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On a discuté littérature avec Rone (Mai 2013)

Rone, en plus d’être une des personnes les plus gentilles du monde, fait le tour de la planète avec des meilleurs live electronica-techno de ces dernières années. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer lors de son passage au festival Rock’n Solex de Rennes, histoire de discuter de musique, de cinéma, et de littérature.

Salut Rone, pour commencer, est-ce que tu pourrais te présenter à nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Bonjour ! Donc je m’appelle Erwan, je fais du son sous le nom de Rone. Qu’est-ce que je peux raconter… Je sors des disques pour la plupart sur Infiné. Et je suis français mais j’habite à Berlin. Voilà (rires).

Ça fait un peu plus de six mois qu’est sorti Tohu Bohu, comment tu ressens la réception de cet album ? Est-ce que tu t’attendais à cette réception ?
Non franchement, je suis super content et agréablement surpris, parce que je m’attendais pas à ce que ça se passe aussi bien. J’étais très content de l’album. Avant de sortir ce disque, j’ai traversé différentes phases, avec des petits moments de doutes du genre «est-ce que je suis fais pour faire de la musique», et en même temps je ne faisais que ça, donc il y a eu quelques moments pas toujours faciles. Mais quand j’ai terminé le disque, quand je l’ai rendu à Infiné, j’étais vraiment super content et puis c’était agréable parce qu’Infiné était très content aussi. Ils ont tout pris en bloc sans me faire retravailler quoi que ce soit. Donc c’était super agréable pour moi, et en même temps je pensais pas forcément à la suite, pour moi c’était le premier challenge : arriver à faire un deuxième beau disque. Et puis après, ça m’a plus surpris qu’autre chose, ça m’a un peu dépassé, presque. J’ai eu des super retours. Dans un premier temps, avant même les retours de la presse, c’est des retours d’autres musiciens puisque le label envoie le disque à plein d’autres artistes, et moi aussi je l’envoie à des amis, et ces premiers retours ont été hyper agréables, ça réchauffe le coeur d’avoir des feedbacks sur son travail comme ça. Après, il y a eu de tout, il y a eu aussi des mauvaises critiques, ça c’était un peu nouveau pour moi, parce que le premier disque est plus ou moins passé inaperçu, il y avait au final que les gens qui l’avaient aimé qui en parlaient, les autres s’en foutaient. Donc le premier, c’était plus facile, là le deuxième, il y avait vraiment de tout, des critiques super positives et d’autres un peu plus négatives, c’était un peu nouveau pour moi. Mais bon, je m’y suis fait, c’est cool (rires). C’est super bien, et tout ce qu’il s’est passé depuis également. Honnêtement, c’est peut-être un peu débile mais au final c’est très encourageant, comme je te disais j’ai eu des moments de doute du coup ça m’a donné la niaque pour retourner en studio et bosser sur de nouveaux morceaux. Ça remplit la jauge d’énergie, parce que tu es épuisé après un album, t’es vidé. Tout ce qui est en train de se passer maintenant, c’est comme si ça me remplissait la jauge, ça me nourrissait pour bosser sur le troisième. C’est super stimulant tout ce qui se passe c’est vrai.

