Dinars serbes ? Check. Programmation du festival dans la poche ? Check. Pass presse ? Check. Motivation ? Pas de soucis de ce côté là non plus. On débarque à la forteresse de Petrovaradin, on refuse quelques shots de rakia et on fait le tour du site. Un seul mot : splendide. Bourrée de recoins, de passages, de tunnels, la structure est gigantesque, et permet l'installation d'un sacré paquets de scènes, qui ne se gênent absolument pas niveau son. On attaque par les Bad Brains sur la Main Stage. Vieux ? Certainement. Finis ? Non, les papys rastas du hardcore/roots ont toujours autant la classe et connaissent leur boulot. Il fait maintenant nuit, c'est donc avec d'autant plus de panache que James Murphy de LCD Soundsystem débarque sur scène tout de blanc vêtu, son excellent live band étant surplombé d'une boule à facettes géante. Niveau vocal, c'est la claque. Niveau rythmique, c'est parfaitement maîtrisé. La foule est obligée de fondre. On passera notre tour pour la prestation dégoulinante de bon sentiment de Mika pour aller voir Yeasayer, qui attaque sur la Fusion Stage. Un peu trop propret, mais plutôt inspiré, le groupe de Brooklyn dégageant, il faut le dire, un certain charisme. On ne traînera pas devant Suicidal Tendencies sur la scène Explosive (qui accueillera tout ce qui braille et qui envoie du lourd durant le weekend), la faute à trop de monde, mais même de loin, la bande de Mike Muir déterre ses pépites punk hardcore avec brio, ça sent presque pas le réchauffé. Avant d'apprécier le live de DJ Shadow, détour par la Dance Arena. Premier constat : le cadre énorme, la foule clubbant dans les douves, et sur les gradins qui permettent de surplomber l'énorme scène. Ensuite, niveau décor, on est vraiment dans un délire « dance FM fluo ibiza » qui ne colle pas franchement à la programmation, certes assez club, mais du bon côté de la force. Enfin, le duo Crookers donne dans un mélange fidget house / kuduro pas spécialement subtil, mais sacrément efficace. Placement stratégique pour DJ Shadow, donc. Le roi du trip-hop / turntablism américain débarque sur scène, puis s'insère dans une énorme sphère placée en son centre, sur laquelle seront projetées des images, généralement en rapport avec un écran situé derrière. Idée lumineuse et parfaitement classe, même si on verrait bien le principal intéressé distiller son très bon live « hip-hop to drum n'bass » de nos propres yeux, ce qui n'arrivera que rarement durant le show. Sur la Happy Novi Sad Stage (il faut la trouver, celle-là) officient trois piliers du label Warp. Tim Exile d'abord, dont le live electro-cold aussi travaillé que farfelu et spontané touchera dans le mille. Clark prendra le relais, pour une prestation plus approximative, plus « punk », de l'electronica sous stéroïdes, de l'acid rêveuse, un truc comme ça. Hudson Mohawke tape plutôt dans un hip-hop épique et planant, volontairement bancal, plein de nappes voluptueuses. Un dernier détour par la Dance Arena pour admirer les deux danseuses en bikini doré qui semblent troubler Erol Alkan, lequel envoie du bois pour ne pas perdre le fil. Son pote Boys Noize, en grand mélomane, enchaînera en attaquant d'entrée en mode « electro-turbine », et maintiendra l'assistance survoltée dans un état d'excitation maximum. Damned, c'est le jour qu'on voit arriver ?
Juste à temps ! Atari Teenage Riot a été avancé, on peut appeler ça de la chance, on ne ratera pas une miette d'un des meilleurs concerts du weekend. Vu-mètre dans le rouge (il va falloir que j'assume mes problèmes d'audition prématurés), compositions balancées avec une violence jubilatoire, le digital hardcore du trio nous donnera un bon coup de pied retourné, ça fait du bien. The Horrors, qui prendra la suite sur la grande scène, jouera proprement, mais la magie ne prendra pas. Trop « prestation boulot », le public ne se laisse pas avoir. On sera en revanche plus emballés par le death metal robotique de Decapitated, dont le niveau technique en live est très impressionnant, a peu près autant que les lance-flammes sur les côtés de la scène. Rapide détour par Placebo, pour admirer un Brian Molko qui accuse un peu le coup, et un nouveau batteur tout en muscles, en tatouages et en mèches blondes. C'est bien, mais on dirait le Placebo d'il y a 10 ans. Changement d'ambiance, retour sur la Dance Arena, sur laquelle le trio Moderat (Modeselektor + Apparat, pour les néophytes) s'apprête à monter. Une musique qui se prête autant à l'écoute qu'à la danse, parfois full of bass, aux accents post-rock, avec cette rythmique syncopée aux faux-airs de dubstep qui marche du tonnerre. Un parfait mélange entre les deux entités sonores qui forment le trio, des images magnifiques projetées par le génie Pfafinderei, un vrai moment de musique sur une scène a priori dédiée aux DJs et au club pur et dur. Parlons-en, justement. Josh Wink officiera dans un panel de styles qu'il affectionne particulièrement, entre techno, acid house, avec des relents vaguement break parfois. Élégant et efficace à la fois, à l'image du set du chilien Ricardo Villalobos, qui prendra des risques en passant des morceaux de percussion pure entre deux perles techno, toujours dans un style deep et minimal qu'il affectionne depuis tant d'années. Un petit lavage de conduit auditif avec le dubstep massif et sombre de Pinch, et au lit (mine de rien, on se fait rapidement avoir à finir à 6h du matin, ici).
