avant parce que le terrain était « libre ». C’est fou hein ? De penser comme ça ! Nous, on voulait aller droit au but et venir plus tôt. Mais aujourd’hui notre groupe est au cœur de stratégies internationales avec des gros tourneurs, des grosses maisons de disque. Mais on s’y fait très bien. Nous on reste comme on est, simple. C’est juste que la logistique est plus technique. Notre contact avec le public est moins spontané du fait que l’on soit tout le temps en tournée. C’est épuisant de tourner 6 à 8 mois dans l’année. Spontanément j’aurais plutôt envie de prendre mon temps, de rester une semaine ici, quelques jours là… Mais là on fait sept dates en sept jours !
Par rapport au succès au guichet, qu’est-ce que tu préfèrerais entre viser de plus grosses salles (un Zénith ?) ou dédoubler vos dates dans chaque ville sur une salle de cette taille comme ici au Stéréolux ?
Le dédoublement ? Pourquoi pas ! On savait pas que ça aurait cette ampleur-là. Mais des salles plus grandes ça pourrait être aussi intéressant, je t’avoue que comme on s’y attendait pas on y a pas réfléchi.
Quels titres de Magma avez-vous décidé de jouer en live sur cette tournée ?
On en joue six morceaux. L’album est assez court, donc on les joue à peu près tous, sauf deux ou trois. Si t’enlèves les interludes, qu’on ne joue évidemment pas, et les deux morceaux « Low Lands » et « Magma », tout le reste de l’album y est. On ne joue pas « Magma » parce qu’elle est très longue et « Low Lands » non plus, parce qu’on ne se sent pas encore de les jouer suffisamment bien en live. Elles sont un peu techniques, notamment à la voix. Jo a besoin de se sentir plus à l’aise au chant clair, tout simplement parce que ce n’est pas sa zone de confort. Quand on réfléchissait à la set-list, il nous a dit « Bon les gars, vous savez quoi ? Low Lands je la sens pas ! » (rires). Et on le comprend. Au chant clair, tu te mets un peu à nu, il faut absolument chanter juste, c’est tout un autre monde. Donc pour l’instant on a mis ces deux titres de côté. C’est pas dit qu’on ne les fera jamais en live, c’est juste que tout le monde doit se sentir prêt et en même temps. Donc on a pris les titres qui collent avec ce qu’on sait faire de mieux pour l’instant, tout ce qui est plus metal.
Sur ces deux titres justement, le chant clair est dominant et surtout il y a plusieurs pistes vocales, toutes faites par Jo. Vous avez déjà pensé, toi, Christian ou Jean-Michel à faire ces voix, ces chœurs en live avec lui pour que ça colle au mieux avec la version studio et surtout ne pas le laisser chanter tout seul ?
On l’a déjà évoqué à plusieurs reprises, oui ! Mais pour être très franc, moi déjà je ne sais pas chanter juste (rires) !
Y’a des moyens de tricher…
Oui, mais non. On essaye le plus possible d’être un groupe live. On est pas fan des samples et autres « artifices » comme beaucoup de groupes en usent et re-usent, on essaye de garder cet esprit de corps de quatre musiciens qui jouent. Donc non, on ne préfère ne pas faire, ne pas rajouter de chant si c’est pour le truquer et/ou mal le faire. Ça pourrait être casse-gueule au final. Une fois, on avait essayé de mettre Jean-Michel aux chœurs, mais avec sa voix nasillarde… on s’est foutu de sa gueule direct (rires) !
Ça n’a pas dû l’encourager !
Non, mais bon, comme je te le disais, on est simple et franc (rires) !