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Tu t’es fait connaître pour « Bora », qui est un morceau sur lequel on entend la voix d’Alain Damasio, auteur de La horde du contrevent. C’est probablement un des meilleurs livres que j’ai lu ces dernières années, tout comme La zone du dehors. Comment s’est passée la rencontre ? Est-ce que tu le connaissais avant et tu l’as invité ? Ou tu avais lu ses livres et adoré ?
Oui, je le connaissais avant. Enfin c’est une drôle d’histoire. Je te fais l’historique, on a un peu de temps là ? (rires) C’est une longue histoire. En fait en gros, avant de faire que de la musique, je faisais un peu de cinéma, je bossais dans une petite boite de prod qui faisait des films, des courts-métrages et des documentaires. Et moi je faisais un peu de tout, autant assistant réalisateur que du montage. J’avais pris une grosse claque avec La zone du dehors, et ensuite donc j’ai lu La horde du contrevent. Et avec un pote, Ludovic, on était vraiment fascinés par ce bouquin, et on avait l’ambition un peu folle d’adapter un de ses livres au cinéma. Et c’est arrivé comme ça, on l’a contacté et il était super ouvert, intéressé, curieux. Alors on l’a rencontré, et très rapidement c’est devenu un super pote. Donc ce qu’il s’est passé concrètement c’est que, autant des fois je me plains que la musique c’est dure, mais c’est des morceaux de 3, 4, 7 minutes, le cinéma c’est autre chose, monter un film c’est être devant une montagne énorme, il faut convaincre plein de gens, obtenir du budget, des financements, surtout pour ce type de projet où il fallait adapter un roman énorme de science fiction, ce qui était un peu démesuré, et on a pas réussi à aller au bout de ce truc là. Enfin mon pote est encore un peu dessus mais bon… Donc il y avait une espèce de frustration parce qu’on avait pas réussi mais j’ai gardé un super contact avec Alain, qui croyait vachement en nous et qui nous a beaucoup aidé. Donc ce qu’il s’est passé c’est que moi je faisais de la musique à côté et c’était vraiment une récréation, je n’avais aucune ambition, c’était juste pour me détendre entre deux tournages, et j’avais fait un morceau, donc «Bora», et au début c’était juste instrumental, et je sais pas, super naturellement, je ne sais pas vraiment comment ça s’est passé mais je me suis dit «tiens ça serait super de poser la voix d’Alain là dessus». Et en fait, ça s’est fait un peu à son insu, parce que la voix qu’on entend sur ce morceau c’est des enregistrements de petites cassettes d’un dictaphone que j’avais récupéré, je ne sais plus comment, je crois qu’il me les avait données, d’un journal intime qu’il tenait quand il a écrit La horde du contrevent. En fait quand il écrit, il s’isole six mois, il se coupe complètement du monde, de sa famille, de ses potes, il ne voit plus sa copine, il s’enferme dans une petite maison bergère en Corse pour écrire, et en fait, pour pas devenir fou, parce que vraiment il est coupé de la société, il se parle à lui-même, sur un dictaphone. C’était fascinant, parce qu’il y a neuf heures d’enregistrement, où justement il y a des moments de doute, où il croit pas du tout en ce qu’il fait, et d’autres où il se dit que ce qu’il écrit est génial. C’est hyper intime, normalement c’était pas du tout destiné à être écouté par quelqu’un d’autre, c’est vraiment juste pour lui, et moi j’ai un peu pillé là dedans. En fait il y avait un passage que j’aimais beaucoup, justement un passage qui avait un lien avec ce que moi je ressens quand je fais du son, un passage où il a l’impression de faire quelque chose de bien, et là j’ai trouvé ça super fort, t’as la sensation qu’il est hyper vivant. Et donc j’ai utilisé ça, et voilà, je lui ai envoyé, il a trouvé ça super cool, il a été très ému parce qu’il avait presque oublié ce journal qui datait de quelques années. Le label Infiné a entendu ce morceau et m’a proposé de le sortir sur un disque. Et là j’étais pas du tout prêt, c’était pas prévu, j’étais un peu en galère, donc j’ai appelé Alain et je lui ai dit qu’on me proposait de sortir ce morceau sur un disque, et lui, génial, m’a dit qu’il était super content pour moi et que je devais y aller. Et du coup, ça s’est passé comme ça, au final c’est une drôle de collaboration parce que pas forcément organisée.

Bon, tu as un scoop pour nous, dis moi qu’il travaille sur un nouveau bouquin ?
Oui, je sais qu’il bosse sur un nouveau bouquin. Bon, je peux pas trop t’en dire, moi même je n’en sais pas trop. Alain, c’est incroyable, c’est vraiment un personnage qui coupe sa vie en deux. Sur un année, il y a six mois où il est hyper sociable, présent. Je te dis moi quand je l’ai rencontré il me tirait à fond vers le haut, il me soutenait vraiment. Et en même temps, les six autres mois, c’est un ours sauvage que tu ne peux pas approcher. Il a pas internet, il est anti-téléphone et donc injoignable, je ne sais pas où il est, c’est un mec qui disparait pendant des mois et qui réapparait, et ce jour là il redevient hyper présent. Du coup, je sais pas où il en est vraiment, mais je sais qu’il est en train d’écrire un troisième roman. Il a commencé à m’en parler mais je peux pas trop t’en dire. Il a commencé à me parler un peu du thème, de l’histoire, de tout ça, c’est fascinant et j’ai trop hâte qu’il le finisse mais ça a l’air d’être un boulot monstre.

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Justement ce qui fait la force de ses livres c’est un atmosphère très particulier et très travaillé. Est-ce que c’est quelque chose qui joue un rôle dans ta musique ? Est-ce que, comme un romancier, tu as des images, est-ce que tu dessines, est-ce que tu visualise déjà quand tu composes ?
Oui, c’est vrai, alors c’est drôle parce que c’est vraiment lié. Comme je te dis j’ai commencé la musique en faisant du cinéma, et tout ça pour moi c’est lié. Quand je fais de la musique, c’est un peu comme la musique d’un film qui n’existe pas. Après c’est des images très abstraites, très floues, il n’y a pas vraiment d’histoire avec un début et une fin, mais c’est vrai que quand je sens que je tiens quelque chose, une musique, automatiquement je l’imagine sur une scène, il y a une manière un peu cinématographique dans ma manière de composer. L’image a une place important c’est vrai, mais de manière très floue.