Le jour le plus « calme » du weekend niveau programmation, du moins en ce qui nous concerne. Niveau public, pourtant, ça s'amasse dur, Missy Elliott semble rameuter la moitié du pays, il sera plutôt difficile de se déplacer entre les scènes tout au long de la nuit. Placer les Klaxons à 20h15, c'est raide. Ce groupe ne doit pas peser aussi lourd que chez nous en Serbie, mais le quintet (le guitariste d'appoint est planqué derrière un ampli, un peu dommage…) donne un concert énergique, enthousiaste, mené par l'envie de convaincre une foule plutôt réceptive. Essai transformé. On ne peut pas en dire autant de Röyksopp. Pour le coup, l'audience est acquise à la cause du duo norvégien, qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Une prestation cheesy, aux limites d'une euro-pop de mauvais goût. On est d'ailleurs surpris de croiser Karen Olofson (Fever Ray, The Knife) sur scène, elle qui est bien au dessus de ça. Moins de monde pour Beast, mais le mélange trip-hop / fusion des québécois donne des ailes à ceux qui auront fait le choix judicieux de lâcher la grande scène pour se délecter de ce live généreux et humain. Sandwich avalé, direction Missy Elliott ? Hmm, non, franchement pas, et puis on allait pas rater un bon concert de The Exploited. Wattie Buchan a beau avoir dépassé la cinquantaine, il a l'air toujours aussi convaincu que ses textes simplistes et vindicatifs ont une portée. Crade, crétin, violent, génial. Ah, la rappeuse ricaine a fini, d'immenses cohortes de gens blindent les allées du site. Apparemment live efficace mais trop court, ce qui vaudra d'ailleurs à Ms Dynamite de commencer plus tôt que prévu et de faire manquer le concert à certains, dont je fais partie. De rage, direction Laidback Luke sur la Dance Arena, qui balancera une house lourde, à l'image du son hollandais, jamais spécialement subtil en matière d'électro « à danser ». Le set reste cependant plutôt efficace. Avant de déclarer forfait, un petit détour pour checker le concert des Midnight Juggernauts. La synth pop aux accents clubby des australiens est excellente en live, le public n'a pas l'air d'être spécialement extatique (fatigue, quand tu nous tiens, il commence à se faire tard) mais la prestation est impressionnante de maîtrise, la formation a évolué en mieux depuis ses débuts. Demain, c'est le dernier jour, le but, c'est de survivre, au dodo.
Ce soir, y'a du calibre. Les trois premiers jour de festivités dans les pattes et la tête déjà pleine de souvenirs, on débarque pour jeter une oreille à Pendulum, qui se chargera de chauffer les enceintes de la Main Stage. D'entité drum n'bass darkstep certes assez commerciale mais efficace, le combo anglo-australien s'est transformé en formation rock mainstream et chessy, en gardant les rythmiques rapides et percussives des débuts. Prestation efficace cependant, la foule réagit positivement. Une bonne dose de patience sera nécessaire pour voir enfin débarquer LA tête d'affiche rock du festival. Les Faith No More voulaient-ils absolument savoir le résultat de la finale de la coupe du monde avant de monter sur scène ? Mike Patton a le bon goût de saluer l'assistance d'un « hello Yugoslavia », qui ne sera évidemment pas au goût de grand monde. Outre ses coups de gueule récurrents contre l'ingé-son des retours scène, Le frontman, habillé en costard rouge, sera d'un charisme bluffant (il exécutera d'ailleurs un paquet de facéties sur scène), et une virtuosité vocale à couper le souffle. Le groupe jouera un paquet de classiques, mais pas que, et osera l'interprétation de l'hymne serbe, qui déclenchera une ovation impressionnante. Ce qu'on ressent à la fin du concert se lit sur les visages de tous les festivaliers présents : concert monstrueux. Sur la grande scène encore, les Chemical Brothers enchaînent le plus rapidement possible (le retard est déjà considérable), mais la prestation s'avère décevante. Le son manque de puissance, les compositions sont plutôt mal enchaînées, les nouveaux morceaux ne marchent pas et les vieux tubes, bien que déclenchant plus de ferveur, sont à peine remaniés. Un peu peinés, on se dirige vers la Dance Arena, pour se requinquer devant Crystal Castles. Urgent, frénétique, le live est mené d'une main de maîtresse par une Alice Glass visiblement complètement fêlée. Ses performances vocales ont beau rester dans le même registre (vocalises hurlées, suraigues, avec un écho à réveiller les morts), on repart requinqué. Dur, on a raté Jamaica et We Have Band du coup. Plus qu'à attendre la venue du boss de Ed Banger Busy P, qui tapera dans tous les registres qui lui passent sous la main (dubstep massif, kuduro, disco-house, turbine). Le public adhère, malgré les enchaînements un peu approximatifs. On pensait avoir eu notre compte pour la soirée, mais on passe devant la fin du concert des Foreign Beggars, qu'on pensait avoir loupés. Ces mecs sont des cinglés notoires, parcourant la scène frénétiquement de droite à gauche en courant, et balançant leur flow caustique et percussif sur des instrus drum n'bass signées Noisia. Au passage, on pourra apprécier le premier wall of death de l'histoire des concerts de rap. On s'excuse platement auprès de SebastiAn et A-Trak, mais il est 5h30 du matin, on doit être debout dans 3h.