Manu Livertout, c’est un peu le fantasme artistique de tout guitariste en herbe. Un niveau technique si élevé qu’il en devient presque décourageant, tant les années nécessaires à l’acquisition d’au moins la moitié d’une telle maîtrise peuvent paraître indénombrables. Rarissime sur les planches, le guitariste se fait de plus accompagner sur disque par une brochette de musiciens figurant parmi les meilleurs jamais enfantés par la scène Française. Au timbre impeccable d’un Guillaume Bideau (ex-Scarve, Mnemic) désormais propulsé à l’international répondent une section rythmique constituée du batteur surdoué Dirk Verbeuren (Soilwork, Scarve) et du bassiste Loic Colin (Scarve). Une probable démonstration de force était donc à attendre entre les murs du convivial club du Son’Art. Et le Manu Livertout Band n’aura pas manqué de servir un show virtuose et ébouriffant.
Groupe régional à la réputation déjà bien fondée, les Dingos Criticals auront la lourde charge d’ouvrir la soirée. Un challenge particulièrement corsé lorsque l’on a conscience du talent des musiciens qui suivront, et pourtant les Bordelais vont en mettre plein les oreilles sur plus de quarante minutes. Moins éparpillés dans leurs influences que le Manu Livertout Band, les Dingos restent avant tout purement rock’n’roll, ce qui n’empêche nullement les musiciens de naviguer entre plusieurs eaux. Les envies pop et metal se mélangent sans clash, le groupe saupoudrant même le tout d’une petite dose psyché à travers de nombreux solos assurés par Laurent. Inspiré et en place, le guitariste vient prouver qu’il peut tenir la dragée à Manu Livertout, sans que sa technique ne verse pour autant dans de la pure démonstration.
Là ou le groupe de tête d’affiche peut parfois oublier qu’un bon morceau ne se doit pas forcément d’être un déballage d'échapées leads, Dingos Criticals conserve toujours un aspect « chanson » qui apporte une véritable cohérence à sa prestation. Ce qui n’empèche pas la formation d’opérer à deux reprises en instrumental afin de laisser chacun s’exprimer, notamment via une interlude basse slappée / batterie hautement convaincante. La prestation vocale d’Arnaud est également à saluer, d’autant plus lorsque l’on sait que ce dernier vient à peine d’intégrer Dingos Criticals. A peine quelques regards sur les paroles disposées en avant-scène au cas ou, le frontman a assimilé le répertoire et habille la musique de ses camarades d’un chant juste et sans fausses notes. Une belle découverte.
Après une masterclass assurée au cours de l’après-midi, Manu Livertout et ses mercenaires investissent la petite scène du Son’Art devant une assistance consistante mais néanmoins pas démesurée. Si le fait de ne pas voir le briscard aux côtés de Dirk Verbeuren et Loic Colin, logiquement occupés à leurs projets principaux, sur les concerts pourrait laisser un léger arrière-goût de déception, le guitariste a cependant pris soin de dénicher des musiciens aux talents quasi-similaires. Si la frappe du batteur se montre moins puissante que celle de Verbeuren, celui-ci assurera très bien son rôle sur la petite heure de show. Le bassiste, également inconnu au bataillon, se montre pour sa part monstrueux de technique et de présence scénique. C’est donc sous cette configuration que le Manu Livertout Band attaque son set, le groupe ayant scindé sa prestation en deux afin de ne pas entraîner de nombreuses sorties et entrées de l’attendu Guillaume Bideau.
Peu de riffs metal mais des cavalcades de guitare qui partent dans tous les sens, Livertout déverse des flots de technique et extrait de son instrument les sonorités les plus affolantes. Du solo en veux-tu en voilà, le cow-boy des temps modernes se mesure aux plus grands, assurant avec brio une reprise de celui qui apparaît comme son maitre à gratter, Joe Satriani. Une grande partie de ses trois albums passe à la moulinette, devant les yeux respectueux d’un public qui n’ose pas broncher malgré la motivation de Livertout, qui n’hésite pas à blaguer entre ses différentes échappées instrumentales. Si la prestation s’avère remarquable, sa longueur (plus de trente minutes) rend néanmoins le tout légèrement indigeste sur la fin, le nombre de directions explorées finissant par perdre dans un ensemble en forme de solo ininterrompu.
L’arrivée de Guillaume Bideau donnera une toute autre couleur au show, le concert devenant moins psyché afin d’embrayer sur un metal moderne proche de derniers travaux du chanteur avec One Way Mirror. Entrant en scène à quatre pattes, le frontman amène sa bonne humeur dans une prestation bon enfant depuis les premières mesures. Mais si le désormais quatuor ne lésine pas sur la déconne (Guillaume Bideau semble d’ailleurs particulièrement porté sur la simulation de sexe anal avec son bassiste), sa musique fait preuve du plus grand sérieux. « Let It Flow », balancé d’entrée de jeu aura tôt fait mettre le public à genoux. Le chanteur se montre d’ailleurs impeccable dans son chant clair, assuré avec la même aisance et justesse que sur disque. Ultra-efficaces, les refrains entêtants s’enchaînent, le bonhomme ayant amené dans le Manu Livertout Band cette fantastique capacité à pondre des parties furieusement catchy et démontrant que son chant très travaillé ne perd en rien de sa portée sur les planches. Engagé avec Mnemic la veille dans un pays nordique, Bideau aura fait une nuit blanche pour rallier Bordeaux mais présente malgré tout une forme olympique. Quatre titres seulement (« Let If Flow », « A New Verse », « Out Of Everything et « I’m Laughin’ »), le show s’avère court mais extrêmement bien mené.
Le fossé entre les deux parties du set demeure particulièrement visible sur le public, clairement séparé. Si une partie a fait le déplacement uniquement pour les morceaux habillés du timbre de Guillaume Bideau et présente une certaine lassitude pendant la session instrumentale, d’autres sont venus eux afin d’admirer le fils spirituel de Satriani. Quelques uns quitteront d’ailleurs les lieux en constatant le résultat une fois le chant apposé aux instrumentations, qui muent dans une dimension plus terre à terre. Ces derniers en auront pour leurs frais, puisque Manu Livertout invite à la surprise générale les Dingos sur scène pour un gros bœuf, une conclusion de dans la convivialité pour une soirée comme on aimerait en voir plus souvent sur Bordeaux.