Avec aujourd’hui quatre albums et plus de dix années d’activisme, AqME fait presque figure de dinosaure au sein d’une scène Française férocement mis à mal par la crise du disque. Album surprise de la rentrée 2009, En l’honneur de Jupiter a de plus clairement relancé la carrière du groupe, là ou Hérésie se contentait de remettre au goût du jour une formule qui avait fait ses preuves. L’entretien était inévitable, et d’autant plus intéressant lorsque le groupe au grand complet se prête au traditionnel jeu des questions-réponses. Attention, interview fleuve.
BEN : AqME revient sous une forme remodelée. Aujourd’hui, vous voyez ça comme un nouveau départ, une nouvelle chance ?
Thomas (chant) : Oui. C’est un nouveau départ dans le sens ou l’arrivée de Julien nous a relancés. Musicalement, En l’honneur de Jupiter explore de nouvelles voies. C’est un lien de cause à effet plutôt motivant.
Cette décision de revoir votre formule était directement liée à ce changement de line-up ?
Etienne (batterie) : Plus ou moins. On n’avait pas non plus envie de tout changer, mais tout le monde dans le groupe était d’accord sur le fait que nous devions évoluer et arriver à une version d’AqME qui nous ressemble vraiment aujourd’hui. Nous ne renions cependant pas ce qui a été écrit sur les précédents albums, c’est ce qui nous correspondait il y a quelques années. Il fallait aussi que notre musique s’adapte à la personnalité et aux envies de Julien.
Est-ce que le départ de Ben vous a fait un temps douter de l’avenir du groupe ?
Thomas : Pas vraiment, c’est nous qui avons vraiment abordés le sujet, avant même qu’il nous annonce son départ en bonne et due forme. Il n’était clairement plus motivé pour faire de la musique aussi virulente, alors que de notre côté nous avions plutôt le souhait après Hérésie de continuer à durcir le ton. Les relations étaient devenues un peu tendues sur les dernières semaines, la séparation était probablement le meilleur choix possible pour tout le monde.
J’imagine que l’arrivée de Die On Monday a parallèlement jouée sur ce départ…
Non, pas vraiment. Avant d’être véritablement mis sous les projecteurs, Die On Monday jouait depuis presque deux ans et demi. Nous avions tous eu le temps d’enregistrer un disque pour un projet parallèle avant qu’il ne forme le sien.
Etienne : Je serais plus nuancé. Peut-être que ce projet à eu une influence sur ses envies… Je parle personnellement, mais j’ai le sentiment que la formation d’un projet parallèle montre qu’on est un peu frustré dans son groupe, qu’on ne peut pas y intégrer tout ce que l’on souhaiterait. Dans le cas de Ben, il était peut-être plus heureux d’écrire de la musique pour Die On Monday que pour AqME. C’est normal que les choses ne fonctionnent plus au bout d’un moment, même si nous avions essayés de s’orienter dans une veine plus rock avec La Fin des Temps.
Julien, est-ce que le fait de rejoindre un groupe déjà bien installé sur la scène Française t’as fait hésiter sur les décisions à prendre ? Tu tiens une position importante dans le sens ou une grande partie de la composition repose sur tes épaules…
Julien (guitare) : Non, pas vraiment. Le groupe voulait partir vers de nouvelles choses, personne ne voulait vivre sur le passé et composer un disque comme Sombres Efforts. C’était plus facile pour moi. Les autres souhaitaient clairement s’orienter vers des terrains plus violents, plus metal. J’avais ces influences en commun avec le groupe, j’avais déjà tourné pour Lazy avec AqME au moment de la sortie de La Fin des Temps, et travaillé avec Etienne sur le projet Grymt, donc mon intégration s’est faite tout naturellement.
C’était en définitive presque une évidence…
Oui.
Etienne : C’est de toute façon le seul guitariste auquel nous avons fait la demande au moment du départ de Ben. Il fallait qu’il puisse marier un côté rock alternatif presque éthéré par moments à de gros riffs teintés metal. Nous avons pensés à d’autres musiciens bien évidemment, mais tout le monde savait que ca ne correspondrait pas à leur style. Si Julien n’avait pas accepté, je ne sais pas si nous aurions continués AqME.
Julien : Sinon, Thomas aurait pris la guitare (rires).
Thomas : Je crois que j’aurais eu besoin de quelques cours ! Donc encore une fois, nous aurions fait appel à toi (rires).
Etienne : Pour Julien, je pense que c’était aussi facile de s’approprier la formule AqME. C’est une alternance de passages mélodiques et de tirades plus violentes, je pense que c’est exactement ce qu’il aime dans la musique. Il ne restait plus qu’à l’adapter à sa sauce.