Toujours sur le chant de Jo, on voit qu’il explore et s’explore de plus en plus à chaque nouvel album. Le chant clair amène plus de contrastes avec les phases dures, certes, mais le lyrisme a énormément pris de l’amplitude. Je prends comme exemple la chanson « Only Pain », les paroles paraissent beaucoup plus violentes d’un point de vue émotionnel. Il parle à la première personne, mais on a l’impression que c’est pour parler de lui…
Exactement. C’est beaucoup plus tranchant qu’avant, on essaye de contourner moins le débat. Ça colle avec notre évolution. On arrive à mieux cerner ce qu’on veut retranscrire, on est beaucoup plus précis qu’avant. C’est ce qui se passe dans nos vies en fait. On a envie de faire au plus loin et au plus simple, alors qu’avant on décortiquait le pot autour duquel on tournait. Tu vois ce que je veux dire ? Plus t’as de l’expérience, plus t’as la capacité de simplifier, bizarrement. Lorsqu’il dit « Just wanted to be good, just wanted to be gold, just wanted to be God », c’est exactement ce que je suis en train de te dire. Les paroles sont simples, mais elles vont droit au but et l’idée retranscrite est encore plus riche que si elle était trop décortiquée. Ce passage-là parle de lui, de ses anciennes utopies et de ses désillusions. A l’époque de From Mars To Sirius, Jo, c’était un illuminé. Moi il me disait : « On est immortel ». Moi qui n’affirme jamais rien sans rien, je répondais : « Ah bon ? Pourquoi pas » et il me répondait « Non, je te dis qu’on est immortel. On peut vivre plus de mille ans », et il me disait avec une telle conviction… Mais là, vu qu’il a passé les 40 ans et qu’il se met à avoir des rides, qu’il va vers la mort quoi (rires), il parle aussi de ses désillusions existentielles. C’est ça « Only Pain ». Tout est douleur, vieillir c’est douloureux…
Ah oui, il y a un petit désenchantement là…
Un petit, oui (rires) ! Mais ce titre est juste un seul des aspects de notre évolution, c’est juste une anecdote. Le reste est au contraire plus serein, plus poétique et toujours spirituel comme nos albums précédents. On pourrait l’être encore plus que ça, Jo a une spiritualité énorme qu’il cache un peu. Il est très pudique sur ses réflexions. Il n’en exprime seulement qu’une partie à travers Gojira. Pour lui, écrire des paroles, c’est un réceptacle parfait.
Il n’y a donc que lui qui écrit les paroles ?
Oui tout à fait. Moi je me dis que des fois j’écrirais bien un truc, mais en fait ça lui va tellement bien de le faire et surtout, il le fait tellement mieux que nous tous qu’on a pas ressenti le besoin de s’en occuper. Surtout qu’il partage énormément de ses pensées avec moi, donc je me sens déjà inclus dans sa réflexion. Tout ce qu’il écrit provient de son ressenti intérieur, de son expérience avec le monde. On est beaucoup dans le monde de Jo, en fait, avec Gojira.
Vous avez déjà évoqué l’idée de se servir d’une trame narrative extérieure pour composer un album ? Un livre, un film…
Jo lit énormément et si tous ses textes viennent de lui, il en est pas moins inspiré de tout ce qu’il observe, lit, voit… Ses lectures l’influencent vachement. Pour The Way Of All Flesh, il s’est beaucoup inspiré du Livre Tibétain de la Vie et de la Mort de Sogyal Rinpoché. C’est ça qui l’a influencé pour le titre « The Art Of Dying », par exemple. Mais je pense qu’il fait toujours le point sur ses émotions, sur son ressenti avant d’écrire, qu’il n’est pas du genre à retranscrire directement les idées de quelqu’un d’autre sans y avoir touché. Sa façon de faire est trop personnel et trop introspective pour ce genre d’exercice.
Du coup, ma prochaine question a déjà sa réponse. Je voulais savoir si vous auriez aimé jouer Magma en intégralité, pour montrer votre « nouvelle identité » d’une part, mais aussi parce qu’il a permis à Gojira d’atteindre un autre public. Magma marche sur des styles musicaux plus ou moins voisins de ce que vous proposiez : quelques emprunts au stoner, au post-rock…
Oui, ce serait carrément pertinent, surtout que Magma possède une trame émotionnelle très forte. Il est fluide, les plages musicales se complètent beaucoup. Après pour des raisons très techniques, comme je te le disais avant, il y a « Low Lands » et surtout « Magma » qui demandent énormément de travail pour être jouées en live. Les harmoniques artificielles couplées au chant clair, ça demanderait énormément de temps et de répétitions… Mais on n’en a plus autant qu’avant. Aujourd’hui on se retrouve trois jours seulement avant le début d’une tournée ! Avant, quand on ne tournait que nationalement, on faisait des résidences de quinze jours, on répétait à mort, on bossait plus en fait. Aujourd’hui, paradoxalement on n’a moins le temps de travailler nos morceaux pré-tournée. Le précieux temps libre que l’on a, on le passe en famille. Avant on ne se posait pas ces questions-là. Mais t’as raison, faudrait qu’un jour on se pose clairement quelque part pour bosser des titres qu’on voudrait plus voir en live.