Est-ce que tu peux nous parler des visuels qu’on voit en live ? Qu’est-ce que c’est ? Comme s’est passé le boulot autour de ces visuels ?
Ça c’est une grosse aventure aussi, c’est un peu nouveau pour moi d’ailleurs. Pendant deux trois ans je tournais tout seul, avec mes deux petites valises et je jouais avec deux petits spots et puis voilà. Mais là, c’est un truc qui s’est développé petit à petit et qui devient de plus en plus important, et c’est génial. En fait, il se trouve qu’autour de moi j’ai plein de potes qui font de l’image, des films, de l’illustration, des trucs comme ça, j’ai un peu grandi là dedans. Là ça a commencé parce qu’un pote m’a dit «j’aimerais bien te faire quelques images pour ton live», et moi j’ai trouvé ça cool, donc on a commencé avec Ludovic Dupré à faire quelque images en 3D, et puis après, un deuxième pote a proposé quelque chose, et puis ma copine s’est mise à dessiner des choses. Et là au final il y a à peu près cinq personnes qui sont en train de développer des images, des dessins, des vidéos. Du coup c’est un «work in progress» permanent parce que de date en date la vidéo évolue, donc c’est super cool, moi-même je suis continuellement surpris, je ne sais pas jusqu’où on va aller, et à chaque fois on a de la nouvelle matière et on réfléchit à comment l’intégrer avec ce qui existe déjà, pour que ça reste cohérent sans devenir un gros bordel, parce que tout le monde a des univers différents. Le truc prend forme petit à petit, et c’est super intéressant pour plein de raisons. Déjà, ça donne une nouvelle dimension à mon live, parce qu’il y a les images et les lumières aussi. Et c’est nouveau pour moi, parce que je bosse avec Davy là, depuis 4 ou 5 dates, et il a complètement compris mon univers, mon son, et il arrive à l’illustrer avec la lumière. Normalement, en salle, tu arrives et le mec est là et te fais son truc la clope au bec (rires). Et là Davy est super impliqué dans le truc. Ça amène le live encore plus loin. Et, en plus, moi j’aime bien le côté tournée en mini-bus, on est quatre, c’est le fantasme du groupe de rock en tournée, et ça c’est vraiment cool.

Dans ce morceau Bora, Alain Damasio parle d’un processus créatif par lequel il passe où il se renferme sur lui-même, un processus presque Nietzschéen de dépassement de soi pour créer, est-ce que c’est quelque chose que tu fais aussi ?
Oui complètement. C’est marrant, parce que la «méthode Damasio», c’est vraiment ce truc dont je te parlais, de 6 mois d’isolement et 6 mois de partage, j’en ai fait une règle. Moi, c’est la semaine enfermé dans mon studio tout seul. Et c’est des moments très forts et parfois un peu difficile, parce que tu te cherches, tu es seul, c’est une forte introspection, et c’est génial parce que le week-end tu lâches un peu tout ça. J’avais remarqué ça chez Damasio, ça m’avait fasciné, je me disais que c’est le meilleur moyen d’être bien avec les gens. Je me dis que ceux qui sortent tout le temps, au bout d’un moment il y a un risque d’être un peu blasé par tout ce que tu vois, ce que t’entends. Cet espèce d’équilibre où parfois tu vas t’isoler permet de mieux revenir vers les gens, d’être plus généreux, ouvert, attentif, curieux parce que tu manques de ça finalement. T’as passé tellement de temps tout seul que tu as envie de partager. C’est un équilibre super important. Et ce qui est marrant c’est que quand je l’ai mis sur le morceau, ça s’est fait presque inconsciemment, je ne savais pas trop ce que je faisais, mais en fait pour moi c’est un vrai manifeste. Il faut s’isoler pour créer.

