Actuellement, le traité ACTA, qui permettrait aux autorités d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet de délivrer l’identité de leurs abonnés suspectés de piratage, est en cours de discussion au Parlement européen et suscite de vives critiques. C’est donc l’occasion pour un autre mode de diffusion de la musique de commencer à faire parler de lui : la Licence Art Libre.
Qu’est ce que la Licence Art Libre ?
Il s’agit ni plus ni moins d’une licence officielle autorisant chacun à « copier, diffuser et transformer librement les œuvres dans le respect des droits de l’auteur. » Chose aujourd’hui considérée comme illégale avec un fichier enregistré à la SACEM. Il faut toutefois respecté trois conditions lorsque l’on copie un fichier sous Licence Art Libre : joindre la licence aux fichiers copiés, indiquer le nom de l’auteur de l’original et celui ayant modifié l’original puis indiquer où l’on peut trouver le fichier original.
Pour débattre sur ce sujet, une conférence a eu lieu le 16 mai dernier au Mans. Elle réunissait quatre experts en la matière : Etienne Rouge, responsable-trésorier de Dogmazik.net, site Internet permettant à tout le monde de mettre sa musique en ligne pour qu’elle soit librement téléchargée et écoutée, Bituur Esztreym, co-fondateur de Dogmazik.net, Antoine Moreau, co-rédacteur de la Licence Art Libre et Gilles Gouget, animateur de la radio Divergence FM à Montpellier.
Les quatre participants sont unanimes : il est complètement idiot de criminaliser les personnes téléchargeant de la musique sur Internet. Pour Gilles Gouget, il y a aujourd’hui un grand paradoxe : « on dit que copier c’est multiplier. Or, voler c’est soustraire. Donc copier ne peut pas être pas voler. » On retrouve le même son de cloche dans le documentaire Copier n’est pas voler, réalisé par l’association COAGUL en 2011. En effet, on y voit Jérémie Zimmerman, co-fondateur de la Quadrature du Net, expliquer que « voler, dans le code pénal, c’est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Donc voler c’est soustraire. Lorsque l’on copie des fichiers, on multiplie. Quand on vous dit que copier c’est voler, on essaye de vous faire croire que la multiplication, c’est la soustraction. »
D’autres éléments viennent conforter ce paradoxe. Lors de la conférence au Mans, Gilles Gouget rappelle notamment que « l’utilisateur paye les grands financiers d’Internet via son abonnement. De même qu’il paye une taxe quand il achète un disque dur vierge qui va aux sociétés de gestion des droits d’auteur, quand bien même qu’on ne mette que nos photos de vacances dessus. » Pour Etienne Rouge, « la musique en elle-même est du piratage : on pique le riff de guitare de l’un, l’air de la berceuse que nous chantait notre mère, etc. » Il y a un « mythe du musicien créateur dans notre culture occidentale » qui fausse la vision de la réalité. Pour Florent Latrive, journaliste à Libération et interlocuteur du documentaire Copier n’est pas voler, la copie existe déjà depuis bien longtemps avec les cassettes audio et les cassettes VHS, sans que ça n’ait jamais dérangé personne. C’est dans le milieu des années 1990, avec l’apparition d’Internet et de la copie de masse, que « les industries culturelles ont commencé à paniquer. D’où, aujourd’hui, la conception extrémiste de la propriété intellectuelle. »
C’est cette fameuse propriété intellectuelle qui tend à la polémique. En effet, selon Benjamin Bayart, Président de la FDN (French Data Network) et participant dans le documentaire Copier n’est pas voler, « le droit d’auteur part d’une idée que l’on matérialise puis que l’on commercialise. C’est ensuite le fabricant d’objet qui fait du business. Le droit d’auteur existe pour garantir qu’un pourcentage aille aux auteurs. » Mais peut-on vraiment dire qu’une idée est notre propriété ? Comme l’explique le documentaire de COAGUL, « les idées sont provoquées par les rencontres avec autrui. » Elles n’appartiennent donc pas à une seule personne.
