Dredg, ou comment cultiver l'ambiguïté avec succès. Depuis la genèse du groupe de Los Gatos, ses membres n'ont eu cesse de jongler avec les composantes artistiques de leur musique tout en tenant debout sur le fil de funambule qui relie l'expérimentation et l'aspect pop, sans jamais tomber. Après un Leitmotiv prometteur, et un El Cielo qui, avec sa structure alambiquée, ses penchants progressifs et son aspect méticuleux sera élevé au range de perle de l'art-rock indé, Dredg aura dérouté son auditoire en penchant sévèrement du côté pop avec Catch Without Arms. Puis, le vide. Trop d'attente, et des mises en bouche qui nous ont pas franchement donné la dalle, c'est tout ce qu'on a eu à se mettre sous la dent en attendant The Pariah, The Parrot, The Delusion, trop de fois retardé. Le quatuor aura hélas entaillé l'aura qu'il s'était acharné à créer avant même la sortie de l'album, et une partie de sa pourtant dévolue fan-base semble avoir lâché l'affaire. Tant pis pour eux.
Catch Without Arms a bien marché, Dredg en est sorti grandi, il aura gagné une expérience et une popularité non négligeables. Cet album, en restant de très bonne facture, n'avait pourtant pas la force de composition de son prédécesseur, mais renforçait l'aspect catchy qui n'assumait pas totalement sa présence sur les efforts précédents, ce qui fut appréciable dans un sens. Mais les fans de El Cielo, qui n'avaient pas surkiffé, pourront revenir tendre une oreille désintéressée, histoire de. Pas de retour en arrière, non. Mais un équilibre quasi parfait. Dix-huit pistes, des interludes récurrentes, des morceaux instrumentaux qui osent mettre les pieds hors des chemins, voilà une patte qu'on est heureux de retrouver. Mais c'est un vrai mélange, et plutôt homogène de surcroit, de morceaux à la fois poppy et ambitieux musicalement que nous propose Dredg ici. « Pariah » semble avoir déjà été entendue, ça sera le cas avec beaucoup de passages de l'album (pas de bouleversements, désolé…), mais cette production léchée, ces singlaongs enfantins et ce refrain magnifique visent juste, à la fois à la tête et au coeur, sans surenchère intellectualiste ni quête d'une basse fédération. Ça sera la trame principale, le fil rouge d'un album qui tentera de tirer la pop par le haut, et d'insuffler en même temps une force d'attraction et un goût plus facile à apprécier que n'importe quel autre album du groupe.
Un aspect que Dredg semblait avoir perdu avec Catch Without Arms nous revient avec plaisir : cette capacité à aérer un album et à le grandir, en laissant parfois sa musique parler seule. Les instrumentaux que sont « Drunk Slide » et « R.U.O.K », tiennent d'une parfaite maîtrise des ambiances (rien d'étonnant ceci dit, quand on connaît les gaillards), « Down To The Cellar », très « post-rock sans trop en faire » est également une gemme dans le genre. On remarque aussi une récurrence dans le tracklisting, qui sera confirmée de fort belle manière dans le son : les quatre parties de « Stamp Of Origin », aquatiques et feutrées, viendront apporter une charpente appréciable à l'album, la dernière partie aura d'ailleurs la tâche de le clôturer. Le reste de l'effort sera rempli de morceaux de fort bonne facture, dégageant un sentiment de constance très solide, qui pallie un peu au côté parfois un poil hétérogène de l'ensemble. « I Don't Know » semble nous replonger dans la période Catch Without Arms, « Gathering Pebbles » nous surprend par son intro psychédélique, puis nous reprend à contre-pied avec un corps de morceau très pop cheesy et planante (ce refrain…), puis, rebelote, 90° pour un final toutes grattes dehors. « Saviour » avait peiné à nous convaincre quand le groupe l'avait proposé au téléchargement libre en amont de la sortie, mais son synthé sur le couplet passe beaucoup mieux une fois le morceau intégré à l'oeuvre complète, même si ce morceau reste un peu en deçà de la qualité globale de cette dernière. Le single, « Information », est imparable dans son rôle, sans jouer les morceaux-pub. Enfin, mention spéciale à « Cartoon Showroom », qui nous montrera qu'on peut être mélodique à la limite du cliché mièvre, et rester d'une crédibilité à toute épreuve, si on fait ça bien. Et Dredg, sur de coup là, le fait mieux que bien.
The Pariah, The Parrot, The Delusion aura donc globalement réussi son pari. Dredg est revenu, il tient debout, mieux que jamais, et ses quatre membres farfouilleurs de génie méritent vraiment leur place dans la sphère indé américaine. Cet album n'est pas dénué de défauts, et puis bon, pour détrôner El Cielo de la colonne sur laquelle il est boulonné, va falloir y aller. Mais, plus qu'un essai de renouvellement radical, le groupe signe ici une évolution en douceur, un travail de fond, qui charge le groupe d'une cohérence émotionnelle sans précédent. Reste à voir si tout cela tient le coup en live, mais nos californiens, on le sait déjà, excellent dans l'art de jouer propre, très propre, en représentation. Fallait pas les enterrer trop vite, on vous l'avait dit.
.:Tracklist:.
1. Pariah
2. Drunk Slide
3. Ireland
4. Stamp of Origin: Pessimistic
5. Lightswitch
6. Gathering Pebbles
7. Information
8. Stamp of Origin: Ocean Meets Bay
9. Saviour
10. R U O K ?
11. I Don't Know
12. Mourning This Morning
13. Stamp of Origin: Take a Look Around
14. ong Days and Vague Clues
15. Cartoon Showroom
16. Quotes
17. Down to the Cellar
18. Stamp of Origin: Horizon