Jean-Christophe Le Saoult, aka Wax Tailor fait partie de ces artistes qui aiment se mettre en danger pour avancer, d’où cette idée un peu grandiose d’intégrer un orchestre de 31 musiciens classiques venant de l’Opéra de Rouen à un projet trip-hop qui a amplement fait ses preuves tant sur album qu’en live… pas d’égo surdimensionné ou de prétention baroque ici, juste un pari d’envergure pour donner une autre dimension à un son qui se prête particulièrement bien aux mises en scènes hors-normes. Et comme souvent depuis le début de sa carrière, le haut-normand ne nous a pas déçu.
Il est comme ça, Jean-Christophe, toujours là où on ne l’attend pas, jamais repu dans l’exploration des sons et des univers, pourtant comblé par une tournée mondiale aux quatre coins de la planète, une nomination comme «album de l’année» aux victoires de la musique, deux Olympias archi-complets, un duo avec l’un des artistes les plus en vogue du moment (Charlie Winston)… mais une volonté de toujours en faire plus tel un travailleur acharné qu’il est. Quand le Monsieur joue à Bercy, c’est en ouverture de l’Open de Tennis de Paris Bercy, car c’est quand même beaucoup plus funky qu’un concert traditionnel… et quand il veut donner un peu d’envergure à son projet trip-hop/abstract, il se dit que ça serait pas mal avec un orchestre entier, mais sans renier ses titres ni l’esprit originel. Il se lance donc dans quatre dates dans des grandes villes françaises (Rouen, Lille, Lyon, Paris) où forcément il ne peut pas se rater, tant un échec dans un projet de cette envergure sonnerait comme une terrible désillusion pour ce travailleur ultra-exigeant. Mais pouvait-on vraiment s’attendre à quelque chose de mauvais quand on connait un peu le personnage et sa soif de perfection?
Le constat est net et sans bavure dès le premier titre du concert: l’univers cinématographique, l’esprit abstract et les platines atmosphériques de Wax Tailor collent parfaitement avec un environnement classique, mené de main de maître par, comme le dit Wax lui-même, «le chef d’orchestre le plus funky de la planète», Didier Benetti. On constate très vite la cohérence et la parfaite mise en place du projet, la symbiose des cordes, des vents et des cuivres, et le bien fondé de cette recherche des sons classiques pour un univers trip-hop encore plus abouti… L’ambiance cinématographique est toujours très présente avec les deux écrans diffusant des images de polars des années 50, Humphrey Bogart et Ingrid Bergman passant par là… Wax Tailor revisite une grande partie de son patrimoine de tubes abstract («Que Sera», «Hypnosis Theme», «The Games You Play») tout en mettant aussi en valeur d’autres morceaux qu’on n’a pas l’habitude de voir en live comme l’excellent «Am I Free» du premier opus Tales Of The Forgotten Melodies. Et il faudra attendre l’arrivée de Charlotte Savary sur scène pour observer l’absolue nécessité d’un tel projet: la sublime voix lyrique de la chanteuse ensorcelle le Théâtre des Arts de la ville de Rouen, cadre parfait pour cette voix cristalline, parfaite de justesse et d’émotion… mais la grande réussite de Wax Tailor est de rendre aussi vibrante la prestation hip-hop pure de Mr Mattic qui se fond splendidement dans cet univers classique, superposant son phrasé précis sur les violoncelles et violons en tout genre.
Ceux qui s’attendaient à une atmosphère cosy ou un peu coincée en auront pour leurs frais: lorsque le collectif de rappeurs ASM (A State of Mind) envahira la scène du théâtre, le public se lève et on imagine que l’Opéra de Rouen a peu connu de tels moments d’énergie live et de groove hip-hop endiablé comme il en connaitra sur le titre «Positively Inclined» ou sur l’apothéose finale du génial «Say Yes!». Ce concert étant aussi le concert de lancement de la nouvelle salle rouennaise, le 106, qui ouvre ses portes la même semaine, quoi de mieux qu’un artiste local au top de sa forme pour en faire la promotion?
Ce défi de conserver la vibe hip-hop au milieu de la précision et de l’excellence classique est donc totalement réussi. Un des plus beaux moments de la vie de l’artiste selon ses propres dires à la fin du concert, et un des plus grands évènements musicaux de l’année sans aucun doute, Jean-Christophe Le Saoult a osé et il a gagné, une fois de plus, le respect de ses pairs et du public. Chapeau bas donc, à celui qui le porte si bien, et dont le nom sera scandé par le public sur les refrains de «Que Sera». L’insatiable maître de cérémonie peut donc regagner son studio l’esprit tranquille, il aura offert à son public ce que peu d’artistes français sont aujourd’hui capables de réaliser, autant techniquement qu’émotionellement.