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Justement, La horde du contrevent était accompagné d’une bande musicale. Tu as déjà bossé sur une musique de film, est-ce que tu as des projets futur dans le même genre, un peu «trans-artistiques» ?
Ouai carrément, d’ailleurs là je suis en train de faire plein de collaborations comme ça, de travailler sur des choses qui vont un peu dans tous les sens mais c’est ça qui est super cool parce que chaque projet nourri l’autre. Mais c’est beaucoup de collaborations qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Par exemple, c’est assez fou cette histoire, mais il y a un groupe qui s’appelle The National, qui est un gros groupe américain pas trop connu en France, et qui étaient de passage à Berlin et m’ont proposé de bosser sur leur album. Mais leur album c’est vraiment folk, avec de la voix et un piano, et c’était hyper intéressant de bosser là dessus parce que je bossais sur une matière qui est complètement étrangère. Et juste après j’ai fait une musique pour le film de mon pote Vlad, on vient de finir, c’est un court métrage qui devrait être diffusé sur Canal + ou Arte, à la rentrée je pense. C’était aussi une expérience mortelle, bosser à partir d’un projet très particulier comme celui-ci, parce que c’est un film d’animation en noir et blanc, un peu film pour adulte parce que c’est un peu limite porno parfois, mais en même temps hyper poétique, et du coup moi je dois mettre ma patte dans tout ça et ça oriente ma manière de faire de la musique. J’ai fait des choses que je n’aurais jamais fait tout seul, là j’ai bossé avec les images. Ce qui est très nourrissant pour mes projets personnels. Beaucoup de collaborations à venir donc, et je bosse sur des nouveaux morceaux aussi.

Tu es déjà venu jouer à Rennes, qu’est-ce que tu penses du public breton ?
Je le dis presque tout le temps, mais c’est mon public préféré en France. Bon, faut pas que ça me porte malheur ce soir (rires), mais jusqu’ici c’était complètement dingue à chaque fois, j’ai des souvenirs hallucinants de concerts en Bretagne. Et dans des cadres complètement différents en plus. Je me souviens de mon premier Astropolis, à l’époque j’étais bien moins connu donc j’étais censé faire un petit truc à 20.00, et un gros musicien a annulé, et au dernier moment ils m’ont mis sur la scène et c’est la première fois que je jouais devant 8.000 personnes, à minuit. Et c’était totalement fou, génialissime. Et ça s’est enchainé après ça. Ce qui est drôle c’est que Gildas, un des organisateurs du festival, avait loupé le concert parce qu’il gérait plein de trucs dans le festival. Et là, c’est quand même classe, il s’est dit qu’il allait me faire revenir, et donc il m’a fait joué au Cabaret Vauban, et ça, rien à voir, c’était un petit truc, il devait y avoir 200 personnes, mais une énergie incroyable, un souvenir de dingue pour moi. Et depuis ces dates là, à chaque fois que je vais en Bretagne, c’est un truc complètement fou, c’est un endroit où j’adore jouer. C’est un endroit vraiment spécial la Bretagne.

Ta musique est pleine de douceur, est-ce que tu penses que la vague de la musique électronique ultra-violente est terminée ?
Ah bah non j’espère que non ! En fait je prône pas du tout une musique douce, j’aimerais bien pouvoir tout faire justement. En studio, c’est vrai que j’ai plutôt tendance à faire des morceaux doux, mais j’ai envie qu’il y ai du contraste dans ma musique, un peu comme dans ma vie où il y a des moments où je suis super en colère et d’autres très calme. J’ai envie que ma musique reflète ça, donc il faut que ça bastonne parfois, il faut que ça cogne ! Et par contre, ce que j’aime bien, enfin ce que j’essaie de faire, c’est justement du contraste. Ce qui m’embête, c’est ces espèces d’autoroutes où c’est de la turbine du début à la fin, ça ça m’intéresse pas. Il faut des variations où tu descends très bas, plein de douceur et c’est très intime, et puis tu remontes et ça explose. Ça c’est un contraste que j’adore, et la musique qui tabasse j’aime bien aussi.

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Beaucoup d’artistes déplorent la séparation radicale qui peut exister entre le public et l’artiste. Si tu devais dire quelque chose ce soir à tes fans, qu’est-ce que ça serait ?
C’est dur ça (rires). Enfin quand je fais un concert, c’est bizarre, évidemment je peux pas parler à tout le monde mais j’ai l’impression d’avoir un rapport hyper intime avec tout le monde, je peux pas tous les prendre dans mes bras, mais il se passe quand même quelque chose entre le public et la scène. Le seul truc qui me vient à l’esprit, c’est que j’espère qu’on aura l’occasion de se revoir sur scène parce que c’est quelque chose de super fort.

Quelque chose à ajouter ?
Je suis super content d’être là, ça fait super plaisir de revenir à Rennes pour la troisième fois, et merci.

 

Merci à Erwan pour son temps et pour sa gentillesse.
Propos recueillis par Colin FAY pour Vacarm.net
Crédit Photos : Laetitia PORTIER

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