Habitués des scènes françaises et internationales, High Tone sont revenus en Alsace présenter leur nouveau show lors du Festival Décibulles, accompagnés du MC américain Oddateee et de sa folie communicative. Rencontre avec Oddateee et deux membres de High Tone, Dino et DJ Twelve, quelques heures avant leur concert enragé, donné au beau milieu de la nuit.
Vous avez travaillé ensemble avec Oddateee sur plusieurs projets… Ça a commencé comment ?
Dino : On a fait combien de projets avec toi ? Trois je crois ? En fait on a pris le temps de s’observer ; Oddateee tourne en Europe depuis très longtemps. Il s’est rapproché de la team Jarring Effects, je me souviens que c’est à ce moment que je l’ai découvert sur scène. [Il se tourne vers Oddateee] Il y avait Ben Sharpa, Blurum 13 et toi. Et t’étais le meilleur ! [rires] Non c’est vrai qu’on a du coup pu faire ces featurings, on a eu la chance de rencontrer un MC qui est producteur aussi et qui est très ouvert à différents styles. Il a aimé le travail d’High Tone et a eu très envie de participer à ce projet avec l’engagement qu’on lui connaît, c’est à dire à 300% ! On n’avait jamais fait de tournée avec un MC. High Tone, c’est 15 ans de musique instrumentale, donc si on a eu envie de bosser avec Oddateee c’est que vraiment… Il y a une vraie fraternité, un échange musical important et très sincère, c’est ça qui nous a donné envie de monter sur scène avec lui. Surtout qu’il est vraiment très doué, faut le dire !
Vous bossez avec CD1D [une fédération qui regroupe plus de 222 labels indépendants essentiellement en France], vos disques sont distribués à la fois dans des formats numériques et physiques ; qu’est-ce que vous pensez de l’industrie de la musique aujourd’hui ?
Dino : CD1D joue son rôle en terme de discours pour le développement des labels indépendants. Ça permet de tout regrouper et d’être une force politique plus importante. C’est important de dire aux politiques « voilà nos faiblesses, nos forces », c’est un peu comme un syndicat avec un discours derrière lequel on se rassemble. A leur manière, ils essaient de trouver des solutions pour qu’on soit rémunérés comme il faut.
DJ Twelve : On touche plus d’argent qu’avec un label classique aussi.
Et par rapport aux sites de streaming musical, Deezer, Spotify…
Dino : On est présent également. Justement, les gens de Jarring me disaient qu’une grosse part de leurs retours sur le numérique venait de Deezer et Spotify. Dans le groupe, on a différents points de vue sur le sujet de la distribution en ligne, mais personnellement je pense que les gros labels ont trop tiré la couverture à eux et n’ont pas réfléchi au futur. Toutes les propositions qui ont été faites par les labels indé, les artistes, n’ont souvent pas été retenues, les politiques et les distributeurs se sont largement gavés… Mais à côté de ça, internet favorise tout un tas de choses au niveau créatif, il y a une proximité incroyable. Je fais des projets au Mali, j’ai pu rencontrer des tas de gens très facilement grâce à internet, Il faut savoir tirer des leçons de certaines choses et savoir voir le bon aussi, tirer parti de ces nouveaux outils pour la création.
Vous existez depuis 1997, ce qui vous a permis d’assister à l’émergence d’internet et des réseaux sociaux ; est-ce que ça vous a aidé par rapport à votre travail, votre public, ou au contraire ça n’a pas changé grand chose, sachant que vous fonctionnez beaucoup grâce à vos lives ?
D.T. : On a toujours beaucoup donné en live, c’est ce qui nous a fait connaître, on va dire. Je pense que notre public était déjà constitué bien avant internet, même si effectivement ça aide pour l’écoute des morceaux, les clips, tout ça. Par contre, tu vends moins de disques ! Le téléchargement, Deezer… tout se passe en numérique. La rémunération sur Youtube, on en a pas parlé mais ça a l’air d’être une bonne galère aussi, t’es assez perdant et en même temps t’es diffusé, donc après les gens viennent te voir en concert… Ça a du bon et du mauvais.
En parlant de Youtube, le clip de Freakency est très léché, vous avez toujours des univers visuels intéressants autour de votre musique ; est-ce que vous travaillez avec des collectifs ?
Dino : Oui, c’est des amis de Lyon. Pour le clip de Freakency ils nous ont proposé le plan séquence, Oddateee avait pas le droit à l’erreur !
Oddateee : En une prise ! Une seule prise !
D.T. : On l’a répété dans l’après-midi, et voilà, une prise. L’histoire du clip, c’est lui qui arrive sur scène, donc il avait pas droit à l’erreur. Et il y a eu quelques erreurs [rires] mais ça se voit pas.