Julien : Exactement. Même si je n’entre en jeu que sur ce quatrième album, musicalement, ils ont écrit beaucoup de choses qui me touchent. Plus particulièrement ce que le groupe peut dégager, ce côté sombre, lourd et mélancolique. Ca m’a toujours parlé, je jouais un peu dans les mêmes registres avec mes anciens groupes. J’ai toujours aimé la façon dont ils jouaient avec les extrêmes.
Etienne : Nous sommes de la même génération. A nos débuts, nous répétions d’ailleurs dans les mêmes locaux. Même si nous avons évolués chacun dans nos groupes respectifs, nous avions une base commune, des influences similaires.
En l’honneur de Jupiter pousse les limites plus loin pour tout le monde, et non uniquement en ce qui concerne les guitares.
Julien : Etienne avait déjà confirmé son souhait de partir vers une technique plus présente, que ce soit sur Hérésie ainsi qu’au sein de Grymt.
Charlotte (basse) : Par contre pour Thomas et moi-même, c’était difficile. Pour parler vulgairement, nous nous sentions comme des merdes à côté (rires) !
Julien : C’était du travail pour moi aussi, je ne suis pas arrivé les doigts de pied en éventail. Je n’avais jamais eu d’expérience avec un véritable producteur, et c’était d’autant plus intimidant que Daniel Bergstrand est quelqu’un de reconnu et talentueux. J’avais de l’appréhension face à une personne si professionnelle, on ne m’en avait jamais demandé tant. C’était une excellente expérience.
Etienne : Pour revenir à la question de base, tout le monde sentait que techniquement on pouvait faire la même musique, mais en rajoutant une véritable richesse. On ressentait ce besoin. Je pense qu’Hérésie nous a donné l’occasion de franchir un premier cap, mais nous n’aurions pas fait un disque comme En l’honneur de Jupiter avec Ben. Nous n’étions pas d’accord, alors que Julien était sur la même longueur d’onde que nous. Techniquement, il faut aussi avouer que Julien est un musicien vraiment compétent.
Vous aviez pourtant tentés sur La Fin des Temps un renouvellement des structures, ou encore l’intégration de solos. Aujourd’hui, ce disque sonne pourtant comme une parenthèse, et s’inscrit nettement moins bien dans la continuité de votre musique qu’En l’Honneur de Jupiter. Pourquoi ca n’avait pas fonctionné à l’époque ?
En effet, il y avait déjà cette volonté, même si tout n’a pas fonctionné.
Thomas : Il y a eu plusieurs problèmes sur ce disque. Nous voulions enregistrer à la maison, à l’époque j’avais eu plusieurs différents avec Daniel Bergstrand. On voulait continuer les concerts pendant la composition du disque, ce n’était pas un très bon choix.
Etienne : Clairement non.
Thomas : Je pense qu’en enregistrant La Fin des Temps aux côtés de Daniel, il nous aurait refusé certaines choses. On voulait faire un peu par nous même, on avait pris Steve Prestage pour l’album, mais il ne nous aiguillait pas vraiment. Il nous demandait juste de refaire les prises quand elles n’étaient pas bonnes, mais il nous laissait clairement faire comme nous le souhaitions.
Etienne : Il était moins exigeant que quelqu’un comme Daniel. Rajoute à cela le fait que nous avions déjà quelques désaccords sur la direction à prendre avec Ben, quand tu n’as pas quelqu’un capable de te cadrer comme Daniel, c’est plus difficile de faire un disque cohérent. Pour ma part, La Fin des Temps est une énorme frustration. Cet album avait un potentiel, les morceaux sont bons, mais je trouve qu’on s’est arrêtés au stade des maquettes. Il y avait tout pour faire les choses bien, mais nous aurions du pousser l’ensemble plus loin, et le faire avec Daniel.
Thomas : On devrait faire un remake de ce disque, non ?
Le son était aussi très différent de vos travaux précédents…
Etienne : Oui, mais je vais même plus loin en remettant en cause notre performance. Nous avons sans doute péché par orgueil, en pensant que nous pourrions faire un bon disque sans avoir le cadre imposé par Daniel, qui nous pousse à retravailler certaines choses, à aller plus loin. On s’est plantés. On aurait eu besoin de quelqu’un plus proche de nous, peut-être un producteur Français.
Thomas : J’aime jouer les morceaux. Par contre je ne peux plus écouter cet album.
Etienne : Pareil pour ma part. J’ai malgré tout du plaisir à faire des titres comme « Ténèbres » ou « La Belle Inconnue ». C’est dommage. Ca me démange, je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il faudrait le réenregistrer. Certaines compositions nous correspondent d’ailleurs bien aujourd’hui… Mais pas toutes. « Une dernière fois » ne nous intéresse peut-être plus autant. Mais dans tous les cas, il ne faut pas refaire un album. Les disques, ratés comme bons, ont leur charme.