Vous disiez justement que Magma portait ce nom-là en référence à votre vision actuelle de la vie, de l’esprit humain : tout est fluctuant, en perpétuel mouvement. Pourtant, il y a des phases très contemplatives, impressionnistes. C’est quelque chose de nouveau, même s’il y avait des prémices dans L’Enfant Sauvage…
L’Enfant Sauvage était justement un album de transition ! Le titre est assez symbolique et le fait qu’il soit en français n’est pas anodin. C’était un peur inconsciente d’un succès international, un titre en français était instinctif, tout comme l’est la peur. Il nous fallait dire au monde qu’on était des français et qu’on allait pas se faire en quelque sorte happer, apprivoiser par le côté international. Si tu pouvais nous voir dans la vraie vie, on est quatre mecs très simples mais assez sauvages. On a parallèlement traversé des nouveaux besoins musicaux, on ne pouvait plus être que dans l’esprit death metal. Plus à notre âge. C’était une question de nécessité. Il y a des groupes qui ont passé les 50 balais et qui font encore exactement la même chose qu’à leurs débuts, et moi je me vois pas faire ça. Je n’ai plus 16 ans. A cet âge-là, j’étais un gothique aux cheveux longs ! J’étais fan de Sinister et Morbid Angel, c’était ma bible ! J’avais une énergie sombre, j’étais quelqu’un d’un peu associable et le death metal répondait de mon esprit. C’était spirituel. Aujourd’hui je me retrouve dans d’autres choses. J’ai toujours autant de plaisir à écouter un bon Morbid Angel, mais je ne le vis plus au premier degré comme avant. J’ai une distance avec cette musique que je n’avais pas auparavant. Donc voilà, Gojira c’est un groupe qu’on a depuis plus de 20 ans déjà, et en 20 ans tellement de choses arrivent, changent, partent… Donc la musique de Gojira change. Seul le nom et les musiciens ne changent pas. Notre art évolue et continuera d’évoluer. C’est pour ça qu’un album comme Magma a pu naître. Plus tard, ça pourrait bien encore changer dans une autre direction… Qui sait !
Vous avez déjà des idées pour un prochain album ? C’est peut-être un peu tôt pour en parler…
On a déjà formulé quelques idées, quelques envies. Déjà, on voudrait bien intégrer un peu plus de solos de guitare ! Parce que ce qu’on adore dans « Silvera », c’est que dès que le solo arrive, on est comme des fous ! On se dit « On est con, pourquoi on en a pas fait avant ? » On était anti-solos pendant des années. Je crois qu’on a envie d’être plus rock.
On l’a bien compris sur « Strandred » d’ailleurs ! La première fois que je l’ai entendue, je me demandais s’il manquait pas des pistes de guitares, c’était déroutant. Mais c’est un morceau qui a bien sa place dans l’album, quand on l’écoute.
Oui, c’est Roadrunner qui l’a mise en avant en disant que ça allait faire accrocher un autre public. Nous on répondait que c’était un titre à proposer, surement, mais pas en premier. Je me rappelle avoir parlé au label la veille de la diffusion de ce morceau-là, je leur disais qu’on faisait peut-être une erreur. C’est le morceau le plus déroutant de l’album comme tu dis. Ils ont vu qu’il y avait un refrain lyrique, que ça allait plaire aux gens qui sont allergiques aux hurlements et aux doubles-pédales. D’un autre côté nous ça nous fait du bien de changer de registre ponctuellement comme ça, parce qu’on est des grands amateurs de musique en général. J’aime Massive Attack, James Blake… Enfin, plus ça va et moins on a envie d’être catalogué comme des « death-metaleux ». C’est ce que je disais tout à l’heure, on a changé. Par contre on a toujours autant de plaisir à jouer les vieux titres, ils ne disparaitront jamais de nos set-lists !
Mario, je crois qu’on doit se quitter. Merci encore une fois de nous avoir reçus ! Un classique dernier mot pour la fin ?
Merci à toi ! On se voit dans la salle ce soir, j’espère que ça te plaira !