A univers passionnant accès difficile. Telle fût la devise des New-Yorkais de Sonic Youth pendant les années 80. Grand adorateur des expérimentations en tous genres, le quatuor semblait à jamais condamné à une reconnaissance strictement underground, et ce malgré les pièces maîtresses que pouvaient représenter des œuvres de la trempe de Sister ou Daydream Nation. Le début des nineties en décidera cependant autrement. Goo amorcera une nouvelle ère pour Sonic Youth, deux années avant le succès d’un Dirty qui imposera enfin le groupe au yeux du grand public.
Bien qu’il s’agisse aujourd’hui d’un album renié par le groupe ainsi que de ses plus fervents adorateurs, Goo n’en reste pas moins un véritable chef d’œuvre dans la longue carrière de Sonic Youth. Les américains décident avec ces onze morceaux d’effectuer un léger virage, appréhendant pour la première fois leur son avec la volonté d’en faire des compositions aux structures quasi-pop désormais radicalement éloignées des expérimentations avant-gardistes bruitistes de leurs débuts. Bien que cet opus ne trahisse en rien l’univers si spécial et barré des quatre musiciens, il en devient par conséquent nettement plus accessible et mélodique. Sonic Youth construit chaque titre autour de gimmicks pour la première fois accrocheurs d’emblée, respectant même étrangement et à l'occasion la formule d’un couplet / refrain / couplet certes usité mais ne desservant pourtant en rien la musique de Goo (le fantastique « Dirty Boots » d’ouverture, « Disappearer »). Car malgré l’aspect plutôt conventionnel de ses ossatures, chaque composante est une véritable perle, un monument de rock’n’roll entraînant et merveilleusement bien calibré (« Mote »). Assurant eux-même leur enregistrement, les américains adoptent par ailleurs un son bien plus clair, loin des éructions de guitares d’antan. Une production clairement adaptée aux pop-songs simples et ultra-efficaces composant ce Goo, apportant parallèlement un aspect moins rugueux au double chant partagé entre Kim Gordon et Thurston Moore.
Fort heureusement, Sonic Youth n’en oublie pas pour autant ses origines ainsi que la spécificité de leur musique, posant sur bandes des lignes vocales pleines d’imperfections (du moins d’un point de vue strictement radiophonique) qui adjoignent à Goo toute l’authenticité nécessaire (le très bon « Mary-Christ » et sa rythmique relevé). Déstructuration et ambiances chaotiques sont également au rendez-vous, bien que ces dimensions demeurent utilisées dans des propensions bien plus minimes que sur les albums précédents. Le quatuor n’hésite pas à délivrer leurs instruments de leurs carcans, s’épanchant dans des étendues stridentes et salvatrices, envolées anarchiques ponctuées de guitares hurlantes (le tétanisante plage instrumentale « Mildred Pierce » sur laquelle Moore semble libérer toute sa frustration, l’outro de « Mote »). Sonic Youth donne la parole au fer et à l’électricité, laissant exploser ses origines en guise de conclusions écorchées, parfois même jusqu’à explorer les limites de l’audible. S’il intègre ces incartades avec une plus grande parcimonie, le quatuor n’en reste pas moins cette résultante d’un urbanisme toujours grandissant et oppressant.
Plus maîtrisé et mieux adapté aux standards du rock, Goo demeure cependant un album passionnant de bout en bout. Un classique des nineties, véritable œuvre d’art sonore à l’image d’une majeure partie de la discographie des New-Yorkais. Intemporel et indispensable.
.: Tracklist :.
01. Dirty Boots
02. Tunic (Song For Karen)
03. Mary-Christ
04. Kool Thing
05. Mote
06. My Friend Goo
07. Disappearer
08. Mildred Pierce
09. Cinderella's Big Score
10. Scooter And Jinx
11. Titanium Expose