Julien : C’est fait, c’est fait. Ce serait probablement comme retenter une expérience avec une personne que tu as aimé pour vous.
Etienne : Il y a aussi des gens qui ont découvert le groupe avec ce disque, pour qui c’est l’album référence. Dans toutes les discographies, il y a toujours des albums qui dénotent, se détachent et ne ressemblent pas vraiment aux autres. Pour nous c’est La Fin des Temps. Mais il aurait du être mieux.
Thomas : Selon les statistiques, c’est donc le prochain que nous ne ferons pas avec Daniel (rires).
Vous n’aviez pas envie d’une oreille nouvelle à la production pour accompagner cette évolution dans la composition ?
Thomas : Pas vraiment. Daniel a abordé notre musique d’une nouvelle manière pour ce disque. Il a un peu changé sa façon de faire. Il est notamment venu nous voir directement dans notre local, et a enregistré nos compos avec un olympus portable. Il a eu l’occasion de connaitre les chansons bien en amont de notre entrée en studio.
Etienne : Il aime bien tester différentes choses avec nous au niveau du son. Je trouve que les deux premiers ont clairement des points communs, Polaroïds et Pornographie étant directement inscrit dans la continuité de Sombres Efforts, mais l’approche a été différente sur Hérésie. Ce disque avait un son plus grave et lourd, alors que je dirais que celui qu’il a greffé sur En l’honneur de Jupiter est peut-être plus propre, mieux défini.
Thomas, l’enregistrement du chant semble avoir été assez difficile pour toi, on peut notamment constater sur le making-of que Daniel t’a poussé à bout sur un titre comme « Stadium Complex »…
Thomas : J’avais vraiment envie de tenter des choses différentes, car j’ai eu tendance par le passé à me mettre dans des cases. Je voulais briser tout ça, et ça n’a clairement pas été évident. Je pense que c’est aussi imputable au fait que le délai d’enregistrement a été plus court. Je n’ai eu que sept jours pour poser mes voix, c’était difficile, et « Stadium Complex » a été un peu cauchemardesque à enregistrer.
Cette réduction du temps passé en studio est inhérente aux résultats du marché actuel ?
Etienne : Oui. Nous avions bénéficiés de six semaines pour Hérésie, là nous n’en avons eu que cinq. Ca rentrait plus dans le budget de At(h)ome, qui finance la production de nos albums. Au vu de la situation et des baisses constatées, il est normal que les groupes s’adaptent. D’un autre côté, dans les années 80 les groupes enregistraient tout en deux semaines, donc nous sommes conscients d’être privilégiés.
J’imagine que les changements amenés par l’ère numérique se font ressentir à d’autres niveaux, même quand on a la notoriété d’AqME…
Thomas : Nous vendons aujourd’hui dix fois moins d’albums. Certains d’entres-nous ont d’ailleurs repris le travail à côté, c’est devenu impossible de vivre uniquement des revenus engendrés par notre musique. La France est l’un des pays qui pirate le plus, et les gens ne font pas la différence entre Lady Gaga et les petits groupes Français. C’est problématique. C’est un peu un cercle vicieux, tu vends de moins en moins d’albums, et c’est aussi difficile d’être programmé parce qu’au vu de ces résultats, les promoteurs craignent le four en concert.
Etienne : Pour notre part, ca se passe encore quand même plutôt bien. Le public est toujours au rendez-vous. Mais il faut vraiment convaincre les programmateurs aujourd’hui. D’ailleurs, il ne reste plus beaucoup de groupes metal qui ont la chance d’assurer de grosses tournées : Mass Hysteria, Lofofora, Sidilarsen qui s’en sort encore pas trop mal… Dans les années 90, tu avais peut-être trente ou quarante formations constamment sur la route. Je crois que les gens ont oublié que malgré le gros coup de projecteur porté sur la scène metal il y a dix ans, ca reste un genre underground. Aucun groupe n’a vendu plus de quarante mille ou cinquante mille disques, ce sont des chiffres absolument ridicules par rapport à la variété Française. Les ventes ont été divisées par trois ou quatre, et c’est ce milieu underground qui subit le plus. Les grosses machines peuvent continuer avec moins de recettes, nous non. Mais on s’accroche.
Thomas : On est incapables de faire autre chose. Quand tu as connu une expérience aussi trépidante, c’est impossible de se résigner à un boulot « normal ». On a repris des activités en parallèle, mais on ne jette pas l’éponge.
Merci à AqME pour l'accueil. Remerciements à Pierre chez At(h)ome.