Dino : On aimerait anticiper davantage l’esthétique et la musique, que ce soit plus en corrélation, mais le plaisir correspond vraiment au fait de parler du développement de ces deux univers et de les faire coïncider. Quand on a commencé la musique, c’était en free, on amenait déjà ce concept-là en bossant avec des collectifs qui s’intéressaient aux arts plastiques, aux arts numériques qui étaient encore balbutiants à l’époque. C’est quelque chose qu’on a découvert en free mais aussi dans les fêtes sur les friches, sur la scène hardcore à Lyon et pour moi maintenant c’est indissociable de notre culture artistique. Évidemment, on essaie de faire se répondre ces deux univers-là, un champ contre-champ si tu veux ! Mais ça prend vraiment beaucoup de temps et ça demande plus de moyens. Mais on aime ce côté artisanat, on peut balancer nos émotions là-dedans.
Ça me fait penser au nouveau spectacle d’Ez3kiel, qui est très travaillé au niveau visuel, installation… C’est ce vers quoi vous aimeriez tendre ?
Dino : J’ai pas vu le spectacle d’Ez3kiel encore, mais on va jouer au même endroit en août. Mais pour répondre à ta question… Oui ! Mais on peut pas trop en parler là, c’est secret ! [rires] Là on est en plein dans cette tournée-ci avec Oddateee.
Travailler avec un MC, c’était une façon de toucher un public plus large ?
D.T. : Pas vraiment, c’est plutôt une histoire de rencontre. On est tous amoureux du hip-hop, pas que du dub, donc c’est pas dans l’optique d’élargir ou de vendre plus. Et puis, il y a le côté second plan où tu te retrouves un peu backing band avec le MC, c’est nouveau mais ça nous plait beaucoup.
Dino : C’est ça, ça nous change aussi. Avoir un MC ça change les rapports de jeu, de style, ça amène beaucoup de feeling et de présence sur scène, c’est de l’émotion.
Oddateee, comment ça se passe pour toi de bosser avec un groupe qui a toujours fait de l’instru ?
Oddateee : Tout se fait très naturellement. Deux choses : du naturel, et des répétitions. Facile ! Moi je viens d’un collectif qui s’appelle Dälek, on tourne depuis 1998… Donc j’ai plein de liens avec la France. On déchire tout sur scène, sérieusement. Tu lâches cette interview, tu viens à un concert, et reviens lire ça et tu te diras « merde, ce gars a raison ! » [rires]
Dino : On fait 20, 25 dates avec Oddateee, et puis il retourne aux States cet automne… On va faire une tournée européenne et lui aussi donc on espère se recroiser.
Qu’est-ce que ça représente pour vous, la musique ?
Dino : C’est la question d’une vie ! [rires] Y a ce côté de se transcender, comme le nom de l’album précédent, Ekphrön [qui vient du grec et signifie « hors d’esprit » ndla]. S’oublier dans sa pratique, le partage.
D.T. : Oui, le partage, le plaisir, les émotions.
Oddateee : Moi je dirais que faire de la musique, c’est surtout satisfaire l’auditeur. Toi ! Que tu passes un bon moment. Ça c’est très réel, surtout en live, si tu arrives à toucher plein de gens en même temps, il se dégage une énergie positive.
Comment vous vous êtes retrouvés à sortir Ghost Track, qui est un EP et pas un album ?
Dino : Au sortir d’Ekphrön on s’est retrouvés avec 30 titres qu’on n’arrivait pas à assembler, on voulait faire un album un peu plus court que d’habitude, 45 minutes, donc c’est pour ça qu’on a sorti Ghost Track. On voulait assembler cet album, mais il fallait quelque chose de cohérent et ces quatre titres ne collaient pas dedans, donc on en a fait un maxi parce qu’on les aimait beaucoup. C’est comme des bonus tracks aussi !
D.T. : Sur Ghost Track, il y a ce morceau sur lequel chante Ricardo [Oddateee, NdlT], qui n’était pas prévu pour lui à la base. C’est notre clavier qui a proposé à Ricardo de l’écouter et il a eu envie d’y ajouter sa patte.
Quelles sont vos dernières découvertes musicales ?
Dino : Jon Hopkins, Patrick Watson, Tropical Bass.
D.T. : Plus electro, il y a aussi Eprom, un mec de Los Angeles qui fait des trucs tout abstract… Un peu trap, mais pas trap « pouet pouet ». [rires]
Enfin, notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ? Et pourquoi ?
Dino : Beatles. Niveau arrangements… Les Stones y a quelque chose, y a pas de problème, mais quand même.
D.T. : Beatles, parce que je connais pas trop les Rolling Stones !
Dino : J’serais plus Led Zeppelin que les Stones ou les Beatles.
D.T. : Moi Jimi Hendrix. [rires]
Oddateee : Rolling Stones. Mais j’ai grandi sur du AC/DC alors… AC/DC !
Propos recueillis par Marine Pellarin et Ugo Schimizzi
Retranscription : Marine Pellarin