Poser l’oreille sur une oeuvre de Jucifer reviendrait presque à enchaîner des couplets dignes de Sonic Youth aux embardées saturées de haine chaotique propres au mouvement grindcore. Atypique et adepte d’une déstructuration pourtant diablement et incroyablement cohérente, le couple le plus étrangement inspiré d’un mouvement encore impossible à étiqueter, si ce n’est sous la bannière barbare de hardcore-sludge-death-power-pop-expérimentale, revient avec un nouvel hybride biscornu du nom de L’Autrichienne. Un album qui témoigne une nouvelle fois de toute l’ingéniosité de cette formation hors-normes.
L’autrichienne est avant tout un fantastique jeu de questions-réponses, avalanche d’influences d’ordinaires antagonistes fusionnées au service d’un son aussi unique que remarquable, constantes montagnes russes dirigées d’une main de maître par un duo qui ne craint aucunement les expérimentations les plus surprenantes. Ces vingt et un morceaux, absolument indissociables et cohabitant pour former l’épine dorsale d’une œuvre ambitieuse s’appréciant pleinement dans sa continuité, font une nouvelle fois preuve d’un anti-conformisme prononcé de par leur dimension schizophrénique. Aussi bien habilité à s’orienter vers une pop langoureuse, atmosphérique et éthérée qu’à subitement se fendre d’une déflagration sonique à la puissance terrassante, Jucifer n’impose aucune barrière à un terrain de jeu faisant cohabiter les sons, du mélodique aux dissonances les plus extrêmes, adoptant pour ce faire des rythmiques toutes aussi changeantes. Chaque titre vient témoigner de ces brusques et inattendus changements d’horizons, sans que l’attitude des musiciens ne paraissent pour autan incongrue, tant ceux-ci parviennent à maintenir leur cap tout du long de cette ballade aux confins de l’étrange. Jucifer impose pour ce faire une ambiance torturée, faisant de L’Autrichienne un témoignage musical sombre et habitée, véritable envolée dans un esprit à la décadence burtonniene. Bien que le piano ne vienne par moment cohabiter sans sentiment de cassure au bloc fusionnel guitare / batterie, l’ambiance demeure plombée et menée par les tessitures de six-cordes appuyées, parfois jusqu’à des successions d’accords pachydermiques.
Les paysages s’ouvrent à quelques occasions à la lumière, quelques entre-filets pénétrants timidement l’épaisse et effrayante brume constituée par les assauts ainsi que les ballades teintées d’une mélancolie dénuées de toute heureuse perspective. L’avenir dépeint par Jucifer restera en grande majorité teinté d’une noirceur oppressante, que même la grande variété des chants présentée ne parvient pas à dissocier des compositions, si ce n’est à l’occasion d’une longue pause mélodique aux deux-tiers de l’album. Une orientation se concluant par des tonalités bluesy, auxquels succèderont rapidement un lent et fracassant marteau-pilonnage habituel. Angélique, le chant clair virevoltant de Amber Valentine survole ces instrumentions habitées avec une quasi-insouciance, hypnotisant son auditeur dans une imparable justesse, laissant parfois place à une successions de hurlements arrachés venant aussi subitement casser une routine et un confort d’écoute qui n’avaient déjà guère le temps d’imposer leurs présences. Un contraste de plus, ultime pied de nez à une industrie musicale ronflante de conformité.
L’autrichienne est au final une œuvre superbe et passionnante de bout en bout, pour peu que l’originalité soit le critère prédominant les choix de l’oreille (avertie) se posant sur les expériences sonores de Jucifer. Une expérience auditive et sensorielle unique.
.: Tracklist :.
01. Blackpowder
02. Thermidor
03. To Earth
04. Deficit
05. Champ De Mars
06. Fall Of The Bastille
07. To The End
08. Armada
09. L'autrichienne
10. Behind Every Great Man
11. October
12. Birds Of A Feather
13. Traitors
14. The Law Of Suspects
15. Noyade
16. The Mountain
17. Window (Where The Sea Falls Forever)
18. Fleur De Lis
19. Procession A La Guillotine
20. Coma
21. The Assembly