Le principal leitmotiv de la répression contre le téléchargement illégal consiste à dire que ne pas acheter le dernier CD de tel ou tel artiste l’empêche de gagner sa vie avec son art. Or, selon Gilles Gouget, cela n’a pas de sens. « Les majors font croire que c’est le support musical qui rémunère les artistes. Mais ces derniers ne gagnent rien par rapport au prix du disque ; ce sont les éditeurs qui se font de l’argent dessus, et ça le public en est de plus en plus conscient. Dans les pays occidentaux, on a l’impression qu’être musicien c’est rouler en limousine et toucher des royalties. Mais, si on regarde la vastitude de tous les musiciens sur la planète, y compris dans les pays du tiers monde où le musicien du coin n’a pas de salaire mais est logé, nourri et respecté parce qu’il porte une mémoire et transforme la vie de ses amis en quelque chose de beau, on voit que ceux qui gagnent des millions de dollars représentent un pourcentage infinitésimal. Or, le message dans lequel on baigne constamment, c’est le contraire, c’est-à-dire que l’on nous fait croire que les pauvres artistes ne gagneront plus d’argent si on n’achète plus de CD. Mais ils n’en gagnent déjà pas. Les gens qui se plaignent du téléchargement sont ceux qui dégagent le plus d’argent dans l’industrie de la musique. » Pour Antoine Moreau, un musicien peut « arriver à dégager de l’argent uniquement sur les concerts. »
Pour les quatre interlocuteurs de la conférence mancelle, il était donc important qu’une solution alternative soit mise en place pour préserver les mélomanes de la répression qui semble s’étendre entre Hadopi et le traité ACTA. En effet, comme l’explique Gilles Gouget, « La Poste n’a pas le droit d’ouvrir votre courrier. Cela choquerait tout le monde si elle le faisait. Or, aujourd’hui, les législateurs sont prêts à le faire avec Internet. » Pour l’animateur radio, les amateurs de musique « vont de plus en plus aller vers la licence libre. Non pas pour défendre une cause, mais juste pour pouvoir écouter et télécharger une musique qu’ils aiment. »
Mais une question demeure. Sachant que l’usage du copyleft (licence libre) exclut toute rémunération directement liée à l’œuvre produite, comment feront les artistes pour pouvoir vivre ne serait-ce qu’un peu de leur art ? Certaines pistes de réflexion sont ouvertes dans Copier n’est pas voler : les donations privées, les ventes de CD et de DVD, les aides de l’Union Européenne sur des projets, le financement par les internautes, les billetteries de concerts. La Licence Art Libre n’en est donc qu’à ses balbutiements.
Au-delà de la question de la rémunération des artistes, une autre problématique mérite d’être abordée : comment maintenir la démocratisation de la musique et de la culture ? En effet, le téléchargement permet à chacun, qu’il soit riche ou pauvre, de pouvoir se constituer une culture musicale et générale. Si les lois répressives pensent aux artistes, pensent-elles aux smicards, aux étudiants, aux personnes aux revenus modestes qui n’ont pas de quoi insérer une place de cinéma à 8€, un DVD à 20€ ou un CD à 15€ dans leur budget ?
Quelques liens utiles…
Informations sur la Licence Art Libre
Dogmazik
Pour voir le documentaire Copier n’est pas voler
Pétition contre le traité ACTA
1 commentaire
Je trouve votre positionnement honteux. Je suis compositrice, parolière, pas concertiste donc pas possible de me faire payer sur les concerts.Mon travail se compte en milliers d’heures pour donner du bonheur aux gens, leur remonter le moral notamment, ce qui est un vrai plus socialement, là où tant de gens ne font que du business de produits qui eux n’amènent rien. Mon travail mérite salaire. Votre licence pouvait tout à fait intégrer un moyen de rémunérer l’auteur.